Senghor, Abdoulaye Wade et sous peu, Macky Sall… Chaque dirigeant sénégalais a ainsi, durant son règne, fait adopter sa loi d’amnistie. Seul le Président Abdou Diouf constitue l’exception à cette option, qui tend à devenir un classique dans les annales de l’histoire politique du pays. Pourtant, n’ont pas manqué, durant la gouvernance Diouf, les évènements douloureux qui pouvaient le pousser à mener une démarche similaire.
SENEGAL – Au rythme où vont les choses, nous serions tentés de dire : à chaque régime, sa loi d’amnistie. De Léopold Sédar Senghor à Macky Sall, chaque dirigeant sénégalais a pu faire adopter, par son gouvernement en Conseil des ministres, avant de le faire voter à l’Assemblée nationale, son projet de loi portant amnistie de faits précis ayant caractérisé en partie des événements marquants de son règne. En attendant, bien sûr, celle du Président Sall, hormis Abdou Diouf, nous pouvons au moins constater et dire que chaque président de la République du Sénégal a été inspiré de -bien ou pas- de porter, jusqu’à l’effectivité de celle-ci, une loi d’amnistie.
Diouf, un Président sans loi d’amnistie
Sous le règne du Poète-président, on a eu droit à une loi d’amnistie. Celle-ci a consisté à passer l’éponge définitivement sur les douloureux événements de 1962, qui ont valu à l’ex-président du Conseil, feu Mamadou Dia, et compagnie, leur incarcération à Kédougou.
L’avènement de Abdou Diouf au pouvoir, par le biais de l’article 35 de la Constitution, n’a pas entraîné une rupture dans la gouvernance. Ce qui ne pouvait pas permettre de parler de «déshengorisation» totale. Même si le dauphin d’alors du Président Senghor a pu opérer des réformes dans sa gestion du pays, il n’en demeure pas moins qu’avec lui, le pays ne s’est pas retrouvé avec une nouvelle loi d’amnistie, au bout de 20 années de pouvoir. Quels que soient les évènements que le Sénégal a connus sous Abdou Diouf. Il en est ainsi avec l’irrédentisme qui sévit au Sud, la crise sénégalo-mauritanienne (1989) avec les malheureux affrontements de Ndundé Khoré, dans le Diawara, département de Bakel, les malheureux évènements du 16 février 1994 etc. En adepte et défenseur de l’Etat de Droit, Abdou Diouf a toujours voulu faire prévaloir -en dépit de ses incessants appels au dialogue- le principe : «Force reste à la loi.» Aussi n’a-t-on pas eu droit à une loi d’amnistie de 1981 à 2000. Les rares moments d’élargissement de détenus «politiques» ont concerné souvent les irrédentistes casamançais arrêtés dans le cadre de la rébellion, avant d’être libérés à la suite des accords de cessez-le-feu signés entre l’Etat et le Mfdc.
Loi Ezzan pour Wade
Abdoulaye Wade succède à Diouf au pouvoir en devenant le troisième président de la République. Ce dernier, animé par une volonté à tout-va de «révolutionner» son pays, voudra faire émerger la deuxième République. Mais, en dépit de son référendum de janvier 2001, le pays est resté en l’état. Même si un chapelet de réformes a accompagné le règne du père Wade, l’architecture institutionnelle n’évoluera pas trop qualitativement. Les observateurs auront fini de constater que le fond de la Charte fondamentale du pays est resté le même, par rapport à celle de 1963. Donc, il faudra attendre une trentaine d’années presque pour voir le pays enregistrer une deuxième loi d’amnistie. Une œuvre du deuxième successeur de l’illustre Léopold Sédar Senghor. Abdoulaye Wade va entrer ainsi dans l’histoire politique du pays, après la première alternance qui lui vaut son arrivée au pouvoir, après 26 années de course électorale. Par le biais de la loi Ibrahima Isidore Ezzan, député du groupe parlementaire Liberté et démocratie, l’Assemblée nationale, incarnée en majorité par les députés de la Coalition Sopi, au pouvoir à l’époque, efface des faits qui ont eu lieu sous la gestion de Abdou Diouf, en partie, surtout l’assassinat du vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye. Ce qui fera élargir, du coup, la bande à Clédor Sène. Tout un tollé accompagna cette volonté du chef de l’Etat qui avait fini par se traduire en acte. Un évènement qui avait aussi trop marqué les esprits et heurté bien des consciences. D’autres avaient même trouvé que cela faisait partie des événements qui avaient entaché la gouvernance Wade.
Quelle loi de… Macky pour amnistier les 2 K ?
Le successeur du pape du Sopi arrive au pouvoir avec en bandoulière, la détermination de traduire en acte de gouvernance, la reddition des comptes. Il fera même comprendre à l’opinion que cela reste une forte demande sociale qui n’est autre chose que la résultante des suffrages valablement exprimés au soir du 25 mars 2012. D’où la réactivation de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Cela se traduira par l’arrestation de Karim Wade, président du Conseil de surveillance de l’Anoci et ministre d’Etat, ministre de la Coopération internationale, de l’aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures (Micati), et à qui certains avaient affublé du vocable de «ministre du ciel et de la terre». Chemin faisant, Karim Wade est condamné et «exilé» au Qatar, après avoir bénéficié d’une grâce présidentielle. Comme un deuxième «K» pour le régime, l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, fera les frais d’un procès qui lui vaudra une peine de 5 ans de prison et la déchéance de ses droits civils et politiques. Aujourd’hui, avec la troisième loi d’amnistie du pays, qui va prendre forme après 10 ans de règne du Président Macky Sall, ces deux hommes politiques et anciens ministres vont renouer avec la scène politique et espérer briguer les voix de leurs concitoyens lors de la Présidentielle de 2024.
Cette fois-ci, une vague d’indignations, de contestations et de rejet du nouveau projet de loi, à l’initiative du premier magistrat du pays, rythme aussi le pays. Les membres
du Pds n’en veulent pas et réclament la tenue d’un nouveau procès pour leur leader, Karim Wade, qu’ils jugent avoir été injustement condamné par la Crei. Tout comme bon nombre de politiciens ne sont pas emballés par la nouvelle initiative du chef de l’Etat en l’accusant de vouloir protéger des proches.
En attendant l’examen du futur projet de loi en Conseil des ministres avec les propositions du Garde des sceaux et son adoption par le Parlement, les échanges heurtés parfois de part et d’autre vont continuer d’alimenter les débats.
Maderpost / LeQuotidien