L’histoire africaine fourmille de femmes dont la personnalité, les exploits ou les sacrifices justifient qu’elles soient érigées au rang d’héroïnes. Malheureusement, leurs histoires ne sont pas toujours connues ou mises en avant. A l’occasion de ce 8 mars, journée de la femme Emedia vous présente le destin exceptionnel de 8 de ces héroïnes.
Taytu Betul : elle a vaincu le colonisateur italien
L’Éthiopie est le seul pays africain à avoir vaincu l’envahisseur italien et échappé au destin de pays colonisé. Cette prouesse, on la doit en grande partie à une femme : Taytu Betul. Née dans une famille aristocrate, elle reçoit une éducation qui la rend lettrée, cultivée et entreprenante. En 1883, elle épouse l’Empereur Menelik II et devient impératrice d’Ethiopie.
Ensemble, ils travaillent à moderniser le pays qu’ils dotent d’un chemin de fer et d’importants moyens de transport et de télécommunication pour unir le pays et développer le commerce. Aussi, c’est elle qui choisit le site de la future capitale Addis Abeba. Cependant, tout en étant occupée à bâtir un pays moderne, elle est hantée par l’idée de le voir soumis à la colonisation. Contrairement à son mari qui croyait l’Éthiopie protégée d’une invasion italienne à cause d’un traité de paix signé entre les deux pays, elle nourrit de fortes suspicions.
En femme de caractère déterminée et intransigeante, elle écrit à l’ambassadeur italien : « Vous voudriez faire passer l’Éthiopie pour votre protectorat, mais il n’en sera jamais ainsi. » Elle exhorte son mari à rompre le traité de paix et à tuer dans l’œuf toute velléité de domination. Aux 100 000 soldats mobilisés, elle apporte soutien moral et ravitaillement. En fin stratège et chef militaire, on lui doit le plan qui offrira la victoire à l’armée éthiopienne. Cette victoire historique remportée en 1896 sera célébrée par les anti-impérialistes et la diaspora noire qui en tire une grande fierté. Au reste de l’Afrique, c’est un message d’espoir qui est envoyé : Le colonisateur peut être vaincu.
Hatchepsout : elle est l’unique femme pharaon
L’Égypte antique a eu quelques souveraines sans qu’aucune n’ait jamais le titre de Pharaon ainsi que les pleins pouvoirs qui y sont associés. Aucune, à l’exception de Hatchepsout, l’unique femme pharaon de l’Histoire. A la mort de son mari Toutmés II, elle assume la régence pour le compte de Toutmés III, fils de son mari né d’une autre union.
Sept ans plus tard, convaincus de sa valeur, l’élite et le clergé lui accordent le titre de pharaon. Son règne est marqué par la paix et la prospérité. Aux expéditions guerrières de ses prédécesseurs, elle préfère la pratique du commerce et établit des relations diplomatiques avec d’autres territoires. Ses expéditions commerciales revenaient chargées d’or, d’ivoire, de plantes et d’animaux exotiques. Elle est aussi connue comme une grande bâtisseuse.
En plus d’avoir restauré des monuments détruits, on lui doit la construction du temple funéraire de Deir el-Bahari considéré comme l’une des réalisations architecturales majeures du monde antique et qui est aujourd’hui une attraction touristique. A sa mort, Toutmés III entreprit d’effacer toute trace de son existence et de son règne par honte que la postérité ne se souvienne de lui comme d’un pharaon qui a partagé le pouvoir avec une femme et lui a succédé. L’Égypte finit par oublier sa seule pharaon qui ne sera exhumée des décombres de l’histoire que par des fouilles archéologiques réalisées au 19éme siècle.
Ndate Yalla Mbodj : elle a résisté aux Français
En 1820, Nder, capitale du royaume du Walo subit une attaque de maures venus du Nord alors que la plupart des hommes étaient absents. Livrées à elles-mêmes, les femmes organisent leur défense et parviennent à repousser un premier assaut des envahisseurs au prix de lourdes pertes. Face à l’imminence d’un deuxième assaut, elles optent collectivement pour le sacrifice ultime afin d’échapper à une vie de servitude et de déshonneur. Elles entrent toutes dans une case et y mettent le feu. Mais avant, la Linguère Amar Fatim Mbodj prit le soin de faire s’échapper ses deux petites filles Ndieumbeut et Ndaté Yalla qui deviendront Linguères et résistantes à la colonisation.
Installée sur le trône à la mort de sa sœur en 1846, Ndaté Yalla s’emploie à préserver l’intégrité territoriale de son royaume menacé par les velléités expansionnistes des Français installés à Saint-Louis. Le Walo vivait principalement de son commerce de produits agricoles et halieutiques. Déterminée à défendre les intérêts de son royaume et à diversifier ses revenus, elle prit la décision de s’opposer à la libre circulation des bergers soninkés qui approvisionnaient Saint-Louis en bétail. Elle exige qu’une taxe de passage équivalent à 1/10ème de la valeur de la marchandise soit versée à son royaume. Elle réussit à tenir tête aux Français pendant une dizaine d’années avant d’être vaincue en 1855 par Faidherbe et son armée constituée de 800 hommes bien mieux équipés que l’armée du Walo. Son royaume détruit, Ndaté Yalla s’exile au Cayor et y meurt en 1860.
Anne Zingha : la princesse angolaise intelligente et charismatique
Le Royaume du Ndongo (Actuel Angola) était une terre fertile et riche en ressources naturelles qui abritait une population active dans l’agriculture, le tissage, l’extraction minière et le commerce. Tant de richesses attirèrent l’intérêt et la convoitise du Portugal qui voulait s’approprier ce territoire, exploiter ses ressources et réduire ses habitants à l’esclavage. Anne Zingha était une princesse intelligente et charismatique et une redoutable guerrière.
A la mort de son père le roi, c’est son frère qui lui succède, même s’il était moins bien outillé et en était conscient. Ainsi, en 1622, après avoir subi une énième défaite, il envoie Anne négocier un traité de paix avec le Vice-Roi du Portugal à Luanda, un des territoires que l’envahisseur a arraché au royaume au fil des années. Arrivée au lieu de rencontre, Anne est horrifiée de voir qu’elle devra s’assoir sur un coussin alors que le Vice-Roi lui trône sur un fauteuil. Ne voulant pas négocier en position d’infériorité, elle demande à une de ses servantes de s’agenouiller pour lui servir de siège. Après d’âpres tractations, elle obtint la libération des sujets de son royaume réduits à l’esclavage et le recul des troupes portugaises.
Quand le Vice-Roi exigea que le royaume lui livre 13 000 esclaves par année en échange de la bienveillance de son pays, elle exprime son refus en ces termes : « Vous le savez bien, nous paierons ce tribut la première année et l’année suivante nous vous referons la guerre pour nous en affranchir. Contentez-vous de demander maintenant, et une fois pour toutes, ce que nous pouvons vous accorder. » Cette négociation marque le début de la légende d’Anne Zingha adulée par les siens et respectée partout en Europe.
Elle profite de son séjour à Luanda pour mieux connaître les Portugais, assimiler leur langue, s’imprégner de leur culture, épier les entrainements militaires de leurs troupes et engager des espions. Deux ans plus tard, son frère meurt et elle accède au trône préparée et déterminée. Alliant exploits guerriers et initiatives diplomatiques, elle parviendra à protéger son royaume jusqu’à sa mort à l’âge de 82 ans.
Alimotou Pelewura : la Nigériane a mis en déroute le colonisateur
En 1900, Alimotou Pelewura vendait du poisson aux côtés de sa mère dans un marché de Lagos. A la mort de celle-ci, elle hérita de son étal et s’employa à développer et à moderniser son petit commerce. En ingénieuse femme d’affaires, elle investit ses économies dans l’achat de pirogues et fait construire un hangar de pêche.
Progressivement elle se bâtit une fortune et gagne en influence. Bien que n’ayant jamais été scolarisée, elle est portée à la tête de l’Association des vendeuses et commerçantes de Lagos. A cette époque au Nigeria, le commerce était la principale activité des femmes qui arrivaient ainsi à être indépendantes financièrement et à assumer d’importantes charges familiales. Pour les Européens confrontés aux difficultés économiques de la Grande dépression de 1929, les colonies africaines apparaissent comme un moyen d’amortir le choc et de se refaire une santé financière. Cela passe par une surexploitation des ressources et une augmentation de la taxe coloniale. Alimotou mène les contestations pour affranchir les vendeuses et commerçantes de ces taxes qui réduisent considérablement leurs revenus.
Face à la pugnacité des contestataires, la taxe est abandonnée. Quelques années plus tard, quand éclate la 2nde Guerre mondiale, les Européens veulent encore une fois mettre à profit leurs colonies. Alors que soldats et ressources sont mobilisés pour soutenir l’effort de guerre, les économies des commerçantes sont encore une fois visées par une hausse d’impôts. Alimotou décide d’organiser une grève et de faire fermer les marchés pour ne plus approvisionner les colons et leurs familles. Un marché noir parallèle est activé pour ravitailler la population. Le Gouverneur est encore une fois obligé de céder. Dans le pays le plus peuplé d’Afrique, une femme aux origines modestes est parvenue à mettre en déroute l’autorité coloniale à deux reprises pour protéger les revenus des femmes et sauver leur famille de la misère.
Graça Machel : l’unique Première dame de deux pays différents
En 1945, dans un petit village du Mozambique, une petite fille vient au monde juste après le décès de son père qui, dans son lit de mort, avait fait promettre à sa femme d’envoyer sa fille à naître à l’école et de lui offrir la meilleure des éducations. En dépit de sa modeste condition, la mère tint promesse et la jeune fille fit de brillantes études. Cette éducation combinée aux efforts et engagements de la jeune femme lui a offert une place dans l’Histoire : 1ère ministre de l’Éducation de son pays, unique femme au monde à avoir été 1ère dame de deux pays différents et figure majeure de l’humanitaire.
Vous l’avez compris, nous faisons référence à Graça Machel la veuve de Samora Machel et de Nelson Mandela. Toutefois, le chemin qui a mené à cette vie inspirante était pavé de difficultés et d’épreuves. A la fin de ses études au Portugal, Graça rentre dans son pays pour s’engager dans la lutte armée pour l’indépendance. C’est dans la guérilla qu’elle rencontre Samora Machel, l’homme qui allait devenir son premier époux et Président du Mozambique. Refusant d’être cantonnée à un rôle secondaire de Première dame, elle devient en 1975 ministre de l’Éducation. Elle modernise les programmes scolaires, fait passer le taux de scolarisation de 40 à 80%, et met en place des cours du soir pour adultes.
Malheureusement, son mari est tué en 1986 dans un crash aérien. Trois ans plus tard, elle présente sa démission et se consacre à l’humanitaire. En 1998, elle épouse Nelson Mandela et devient la Première dame de l’Afrique du Sud tout en poursuivant son combat humanitaire en faveur des femmes et des enfants. Aujourd’hui, elle est membre des Elders, un groupe de personnalités publiques reconnues œuvrant en faveur de la paix dans le monde.
Ngozi Okonjo-Iweala : un destin hors du commun
Un événement historique s’est produit le 15 février 2021, Ngozi Okonjo Iweala est devenue la 1ère femme et la seule africaine à diriger l’Organisation mondiale du commerce (Omc). Cette consécration marque le couronnement d’une brillante carrière entamée à la Banque mondiale. Après 25 années passées à gravir les échelons de cette institution, elle devient ministre des Finances du Nigéria à deux reprises (2003–2006 et 2011–2015).
Elle réussit à faire effacer les ¾ de la dette publique nigériane soit 30 milliards de dollars. Aussi, 62 893 travailleurs fantômes sont détectés et éliminés de la fonction publique, ce qui permet à l’État nigérian d’économiser plus d’un milliard de dollars par année. Enfin, on lui doit des mesures fortes qui ont permis de réduire la corruption et de rendre le secteur pétrolier plus transparent. Cette femme authentique et pleine d’assurance qui n’arbore que des tenues traditionnelles est aussi décrite comme une travailleuse acharnée capable de rester au bureau de 6h à minuit. Autant de qualités que cette jeune femme Igbo, originaire du Sud-Est du Nigéria, a hérité d’une jeunesse studieuse troublée par la guerre au Biafra.
Elle a 13 ans lorsqu’éclate ce conflit dans lequel ses parents, tous deux professeurs, sont impliqués. Son père rejoint l’armée séparatiste tandis qu’avec sa mère, elles distribuent de la nourriture aux troupes. Durant la guerre, elle apprend à se débrouiller, à vivre sous pression et à affronter et triompher des difficultés. Finalement, les séparatistes sont défaits et la famille de Ngozi perd toutes ses économies mais reste soudée. Cet environnement familial solidaire combiné à la maturité acquise durant la guerre vont forger un destin hors du commun à cette femme exceptionnelle.
Rose Dieng : Presque 1ère en tout
« Une dame super intelligente et gentille. On a fait la Terminale C ensemble, le plus souvent c’est elle qui était première de la classe », c’est ainsi que le brillant Souleymane Bachir Diagne se souvient de l’exceptionnelle Rose Dieng. Exceptionnelle par ses distinctions et exploits : 1er prix au concours général en Mathématiques et en Langues, 1ère Africaine admise à Polytechnique en 1976, lauréate du prix Irène-Joliot-Curie en 2005 et pionnière en intelligence artificielle. Contrairement à la plupart des femmes qui composent cette liste, elle ne détenait ni ne gravitait autour du pouvoir, pourtant, elle n’en est pas moins méritante.
La Science étant le moteur du progrès, il est important d’offrir aux jeunes filles l’exemple de cette femme incarnation du génie, de la simplicité et de la générosité. A la fin de ses études en France, Rose est forcée de renoncer à son souhait de rentrer au pays car sa spécialité, l’informatique, n’existait pas encore au Sénégal. A travers l’informatique, c’est sa passion pour l’acquisition et le partage de connaissances qu’elle poursuit.
En effet, elle est l’une des premières à déceler le potentiel éducatif du web et cherche, à travers ses recherches, à rendre les moteurs de recherche plus intelligents, et donc plus à même d’aider avec l’apprentissage et l’enseignement. Alors qu’elle aurait pu mettre son immense génie au service d’intérêts personnels, elle œuvra plutôt à la démocratisation de l’accès au savoir. Alors qu’elle avait encore beaucoup à offrir, Rose succombe à la maladie en 2008. Elle avait 52 ans.
Maderpost / Emedia