L’histoire ne se répète pas, dit-on, mais elle rime. En observant les dynamiques autour des ressources naturelles, on ne peut qu’être frappé par les échos de cycles passés qui, bien que remaniés, continuent de modeler notre monde.
Par Samboudian Kamara
TRIBUNE – Combien d’esclaves déportés aux Amériques pour leur mise en valeur agricole ? Combien de guerres menées pour accéder au pétrole ? Combien de vies abrégées par les « diamants du sang » en Sierra Leone ?
Sous nos yeux se déroule une compétition technologique hors normes avec comme terrain de confrontation l’Intelligence artificielle (IA).
Parallèlement, des pays africains, détenteurs de métaux rares nécessaires à la fabrication de la plupart des composants électroniques, sont exclus de cette « conversation ».
Les dernières nouvelles sur le High-Tech semblent corroborer cette thèse. Le monde n’a pas fini de s’émouvoir des conséquences de l’alliance entre Donald Trump et les géants du numérique, surtout dans la perspective d’une explosion des fake news, qu’une éclaircie est venue de Chine, de Hangzhou.
C’est en effet dans cette ville de l’empire du Milieu que se trouve la start-up initiatrice de DeepSeek.
Il s’agit d’un agent conversationnel qui bouscule depuis quelques heures l’Américain Nvidia (leader mondial des composants et logiciels pour l’intelligence artificielle) sur les marchés boursiers.
Pas fous pour un sou, les investisseurs ont compris que ces entreprises ne sont plus seuls maîtres à bord.
Le Chatbot DeepSeek, attaqué le même jour par une cyber-offensive d’envergure, propose des fonctionnalités identiques à celles de ses concurrents occidentaux, ChatGpt en premier lieu.
Il en bouche un coin par ses performances en codage informatique ou en résolution de problèmes mathématiques, coûte moins cher, mais n’est performant qu’en chinois et en anglais.
Naturellement, il est « politiquement correct » et les premiers échos de son utilisation révèlent qu’il se débine dès qu’il est interrogé sur des sujets « sensibles », le président Xi Jinping par exemple.
DeepSeek est surtout open source, cela veut dire que son code est accessible à tous, ce qui permet de comprendre son fonctionnement ; ouverture qui, du reste, le différencie de ses concurrents dont « la boîte noire » de leur IA est mieux gardée que les joyaux de la couronne britannique à la Tour de Londres.
Mais le préalable à ces innovations, c’est de disposer de puissantes puces et micro-processeurs, de divers composants, de batteries. Où trouve-t-on les intrants nécessaires à leur fabrication ?
Alors que le Nasdaq (indice boursier des valeurs technologiques) à New York se pâme pour DeepSeek, les agences de presse annonçaient hier la chute de Goma désormais aux mains des « rebelles » du M 23, le groupe armé soutenu par le Rwanda dans sa guerre contre l’État congolais (Rdc).
Dans ce « scandale géologique » qu’est le Kivu, dans l’est de la Rdc, se résument toutes les contradictions d’un continent.
La Rdc possède environ 60 % des réserves mondiales de coltan (contraction de ses deux composants, la colombite et la tantalite), particulièrement recherché pour son contenu en tantale, un minerai rare et stratégique, car utilisé en association avec d’autres dans la fabrication de condensateurs pour appareils électroniques (smartphones, ordinateurs, Gps, consoles de jeux), dans l’industrie aéronautique et militaire ; il permet des alliages pour les moteurs de turbines ou de fusées.
La bourse s’agite alors que les populations du Kivu trinquent.
Derrière chaque avancée technologique qui fait vibrer les places boursières, se cache une réalité plus sombre, enfouie dans les entrailles de la terre.
Ces ressources qui alimentent les révolutions numériques ne seront véritablement des leviers de progrès que lorsque l’innovation s’accompagnera d’une éthique universelle, où l’exploitation des richesses naturelles ne rimera plus avec la souffrance humaine.
Maderpost / Le Soleil / Samboudian Kamara