A trois semaines de la première « étape capitale » du processus électoral de la présidentielle de 2024, les Sénégalais ne sont pas édifiés sur le coup d’envoi de la révision ordinaire des listes électorales d’une durée de 6 mois (Article L.37 du Code Électoral, Article R.28 du décret n°2021-1196 portant partie réglementaire du Code Électoral) devant démarrer le 1er février 2023 du fait de la non publication d’un décret portant révision ordinaire des listes électorales, tweete le doctorant Ndiaga Gueye en Sciences de l’Information et de la Communication et chercheur en marketing politique à l’ère du big data.
TRIBUNE – Le doctorant de rappeler que le décret portant révision exceptionnelle des listes électorales en vue des élections législatives du 31 juillet 2022, a été publiée le 14 février 2022, soit plus de 5 mois avant le scrutin. Celui des élections locales du 23 janvier 2022, a été publié, le 26 juillet 2021, soit prés de 6 avant le scrutin.
En l’absence encore de motifs techniques étayés, où d’une situation économique, sociale et politique avérée qui pourrait être brandie comme cas de force majeure conformément à l’article L.37 du Code Électoral, le Gouvernement ne peut recourir qu’à l’article R.28, du Décret n°2021-1196 qui dispose : « Une révision dite “ordinaire” a lieu sauf cas de force majeure ou de révision exceptionnelle en perspective, chaque année du 1er février au 31 juillet inclus ».
« Il est important de noter qu’il a été inséré le motif de non organisation d’une révision ordinaire en perspective d’une révision exceptionnelle. Une disposition qui n’existe pas dans la Loi n°2021‐35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral », ajoute-t-il.
Aussi se pose-t-il pour lui la question de la légalité de la probable utilisation de cette disposition réglementaire, non prévue par la loi pour justifier la décision de ne pas organiser une révision ordinaire des listes électorales. « Il est à rappeler que le Décret n°2021-1196 est un texte réglementaire précisant les modalités d’applications du Code Électoral. Donc, sous prétexte de compléter la loi, il ne devrait pas introduire une nouvelle disposition. L’article R.28 devait uniquement préciser les cas de force majeurs et non pas ajouter une nouvelle condition pouvant justifier la non organisation d’une révision ordinaire ».
« Aussi, ce décret d’application ne respecte pas la volonté exprimée par le législateur Sénégalais lors du vote de la loi. La volonté d’une seule personne qui décide de ce décret, fut-il Président de la république, doit-elle primer sur la volonté de tout un peuple, exprimée par son législateur ? Assurément non. Aussi, les dispositions de l’article R.28 ne doivent pas et ne peuvent pas déformer la volonté du législateur. »
« En outre, la règle de la hiérarchie des normes impose que chaque norme inférieure doit être conforme aux normes qui lui sont supérieures. Suivant ce principe de cohérence juridique, la Loi n°2021‐35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral prime sur le décret n° 2021-1196 portant partie réglementaire du code électoral.
A la lumière de ce qui précède, le Ministère en charge des élections, ne peut invoquer aucun argument juridique fondé pour ne pas organiser la révision ordinaire des listes électorales de 2023. D’ailleurs, ce manquement dans l’application de la loi électorale n’est pas nouveau. En effet, en 2020 le Ministère en charge des élections n’avait pas organisé une révision ordinaire des listes électorales du 1er février au 31 juillet 2020. En 2021 aussi, elle ne fut pas organisée. Tout est prétexte pour ne pas organiser une révision des listes électorales d’une durée d’au moins de 6 mois qui permettrait une inscription en masse de près de 2 000 000 millions d’électeurs potentiels. »
« En effet, la non organisation de révisions ordinaires de 6 mois (du 1er février au 31 juillet), n’a qu’un objectif, empêcher l’inscription massive de l’électorat potentiel sur les listes électorales. Cette volonté d’éviter que le fichier électoral se rapproche le plus possible de l’électorat potentiel est manifeste avec les révisions exceptionnelles.
Des révisions dont le timing et la durée sont sous le contrôle exclusif du Président de la République du Sénégal, par ailleurs Président de la coalition politique au pouvoir, qui en matière de gouvernance démocratique ne pose que des actes partisans qui vont dans le sens de ses intérêts politiques et électoraux. »
Ainsi, les révisions exceptionnelles décidées par décret sont de plus en plus courtes, pour empêcher l’inscription en grand nombre des non-inscrits. Celle organisée en perspective de l’élection présidentielle de 2019 a duré 60 jours (du 1er mars au 30 avril 2018), tandis celle des élections territoriales prévue en janvier 2022, s’est déroulée sur une période de 45 jours (31 juillet au 14 septembre 2021). Enfin, la révision exceptionnelle pour les législatives du 31 juillet 2022 s’est étalée sur 25 jours, du 07 au 31 mars 2022.
Il ressort de ce qui précède que l’électorat potentiel en perspective de la présidentielle de 2024, au nombre de 1 923 691 sénégalais, n’aura pas la possibilité de s’inscrire en masse sur une période d’au moins de 6 mois. Le nombre de Sénégalais en âge de voter en 2021 est de 8 960 157 personnes tandis que le nombre d’inscrits sur les listes électorales est de 7 036 466 en 2022. Il y a ainsi 1 923 691 Sénégalais qui ont le droit de vote, et qui ne sont pas encore inscrits sur les listes électorales.
En outre, cette révision exceptionnelle qui sera décidée par le Président de la République du Sénégal, homme politique partisan, sera sans doute l’occasion d’inscrire en un temps record des centaines de milliers de nouveaux électeurs issus de l’opération de vente de cartes de membre de son parti politique tout en ne favorisant pas l’inscription de potentiels électeurs non identifiés favorables. Une pratique déjà mise en œuvre lors de la présidentielle de 2019. Pire encore, par l’organisation d’une révision exceptionnelle dont la durée sera certainement très courte, les 5 681 047 électeurs privés de vote lors des législatives de juillet 2022, seront encore une fois exclus de la présidentielle de 2024, exceptés ceux qui acceptent d’acheter la carte de membre du parti politique du président du Sénégal.
Un tel scenario, fondé sur le suffrage censitaire, rappelle le processus électoral de la présidentielle de 2019. En effet, pour être Président du Sénégal élu au 1er tour à l’élection présidentielle de 2019, le candidat de la coalition politique au pouvoir a obtenu 2 555 426 voix sur un nombre d’inscrits de 6 683 043, soit 38,23% de l’électorat inscrit. Lors de ce scrutin de 2019, 2 254 363 électeurs n’ont pas voté.
Il est aussi à remarquer que la population électorale du Sénégal était de 8 413 851 en 2019, en considérant le rapport de février 2020 sur la population du Sénégal en 2019 de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie. Il ressort de l’analyse de ce rapport que de potentiels électeurs au nombre de 1 730 808 n’étaient pas inscrits sur le fichier électoral. Parmi ces derniers, il y avaient 1 104 157 jeunes âgés de 18-25 ans (Voir Rapport 2021 Mission d’audit du fichier électoral du Sénégal, page 111). Ainsi, pour la dernière élection présidentielle de 2019, 3 985 171 électeurs potentiels ont été privés de vote. Ainsi donc, l’actuel Président élu au 1er tour en Février 2019, le serait à 30,37 %e en considérant l’électorat. Une minorité de Sénégalais a ainsi élu le président du Sénégal.
Ce suffrage censitaire, par l’exclusion en masse des électeurs du vote par des manœuvres et des tripatouillages du processus électoral, qui détourne la réalité démocratique est implémenté à chaque scrutin. La défaite de l’opposition est ainsi actée comme lors de la présidentielle de 2019, et la victoire de la coalition politique au pouvoir est consacrée quel que soit son candidat. Si cette stratégie électorale n’assure pas la victoire, elle atténue la défaite, pour ne pas dire la déroute comme lors des dernières élections législatives et territoriales de 2022.
Cette stratégie électorale gagnante de 2019 de la coalition politique au pouvoir est en train d’être redéployée en perspective de la présidentielle de 2024. Après la modification de la loi électorale en juillet 2021 avec des dispositions problématiques et un décret d’application non conforme à la loi électorale, le 1er acte de manipulation du scrutin de 2024, est la non organisation d’une révision ordinaire des listes électorales 2023.
Ce forcing pour une 3ème candidature illégale s’explique par ces manipulations du processus électoral qu’ils ont commencé et qu’ils pensent leur garantirait d’avance une victoire à la présidentielle de 2024, comme en 2019.
Il urge dès à présent de se mobiliser et de s’atteler à déconstruire cette stratégie électorale de la coalition politique au pouvoir fondée principalement sur le suffrage censitaire par des actions juridiques, parlementaires, mais surtout politiques soutenues par une mobilisation citoyenne.
A cet effet, et sans tarder les partis politiques doivent :
Saisir la Commission Électorale Nationale Autonome sur le fondement de l’article L.16 du Code Électoral pour s’assurer de la tenue de la révision ordinaire des listes électorales du 1er février au 31 juillet 2023 (Articles L.11 alinéa 3, L.12, L.13, L.17 du Code Électoral) ;
Saisir la justice pour le non-respect de l’Article L.306 du Code Électoral qui dispose que les partis politiques légalement constituées doivent être informées pour avis consultatif pour la prise d’un décret portant révision des listes électorales, 25 jours au moins avant le démarrage des opérations de révision des listes électorales.
Sur le plan parlementaire, les députés doivent impérativement mettre en place une mission d’information si la révision ordinaire de 2023 n’est pas organisée mais aussi préparer une proposition de loi en vue de modifier le code électoral pour revenir à L.39 du code électoral de 2012 à 2020.
Enfin, il est crucial que le combat politique soit mené. Il devrait commencer par une conférence de presse pour alerter l’opinion national et internationale sur ce premier grave manquement dans le processus électoral en vue de la présidentielle de 2024. Un manquement à corriger dès maintenant au risque de compromettre leur chance de victoire. Il essentiel que les partis politiques suscitent une mobilisation citoyenne pour une révision ordinaire des listes électorales en 2023. Le droit d’être électeur et de pouvoir participer aux décisions politiques est remis en cause au Sénégal.
Il est d’une urgente nécessité de s’atteler sans délai à travailler pour créer les conditions d’une élection présidentielle de 2024, honnête, transparente et démocratique. Tout le reste (meetings, conférences de presse, déclarations, etc., pour dénoncer la mal gouvernance, la corruption les arrestations et les interdictions de manifester) n’est que tintamarre politique qui détourne de l’essentiel : Focus impératif sur la présidentielle de 2024 fondé sur une approche scientifique.
A l’ère numérique, une élection ne se gagne plus par une mobilisation des foules lors d’une campagne électorale mais par une stratégie de marketing politique guidée par les données dont la planification et la mise en œuvre démarre au moins 2 ans où au minimum 1 an avant le jour du scrutin. Et sur ce registre, le parti politique au pouvoir à une longueur d’avance sur l’opposition toujours dans l’informel manquant cruellement d’expertise en stratégie électorale moderne.
Ainsi, pendant que l’opposition tente de mobiliser des foules en organisant des meetings de dénonciation dans la capitale Dakar, le parti politique au pouvoir a déjà démarré sa campagne électorale en novembre 2022, sillonnant l’intérieur du pays, à 17 mois de la présidentielle de 2024, sous couvert d’une opération de vente de cartes de membre. Encore une vaste opération de collecte des données personnelles des sénégalais, comme lors de la présidentielle de 2019. (Nous y reviendrons). »
Fait à Dakar, le 08/ 01 / 2023
Ndiaga Gueye, Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication, Chercheur en marketing politique à l’ère du big data
Laboratoire: LARSIC,
École Doctorale: ED-ETHOS
Université Cheikh Anta Diop de Dakar Sénégal
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