Ousseynou Sarr est à la fois symbole de l’exode urbain et acteur territorial de la conurbation touristique de la Petite-Côte. Par les sables, le peintre s’est fait une carapace artistique sur les bords de la Somone.
CULTURE – Sur la partie Est de l’hôtel Royal Horizon Baobab, une suite de bungalows, portes ouvertes sur le Grand Bleu, ourle la plage. A l’intérieur du « village », une cascade de chambres se posent dans un beau jardin fleuri. Bien que les « ruelles » soient labyrinthiques sur la façade ouest, le regard du visiteur ne peut manquer de capter la silhouette de l’artiste. Son atelier côtoie le terrain de pétanque et l’infirmerie. Ousseynou offre gracieusement le sourire à ses clients.
Maniant avec habileté la rhétorique du marchandage (pratique courante au Sénégal dans les transactions commerciales), le presque sexagénaire, dans un anglais compréhensible, vend deux tableaux à un couple tchèque, visiblement ravi d’avoir fait une bonne opération.
Awa Keïta est une cliente de l’hôtel. En mai 2022, elle y prend une nuitée. En repartant, elle découvre la galerie Cousin. Elle est « très impressionnée » par le travail de l’artiste. « C’est quelqu’un qui a beaucoup de talent, qui mérite d’être plus connu en dehors des frontières du Sénégal ; je lui ai suggéré quelques sites où il pouvait vendre en ligne », affirme notre interlocutrice à travers un audio whatsapp.
En quête d’un « ailleurs meilleur »
Par son art, Ousseynou Sarr s’est, au fil des ans, fait une carapace…sableuse ! A peine ses 14 ans bouclés, l’adolescent décide de sortir de l’école. Il trouvera moyen de se recycler à travers les tableaux de sable. Des artisans rencontrés à Dieuppeul (quartier de Dakar) exercent sur l’adolescent une certaine fascination.
L’enfant « aux semelles de vent » sillonne le territoire dakarois et son hinterland rural à la recherche d’une quinzaine de variétés de la matière essentielle : sable de mer, de termitières, argile, latérite, basalte, etc.
« Je me rendais souvent dans la zone des Niayes * pour prendre du sable de puits, une dizaine de couleurs naturelles », se souvient le passionné des sables. A l’époque, se remémore-t-il, le sable blanc de la baie de Hann était très prisé. Cette partie de la façade maritime, jadis attrayante, est dépouillée de son apparat du fait des industries polluantes et de riverains inconscients et coupables déversant sans répit déchets et eaux usées sur la plage.
Ousmane et Balla, trouvés à la galerie Cousin logée à l’hôtel Royal Horizon Baobab, semblent arpenter le même parcours de vie que leur pater.
Le premier dut abandonner les études. Agé de 27 ans, il est marié et père d’un enfant de deux mois (Ndlr : notre rencontre avec cette famille d’artistes a eu lieu le 9 mai 2022). Son destin artistique, il l’associe à sa passion pour le rap.
Le second, autre virtuose des tableaux de sable, a son violon d’Ingres. Balla (24 hivernages) dédie ses heures libres à la pratique de la musique. Il tient la « cam » et fait le montage de clips pour chanteurs de son terroir comme son frère aîné Yousseph, animateur et musicien polyvalent.
En quête d’un « ailleurs meilleur », le papa se retrouvait aux bords de la lagune Somone. Telle une alluvion, le vent de l’exode urbain le déposait dans cette zone touristique que fréquentait déjà son grand-frère de guide touristique. Par une certaine intelligence collective, Ousseynou et des amis proposaient des bouteilles de sables avec les prénoms et nom des clients du club du Baobab.
Petit à petit, le natif de la rue 15 x 22 de la Médina suivait son étoile. Il trouva aussi sa muse, une habitante de Ngaparou (commune riveraine de Somone) qui deviendra sa femme avec qui il a eu onze bouts de bois de Dieu.
Les affaires commençaient à fleurir. Ousseynou construit une maison sans rien dire à sa mère.
Son tableau le plus cher, mettant en vitrine des symboles de l’élevage, Ousseynou l’a vendu, avant la COVID, à 500 000 francs CFA (plus de 700 euros). Les thématiques les plus développées dans ses œuvres touchent notamment à la nature de façon générale.
L’artiste voit grand, inscrit quasi obsessionnellement et de manière inconsciente le baobab au centre de sa production. « Le baobab symbolise l’histoire du Sénégal », ainsi manifeste-t-il son attachement à l’arbre séculaire.
« On sent beaucoup l’Afrique dans ses œuvres qui sont un questionnement et des réponses en même temps, une recherche de soi… », témoigne Sadiath Thiam formé aux Beaux-Arts de Dakar. Comme « Grand Ouzin », nom affectueux qu’il donne à son aîné de collègue, l’artiste plasticien est natif de la Medina. « Ouzin est un bon père de famille qui partage son temps avec ses enfants, à la maison et à la galerie », dit-il. « Il est (même) le père des autres enfants », enchaine Sadiath qui met ainsi en relief les relations affectives que son ami développe avec les enfants des touristes de passage à l’hôtel Royal Horizon Baobab.
La silhouette d’Ousseynou fait désormais partie du décor de l’un des plus grands hôtels de Somone. Il y officie depuis près de 20 ans. C’est ici qu’un client français l’a découvert et proposé aux organisateurs d’un concours dédié à des artistes hexagonaux et d’horizons divers dans la commune de Trélivan. Cette année-là, le duo constitué avec un autre artiste sénégalais originaire de Bambilor, Ousseynou Diémé, est deuxième du concours sur 36 participants.
Dans sa galerie, il s’abîme dans la contemplation des œuvres de ses deux enfants qui ont dû moduler les thèmes des tableaux adaptés aux personnages des dessins animés. Ousmane et Balla sont des artistes de leur temps ! Ousseynou pose le regard, en même temps, sur une coupure de journal français relayant la prouesse des artistes sénégalais. « Grâce à nous, arbore-t-il fièrement, le festival de Trélivan est devenu international ».
Une autre vie après l’art
Sa passion pour l’agriculture et l’élevage ne se reflète pas seulement à travers ses toiles. Ousseynou cherche déjà réceptacle spatial à ses ambitions dans ses secteurs. La relève est déjà assurée (il a formé ses enfants et son neveu qui a sa propre entreprise), l’artiste réfléchit aux mécanismes de création d’une ferme et d’un domaine agricole.
Un autre projet dans l’esprit de ce disciple de Baye Niasse : la création d’un « daara » moderne.
Maderpost / Ben Abass
*Les Niayes sont une zone géographique du nord-ouest du Sénégal, constituée de dunes et de dépressions propices aux cultures maraîchères