A l’aube d’une élection présidentielle avortée (25 février 2024), l’abbé Eugène Diouf, Curé de la paroisse Épiphanie du Seigneur de Nianing, exhorte les politiciens à faire preuve de sagesse et de patriotisme pour éviter le chaos au Sénégal. C’était dans le cadre de son homélie du deuxième dimanche de Carême que nous vous proposons dans son intégralité.
PRESIDENTIELLE – Mes frères et sœurs bien aimés, ce 25 février 2024, les Sénégalais étaient censés se rendre aux urnes pour élire un nouveau Président de la République. Mais les choses sont allées autrement… Et nous voilà comme perdus, devant une impasse dont nul ne peut présager des conséquences ; une impasse dont notre cher pays, cité comme modèle de démocratie et de tolérance en Afrique et dans le monde, aurait vraiment pu se passer ! Avec le Sénégal, les amis du Sénégal sont alors inquiets, tandis que les ennemis du pays, connus ou tapis dans l’ombre, invoquent les démons de la division dans l’espoir de voir se réaliser leurs funestes projets ! Entre autres odeurs que ces derniers ont flairées, il y’a celle du pétrole et du gaz !
Devant une telle situation, plus que critique, les citoyens épris de paix interrogent et s’interrogent sur le pourquoi du comment ; les croyants, lèvent les mains et les yeux vers le ciel, mendiant la paix qui vient de Dieu : « Je lève les yeux vers les montagnes. D’où le secours me viendra-t-il ? Le secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre » (Ps 120, 1).
Si, aux temps anciens, Dieu, pour mettre Abraham à l’épreuve, demanda à ce dernier de lui offrir en sacrifice, son fils unique, celui qu’il aimait, avant de l’en empêcher, aujourd’hui, au Sénégal et ailleurs dans le monde, des enfants d’Abraham sont parfois prêts à sacrifier d’autres enfants d’Abraham sur l’autel de leurs intérêts égoïstes, de leur boulimie du pouvoir et de l’avoir.
En demandant à Abraham, in extremis, de ne pas lever la main sur l’enfant (Isaac), Dieu, à une époque – soit dit en passant – où de telles pratiques exercées surtout sur des enfants avaient droit de cité, s’opposait ainsi à tout sacrifice humain, signifiant de la sorte, contrairement aux divinités païennes friandes et assoiffées de sang et surtout de sang d’enfants, qu’il est, non pas le Dieu de la mort, mais bien le Dieu de la vie, en tant qu’il en est le Maître, le donateur et le promoteur par excellence !
Mes chers amis, on entend souvent dire que la politique est « sale ». Mais, laissez-moi vous dire, qu’en elle-même, la politique, entendue dans sa définition classique comme « l’art de bien gérer la cité », n’est pas « sale » ! Elle est même, disait le Pape Pie XI, repris récemment par le Pape François, « le champ de la plus vaste la charité » (Pie XI, Aux dirigeants de la Fédération universitaire catholique d’Italie, 18 décembre 1927).
Non, la politique, n’est pas « sale ». Elle est juste parfois ou très souvent « salie » par des hommes et femmes pour qui le verbe « servir » n’a de sens que conjugué dans sa forme pronominale : plutôt que de servir, on se sert ! Plutôt que de se sacrifier, on sacrifie ! Et croyez-moi, il y’a mille et une manières de sacrifier la vie d’autrui !
A l’occasion du 77ème anniversaire du bombardement atomique sur Hiroshima (Japon), le 6 août 2022, Monsieur Antonio GUTERRES, Secrétaire général des Nations unis, relevant un certain nombre de très graves menaces qui planent sur notre monde a eu ces paroles : « l’humanité, joue avec un pistolet chargé ». C’est à croire que le Sénégal est justement en train de jouer avec un pistolet chargé. C’est grave et triste !
Chers hommes et femmes engagés en politique, comportez-vous en hommes et femmes d’Etat et non en politiciens (politiciennes). La différence entre les deux, vous la connaissez : le politicien pense à son élection ou à sa réélection pendant que l’homme d’Etat ne pense qu’à servir et à bien servir son peuple ! Car, la politique est avant tout un service ; elle ne sert pas les ambitions individuelles, les factions dominantes et les intérêts particuliers, mais le bien commun, c’est-à-dire, le bien de tous et de chacun !
Alors, chers politiques ou politiciens, de quelque bord que vous puissiez vous situer, ne confisquez pas ce qui ne vous appartient pas : le Sénégal. Non, le Sénégal ne vous appartient pas ! D’ailleurs, vous n’êtes qu’une infime minorité dans ce pays, qui a existé avant vous et qui subsistera, après vous, mais dans quel état ? : « Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux enfants qui grandissent ? (…) pour quoi passons-nous en ce monde, pour quoi venons-nous à cette vie, pour quoi travaillons-nous et luttons-nous, pour quoi cette terre a-t-elle besoin de nous ? C’est pourquoi, il ne suffit plus de dire que nous devons nous préoccuper des générations futures. Il est nécessaire de réaliser que ce qui est en jeu, c’est notre propre dignité. Nous sommes, nous-mêmes, les premiers à avoir intérêt à laisser une planète habitable à l’humanité qui nous succédera. C’est un drame pour nous-mêmes, parce que cela met en crise le sens de notre propre passage sur cette terre. » (François. Encyclique Laudato si, n°160)
Alors, chers politiques et politiciens, quand arrêterez-vous donc de prendre en otage ceux et celles qui vous prêtent leurs voix pour que vous les serviez ? Quand arrêterez-vous donc de manipuler et de vous servir de nombre de jeunes garçons et filles dont le seul tort est parfois d’être de cœur plus que d’esprit, de lutter sans pouvoir se défendre ? Quand arrêterez-vous de les entrainer à une mort certaine, juste pour assouvir votre soif du pouvoir ou raviver votre ivresse du pouvoir ?
Frères et sœurs en Christ, devant une telle situation la tentation est grande de recourir à la violence ! Mais, à la violence, le chrétien se doit de répondre par la non-violence. N’est-ce pas ce que nous avons appris de notre Seigneur et Sauveur Jésus ? Il « n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge. Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris » (1 P 2, 22-24).
Oui, car on peut être ferme sans être cruel ! Dire la vérité sans crier ! Servir son pays autrement que par la politique ! Être patriote sans être nationaliste, car ici-bas « tout est intiment lié » ((François. Encyclique Laudato si, n°137).
Contemplons alors le Christ Transfiguré, qui, pour nous rassurer, lève un coin du voile, devant ces trois disciples témoins de cette scène magnifique – Pierre, Jacques et Jean – de la gloire ineffable qui se cache derrière son humanité, comme pour rappeler aux mortels que nous sommes, que nos joies et gloires d’ici-bas sont si éphémères, que nous gagnerions à investir et à nous investir en vue de la gloire éternelle.
Telle est l’option fondamentale du chrétien, et les catéchumènes que nous accompagnons en ce jour sont là pour nous rappeler cet essentiel, qui est au ciel, et qui faisait écrire au bien aimé Pape Saint Jean Paul II :
« Demander à un catéchumène: ‘‘Veux-tu recevoir le Baptême?’’ signifie lui demander en même temps: ‘‘Veux-tu devenir saint?’’ Cela veut dire mettre sur sa route le caractère radical du discours sur la Montagne: ‘‘Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait’’ (Mt 5,48) » (Jean Paul II. Lettre apostolique Novo millenio ineunte, n° 31).
Prions : Jésus transfiguré, convertis nos cœurs et nos esprits, et transfigure la vie de ces catéchumènes et nos vies de baptisés. Fais que ce chemin de croix que vit notre cher pays le Sénégal, devienne un chemin de transfiguration pour les filles et fils de ce pays, et pour les étrangers et hôtes qui vivent parmi nous. Ainsi soit-il !
Maderpost / Sud quotidien