Le climat politique marqué par une tension ambiante et une incertitude qui flirte avec le danger entre les acteurs inquiète. Professeur Moussa Diaw, Maître-Assistant en science politique, chef de la section science politique, Université Gaston Berger de Saint-Louis livre les raisons de cette situation à moins d’un an de l’élection présidentielle. Dans cet entretien avec Maderpost, il analyse la configuration politique actuelle, donne les raisons de cette situation tendue et incertaine ainsi que les perspectives dans le landerneau politique.
1/ Maderpost : Après une lecture du paysage politique actuel, quelle interprétation en tirez-vous ?
Moussa Diaw (M.D) « On est dans un climat de tension politique au regard des rivalités entre le pouvoir et l’opposition. Une situation tendue par le fait de l’ambiguïté qu’entretient le Président de la République sur sa candidature ou son éventuel retrait, d’autant plus que son camp l’impose comme son candidat pour un 3ème mandat alors qu’il sait bien que la loi fondamentale lui interdit. L’article 27 de la constitution lui interdit de faire plus de deux mandats consécutifs. Donc il est dans une situation compliquée parce que comme, me semble-t-il, il n’a pas préparé dans son camp quelqu’un pour le suppléer, il n’a pas pensé à un dauphin. Il a écarté tous ceux qui nourrissaient une ambition de se présenter à la présidentielle et s’est finalement retrouvé seul. Face à cette situation où il a du mal à se déterminer, il attend mais dans une démocratie, on a besoin que les règles du jeu soient clairement établies pour permettre à l’ensemble des acteurs politiques de se présenter aux compétitions électorales notamment à celle de la présidence de la République.
De la même façon, il se comporte face à ses adversaires de l’opposition qui ont des dossiers judiciaires la plupart. Il entretient une stratégie d’inquisition Ce qui fait que la tension devient beaucoup plus vive et risque de causer d’énormes problèmes pour la stabilité du pays parce que le jeu politique n’est pas clair, parce que le président de la République pose des actes politiques qui vont dans le sens d’une campagne.
On le voit à travers ses promesses et ses mobilisations pour montrer qu’il est avec une bonne partie de la population. Tous les actes qu’il pose vont dans le sens d’une 3ème candidature sinon il l’aurait dit clairement.
Mais là il crée un contexte compliqué au sein de la majorité parce que certains de ses alliés souhaitent qu’il précise sa position par rapport à cela et d’ailleurs on a vu le Président de Rewmi, Idrissa Seck laisser entendre qu’il n’exclut pas de se présenter à ces élections de 2024. Idy l’a surtout exhorté à sortir par la grande porte sinon ce sera la fenêtre, de terminer son mandat en organisant des élections libres et de s’en aller. Il a aussi rappelé que les divergences qu’il a eu avec Abdoulaye Wade pour la 3ème candidature, ce sont les mêmes divergences qui se retrouvent entre Macky Sall et lui. Ça veut dire que le patron de Rewmi est dans une logique de se présenter à la présidentielle.
En tout cas le climat politique est rempli d’incertitudes et de tensions pour la simple raison: le Président de la République instrumentalise la justice pour des raisons politiques en persécutant des leaders de l’opposition, en créant des dossiers judicaires à l’encontre de ceux qui pouvaient constituer un obstacle pour sa réélection. Cela renforce la tension et la méfiance des uns vis-à-vis des autres.
Ça veut dire, qu’avec ces calculs politiques là tout peut arriver parce certains ne se laisseront pas faire, parce que certains croient à des projets de société entretenu par leurs leaders qui ont des capacités de mobilisation et puis ceux qui les soutiennent ne se laisseront pas faire et cette situation risque d’être ingérable parce que tout simplement le président est dans une logique de calculs, une logique de se représenter pour un 3ème mandat ».
Maderpost : On note des déclarations de candidatures au sein de l’opposition est ce que une pluralité de candidats en son sein ne risque pas de constituer un obstacle pour elle face à la majorité ?
M.D « L’opposition a ses propres problèmes. Cette opposition qui n’est représentée que par Yewwi Askan Wi puisque les autres n’ont pas de base. C’est juste des opposants médiatiques comme l’ancien premier ministre Abdoul Mbaye, Thierno Bocoum, Thierno Alassane Sall, ces opposants-là n’ont jamais inquiété Macky Sall. Parfois elle a même des points de convergence avec la majorité. Elle est trop timide et n’a pas la capacité de mobilisation ou de faire une démonstration de force comme Ousmane Sonko sait le faire à travers la coalition Yewwi.
La pluralité de candidatures dans Yewwi est dans la logique de la coalition. Ils avaient évoqué cette possibilité d’avoir plusieurs candidats en sachant que cela pourrait constituer un obstacle parce qu’il peut y avoir une dispersion de voix qui peut les fragiliser. Peut-être dans ce que j’appelle la première étape d’avance de candidature et qu’après certains pourront rallier les candidats qui ont une capacité de mobilisation pour pouvoir gagner les élections. Je pense que c’est ce qui va se passer dans la deuxième étape de cheminement. Plus on se rapproche plus ils vont discuter pour trouver un compromis autour d’un candidat. A cela s’ajoute le cap des parrainages parce que le parrainage existe toujours et constituent un obstacle majeur.
La majorité est dans une logique de créer des problèmes à l’opposition en arrêtant ses militants, en posant des problèmes judicaires. Elle n’hésitera pas à en créer davantage par le biais du parrainage. Cette opposition sera bientôt rejoint par Idrissa Seck parce que ses récentes sorties montrent que c’est quelqu’un en rébellion contre la 3ème candidature ».
Maderpost : Quelles perspectives envisagez-vous dans le paysage politique d’ici les échéances présidentielles ? Comment jugez-vous le camp de la majorité et celui de l’opposition ?
M.D « Oui c’est vrai que quand vous regarder l’alliance qui existe entre l’Alliance pour la République (APR), l’Alliance des forces du progrès (Afp) et du Parti socialiste (PS) vous remarquerez un affaiblissement.
Ce qui reste de l’Afp se sont des proches de Moustapha Niasse. Il y a des dissonances au sein de l’Afp. Certains soutiennent Alioune Sarr, d’autres sont encore dans la ligne de Moustapha Niasse. Ça veut dire que c’est un parti qui est confronté à des difficultés. L’Afp d’avant et l’Afp d’aujourd’hui n’est plus la même elle a beaucoup perdu de sa vigueur et de sa capacité de mobilisation. Moustapha Niasse est vieillissant et n’a plus les capacités de diriger le parti.
Le Ps s’est fragmenté, il y a ceux qui soutiennent Aminata Mbengue Ndiaye et d’autres mouvements qui prennent leurs distances par rapport à elle. Il faut aussi préciser que dans la Gauche il y a des partis issus du Ps, de l’Afp, etc mais elle ne mobilise plus. Y a beaucoup de jeunes qui ne connaissent pas la Gauche, qui n’arrivent pas à comprendre son discours même si elle a joué un rôle important pour les acquis démocratiques d’aujourd’hui, mais on était dans un contexte particulier où l’idéologie avait un sens. Maintenant cette idéologie là y a très peu de jeunes qui s’y réfèrent. Donc la Gauche aura du mal à trouver son chemin dans ce paysage-là. A mon avis elle va s’arrimer à de nouvelles revendications, telle l’idéologie africaniste développée par Ousmane Sonko et le Pastef. »
Maderpost / Mamadou Ba