SANTE – C’est un regard critique et sûrement d’une grande importance que porte le Dr Fallou Samb sur le système de santé au Sénégal, qu’il estime défaillant parce que la médiocrité s’y est institutionnalisée, au point de le faire sortir de sa réserve pour alerter la faillite qui guette les Sénégalais, s’ils ne prennent dès à présent les mesures qui s’imposent. Maderpost publie sa réflexion. Système de santé défaillant : la médiocrité institutionnalisée « Le système de santé sénégalais est défaillant. Par système de santé, on entend le regroupement de l’ensemble des organisations, des institutions, des ressources financières, matérielles et humaines dont l’objectif principal est d’améliorer la situation de la santé. Au Sénégal, en dehors de tout risque de se tromper, aucun des éléments de l’ensemble ne fonctionne bien. Les institutions et organisations, eu égard à leur mission, se révèlent inefficientes ou n’existent pas tout simplement ; les ressources mises à la disposition des institutions publiques, œuvrant dans le domaine par exemple, sont largement insuffisantes et sont mal gérées. Le personnel est dans la plupart des cas irresponsable, mal formé ou il n’a pas accès à des formations pointues. On assiste à une alphabétisation supérieure de masse médicale dans nos facultés pour nous retrouver à l’arrivée avec une médecine dépassée, stérile. On est resté dans une médecine affirmative, de bricolage, alors que la médecine moderne se veut une médecine des évidences, argumentée par des investigations cliniques, biologiques et radiologiques. La médecine moderne est une médecine de l’intelligence artificielle, elle n’est plus hospitalière mais une médecine ambulatoire, où le malade est au centre du dispositif, on parle de souveraineté médicale. La médecine moderne est une médecine de l’intelligence artificielle L’essentiel de cette médecine ne se retrouve pas dans les titres, les grades des soignants. Son objectif est la satisfaction des malades. Elle n’est plus une médecine de spécialisation, mais un pôle de santé parce que l’essentiel des maladies modernes sont transversales et nécessitent donc l’intervention de plusieurs spécialistes. Cette médecine des « patrons» que nous subissons dans ce pays est désuète. Elle doit être remise en cause. Le patron c’est en fait le patient, une patientée satisfaite est le seul baromètre de la performance d’un système sanitaire efficace. Cette défaillance est volontaire, bien organisée par le caste des chefs qui déréglementent et organisent tout à leur image. Ainsi ils ont créé un système de larbinisme, d’asservissement, dans lequel les jeunes médecins les plus compétents, sont écartés, le plus souvent. Cette caste de mandarins de la médecine sénégalaise vampirise le système à son seul profit, au détriment de la médecine. Ces mandarins n’enseignent plus, ne font plus de recherches fondamentales. La seule recherche qui vaille est la quête de l’argent dans les cliniques privées où ils établissent leur Q.G, en violation de la déontologie médicale et des lois qui régissent la médecine. Aujourd’hui, plus de 40 % de la population n’a pas accès aux services sanitaires de base. Les professionnels de santé sont en nombre insuffisant et la grande majorité dépassée par la science. Selon l’OMS, il faudrait au moins 25 professionnels de santé pour 10 000 habitants. Au Sénégal, on est très loin de ce ratio. En dépit de tout, des conditions ne sont pas créées pour absorber les jeunes professionnels (médecins, infirmières et autres) formés dans le pays et ailleurs avec le support du contribuable. Les jeunes n’ont plus accès facilement à la spécialisation, la faute a un système de mandarinat entretenu par cette caste de professeurs agrégés, qui refusent systématiquement la spécialisation aux jeunes médecins sans aucun argument. Ils préfèrent privilégier des médecins étrangers (pour des raisons bien connues). Les jeunes n’ont plus accès facilement à la spécialisation Aujourd’hui, la spécialisation est devenue une grande nébuleuse. Le président de la République, le ministre de la Santé, les recteurs et les doyens des facultés sont directement interpelés. Sur quelles bases les recrutements des étudiants en spécialisation se font-elles ? Pourquoi et de quel droit certains professeurs disent ouvertement ne pas vouloir de Sénégalais dans leurs spécialités ? Ont-ils oublié qu’ils n’ont pas plus de mérite que ces braves jeunes médecins dont la seule chance est d’être tombé sur un système pédagogique responsable et équitable, à coups d’efforts et de chance pour apprendre avec le Franc symbolique, qui plus est, sont issus pour la plupart de familles modestes ? Combien d’entre ces jeunes médecins auraient pu réaliser leur rêve s’ils devaient verser 500.000frs CFA pour leur frais inscription, chaque année ? Beaucoup auraient sûrement abandonné. Aujourd’hui, nos hôpitaux sont tenus la nuit et les week-end par des étrangers, sans empathie ni respect pour nos concitoyens. Si vous ne parlez que nos langues nationales, alors allez y avec un interprète. J’interpelle les autorités à se pencher sur ce gros problème des D.E.S. Sinon, nous irons, dans quelques années, apprendre la médecine chez nos voisins, par la faute de cette caste de mandarins qui est en train de poser des actes de sabotage, d’égoïsme graves. Ils remettent en cause tous nos acquis. L’état doit prendre toutes ses responsabilités parce que la situation est devenue préoccupante. Les politiques de santé reviennent à l’Etat et il se doit de les définir et d’assumer sa charge régalienne. Il est devenu urgent de mettre en place une commission de spécialisations médicales co-gérée par les recteurs et le ministère de la Santé. Le renouvellement des équipements Nos équipements sont d’une autre époque et souvent plus âgés que les jeunes médecins qui les utilisent. Le parc est vieux. On préfère une politique de bricolage, ostentatoire, une médecine de gyrophares très incertaine. Les évacuations n’ont jamais été une alternative, juste une fausse solution à un sérieux problème. Ainsi l’évacuation sanitaire prend trois définitions : – l’incompétence (humaine ou matérielle) du médecin évacuateur. – les danger et risque non calculés pour le malade évacué. – les incertitude et risque de défaut de prise en charge du médecin receveur. Les évacuations médicales (intra ou extra muros) n’ont jamais été une solution, la logistique déployée est plus coûteuse que les soins. L’aberration de ce système est de garer une ambulance de plusieurs dizaines de millions devant une unité de santé installée dans un marasme, aussi sur le plan matériel qu’humain. Notre médecine date des âges farouches de «Boubacar» et de « 33 ». Il est impératif de définir une politique d’équipements de nos structures, de redéfinir la cartographie sanitaire, en travaillant sur de grands pôles, des axes médicaux régionaux, si l’on veut optimiser nos maigres ressources. Ces pôles et axes auront pour objectif de sédentariser les malades dans leur région naturelle, quelle que soit la nature de leur maladie. La médecine est une obligation de moyens. Défaillance d’un système de santé structurelle La récurrence des évènements malheureux, dans ce secteur important et sensible, s’explique par le caractère structurel du problème. Depuis plusieurs années, la situation de la santé publique défraie la chronique. Pratiquement tous les personnels de santé prêtant leurs services dans des hôpitaux publics du pays sont en grève. Sous le regard des médecins, des femmes enceintes, enfants, sont morts parce que leur prise en charge a été rejetée ou négligée. En silence, les grèves continuent de compter des victimes. Devant cette situation inacceptable, aucune issue n’est encore trouvée. Et la crise perdure. Le pays continue de faire l’«économie de la santé ». Les conséquences d’un système de santé défaillant sont énormes, voire inestimables. En plus des conséquences sociales et humaines, qui, sans doute, sont les plus importantes, la défaillance du système sanitaire d’un pays influe sur l’économie du pays. Selon l’OCDE, les performances en matière de santé et dans l’économie sont interdépendantes. Autrement dit, d’un côté, le développement économique est un facteur important pour le système de santé, de l’autre, le système de santé joue un rôle majeur dans le processus de la croissance et du développement économique et social. Il est donc inconcevable qu’un pays comme le Sénégal, luttant pour une croissance inclusive et un développement économique durable, n’accorde pas d’importance au secteur sanitaire. Parmi les activités économiques les plus susceptibles de subir les conséquences de la situation critique du système de santé, il y a le tourisme qu’il faut tout d’abord noter. Il est démontré à travers le monde, que le tourisme est d’une importance capitale pour des économies. Un touriste est certes à la recherche d’aventure, mais pas d’aventure « risquée ». Un pays où les hôpitaux publics sont à l’agonie, envoie un mauvais signal aux touristes. Dans la mesure où le système de santé est l’un des éléments infrastructurels importants au développement du tourisme, il va sans dire que la situation qui prévaut dans les hôpitaux publics affecte, d’une façon ou d’une autre, l’arrivée des touristes dans le pays. Il en résulte par conséquent un manque à gagner pour ce pays en panne de ressources. Un système de santé fiable pour attirer les investisseurs Les Investissements directs étrangers (IDE) jouent un rôle majeur dans le développement des pays. Le Sénégal a intérêt à articuler ses politiques autour d’une interaction. C’est d’ailleurs en ce sens qu’un pays est déclaré «open for business ». Investir dans un pays étranger c’est prendre des risques importants ; ce qui est normal pour un entrepreneur, sa vie est ponctuée de risques économiques majeurs en général. Mais dans un contexte où la santé n’est pas garantie, le risque plus grand. Il ne se rapporte pas seulement aux investissements, mais aussi à la vie même des entrepreneurs et des cadres étrangers. Ce qui explique que les primes de risque des cadres étrangers soient assez importantes. L’absence d’un système de santé fiable et compétitif constitue un inconvénient qui se répercute comme en coûts additionnels. Cela peut décourager les potentiels investisseurs. Sur le plan national, le secteur sanitaire n’inspire pas confiance aux Sénégalais eux-mêmes. A preuve, les ménages de la classe moyenne ne se font pas soigner au pays. Les femmes enceintes enfantent à l’étranger, notamment en France, aux Usa, au Maroc. Même les autorités politiques se font aussi soigner à l’étranger. Si leurs revenus proviennent du pays, les dépenses relatives à la santé se font ailleurs. Une fuite de capitaux importants, ce d’autant que les dépenses sanitaires se libellent en devises. Il est aussi important de signaler que le fonctionnement du système de santé donne lieu à un marché dans lequel opère le secteur public. Les contrats passés par l’État – dépenses publiques – sont les plus importants dans l’économie. L’État, le plus grand acheteur, a un impact négatif dans le fonctionnement des hôpitaux publics. Ce qui affecte les commandes de l’État auprès de l’industrie pharmaceutique et autres fournisseurs de consommables. Autrement dit, l’industrie pharmaceutique, dans une certaine mesure, subit les conséquences de la crise. L’espérance de vie à la naissance est un indicateur de développement. Elle est d’ailleurs une composante de l’indice de développement humain (IDH). Elle est, sans conteste, liée à la situation du système de santé. Et dans un système structurellement défaillant, l’espérance de vie à la naissance se réduit. Quant au niveau déjà bas du développement humain, il baisse devant la persistance et les récurrences des crises de la santé publique. Somme toute, les conséquences humaines et sociales mises à part, un système de santé solide, efficace et efficient est fondamental pour la bonne santé économique d’un pays. Aux Nations Unies, 193 pays ont pris, à travers l’Objectif de développement durable 3 (ODD 3), l’engagement de garantir la bonne santé et promouvoir le bien-être de tous, à tous les âges d’ici à 2030. Il est clair que le Sénégal n’est pas sur la bonne voie. Pour résoudre structurellement le problème, il faut commencer par articuler de sérieuses politiques publiques de santé. » Dr Fallou SAMB ]]>
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