Au Tchad, trois ans après le décès tragique du maréchal Idriss Deby Itno, on a voté, et rien n’a changé. À part, peut-être, de la part du pouvoir, un peu plus de… rapidité !
TRIBUNE – Avec douze jours d’avance, l’organe en charge des élections a proclamé, ce jeudi 9 mai, Mahamat Idriss Deby Itno vainqueur de la présidentielle, avec 61 % des voix. Une victoire contestée par le Premier ministre Succès Masra, qui la revendique aussi.
N’est-elle pas surprenante, la tournure que prennent les événements au Tchad ?
Si seulement il y avait quoi que ce soit de surprenant dans le spectacle qu’offre à nouveau le Tchad ! L’on est, hélas, en droite ligne de ce à quoi le maréchal Deby avait habitué le monde, en trente ans de pouvoir ! À sa mort, en avril 2021, l’on avait, au mépris de la Constitution, fait croire à tous que l’installation de son fils dans le fauteuil présidentiel était le plus sûr moyen de préserver le Tchad d’une déstabilisation extérieure totalement fantasmée.
Les Tchadiens ont été bernés avec la promesse que cet héritier imposé n’allait pas s’incruster. Moins d’un mois plus tard, le sang de Tchadiens innocents recommençait à couler, comme du temps de son père, et n’a, depuis, jamais cessé de couler. Comme il coule, depuis cette annonce précipitée d’une victoire à la traçabilité douteuse. Et voilà les Tchadiens sur le point d’embarquer pour un nouveau bail à durée indéterminée avec l’héritier du maréchal défunt.
Ce n’est pas un sort des plus enviables, pour un peuple, que de voir son destin confisqué, depuis si longtemps, par une même famille, un clan si friand de violence. Pour avancer, les Tchadiens vont devoir s’interroger plus sérieusement sur ce qui les fait trébucher si souvent. Et questionner les complicités et compromissions individuelles qui ont conforté, au fil du temps, un régime qui n’a, à l’évidence, pas su faire leur bonheur.
Le processus électoral étant encore en cours, n’est-il pas prématuré de conclure que l’élection a été volée ?
Il est encore trop tôt, en effet, pour porter quelque accusation définitive sur ces résultats réputés provisoires. Mais les morts, eux, sont déjà là ! La violence, aussi. Ce serait pure hypocrisie, que de prétendre n’être pas intrigué par ces résultats tombés du ciel, dans une capitale quadrillée par des soldats surarmés, où beaucoup voulaient sincèrement croire à une élection transparente, enfin. Dans sa déroutante constance, ce pouvoir préfère intimider que séduire. Les blindés sont donc de sortie à Ndjamena. Comme à chaque élection aux résultats douteux. Le pouvoir des Deby semble irrémédiablement prévisible !
À Ndjamena, on se plaît à rappeler que sept des neuf candidats auraient appelé le président élu pour le féliciter. Peut-être le Premier ministre n’est-il qu’un mauvais perdant ! À moins que certains de ceux qui félicitent avant d’avoir perdu se positionnent pour les places au bord de la « mangeoire ». Après tout, ce type de régime survit et prospère sur les petites lâchetés individuelles. Que faut-il de courage pour distribuer, au cœur des ténèbres, des pourcentages arbitraires, sans attendre la consolidation des résultats ?
Lorsque, le 24 mars dernier, Amadou Bâ félicitait Bassirou Diomaye Faye, la transparence du processus électoral avait déjà permis aux Sénégalais d’évaluer dans quel sens allait le choix des électeurs. Rien à voir avec une victoire intraçable, imposée par des véhicules blindés.
Peut-on dire d’un pouvoir si souvent confronté à des rébellions qu’il se nourrit de compromissions ?
Ce sont, presque toujours, les alliés inconditionnels d’un temps qui, un jour, deviennent des ennemis jurés, et prennent les armes contre le système qu’ils ont servi, de bonne foi ou par calcul. Ils se muent en détracteurs, lorsqu’ils se sentent rejetés, démonétisés. Nul ne s’étonnera d’apprendre, un jour, que celui qui a distribué si généreusement les pourcentages en ce mois de mai 2024 est passé à une des rébellions. Ceux qui ont conforté le père, naguère, et travaillent, aujourd’hui, à asseoir le pouvoir du fils sont tous de potentiels détracteurs.
Et cela explique largement pourquoi, en trois décennies d’un pouvoir dur et personnel, Idriss Deby Itno n’a jamais su apporter aux Tchadiens l’État de droit, la démocratie ou le début de ce que l’on appelle le développement.
Maderpost / Rfi