Dernièrement, la communauté sénégalaise établie notamment Europe a subi une suite d’évènements malheureux, allant du meurtre de Lalla Kamara par un compatriote, à l’acte de Ousseynou Sy qui a brûlé un bus à bord duquel se trouvait de jeunes collégiens… Dans un entretien accordé à L’Obs, le Directeur des Sénégalais de l’extérieur, Sorry Kaba se livre à bâtons rompus.
Vous avez suivi la cascade d’événements survenus en Italie et en Angleterre, quelle lecture en faites-vous- ?
ETRANGER – Une lecture purement objective, dans le sens où je les inscris dans le cours normal des choses. Lorsqu’on a près 3 millions de Sénégalais établis à l’étranger, il est tout à fait normal que l’on ait droit à diverses infos émanant de cette communauté.
Pour le cas de Lalla Kamara, c’est regrettable, parce qu’elle est partie à la fleur de l’âge. Étudiante en médecine, elle cherchait à avoir une bonne assise sur le plan de la connaissance et d’un savoir académique. Je profite de l’occasion pour présenter à nouveau mes condoléances à la famille éplorée, à toute la communauté sénégalaise.
À l’arrivée de la dépouille à Dakar, nous étions présents à l’aéroport pour assister la famille, à travers une délégation de la direction générale que le ministère a envoyée et voir ce que nous pouvons faire ensemble, en termes d’actions judiciaires, d’honoraires d’avocats…
Je pense que la question de la migration est une question qui préoccupe, malgré ses effets positifs. Dans le contexte italien où l’extrême droite arrive au pouvoir et cherche à rendre difficiles les conditions de vie des étrangers, le devoir de l’État est de chercher à accompagner le tissu associatif sénégalais, pour faire en sorte que la société civile sénégalaise présente en Italie, soit très forte pour pouvoir porter les véritables revendications de la diaspora sénégalaise.
Et cela, c’est au nom du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de l’État. Maintenant, par le bilatéral et le multilatéral, par les accords et conventions internationales, on peut se permettre de voir comment faire infléchir le gouvernement italien. L’option est de fédérer ses multiples associations.
Je pense que cela peut davantage adoucir les comportements de l’extrême droite, qui pense que tous les maux dont l’Italie est victime, sont dus à la présence des étrangers. Aujourd’hui, les Sénégalais qui travaillent en Italie depuis des années, cotisent et font renflouer les caisses de sécurité sociale italiennes. Mais c’est de l’argent perdu. Donc tout compte fait, il y a un débat qu’il faut poser en termes de protection des travailleurs sénégalais en Italie, afin qu’ils puissent prétendre légalement à une pension ou à un droit à la retraite.
Cette ambitieuse démarche de défense des intérêts des travailleurs sénégalais en Italie, est-elle en cours, ou il est à l’étape de projet ?
C’est à l’état de projet et il y a déjà des échanges de protocoles d’accords de protection sociale entre les deux pays. Et il est heureux d’annoncer qu’une délégation sénégalaise est attendue à Madrid, les 7 et 8 avril, pour passer au peigne fin la dernière réunion de mise en commun de cet accord, qui devait être probablement signé d’ici peu. Ce serait spectaculaire que nous puissions signer un accord de protection des travailleurs étrangers en Espagne et nous attendons la même chose du côté italien.
Attardons nous sur le cas de Lalla Kamara qui implique deux parties sénégalaises. Qu’est-ce qui a été fait, en termes d’assistance financière et judiciaire ?
Pour le cas de la défunte Lalla Kamara, tout ce qui est en train d’être fait, se fait à travers l’ambassade du Sénégal à Londres. Après avoir parlé à la famille Kamara, il s’est trouvé que du fait qu’ils ont souhaité disposer de la dépouille très tôt à Dakar et que la communauté sénégalaise de Manchester avait déjà cotisé suffisamment d’argent pour supporter les frais, la demande adressée à l’État du Sénégal, n’a pas abouti.
En fin de compte, c’est l’argent cotisé par les Sénégalais sur place, qui a servi au rapatriement de la dépouille. Il y a une instruction du Président pour qu’à chaque fois qu’un Sénégalais perde la vie à l’étranger, que l’État supporte les frais. Mais, à ce jour, nous cherchons à les amener à souscrire à des polices d’assurance afin qu’à chaque fois que survient une maladie, voir mort d’homme, que l’assurance puisse être mise en branle comme cela se fait dans les pays où ils résident d’ailleurs. Parce qu’en réalité, aucun pays au monde ne peut supporter de tels frais qui avoisinent les 2 à 3 millions de FCfa par cas.
Ne serait-ce que sous ce rapport, on doit pouvoir regarder autrement les choses, afin que nous ayons une approche beaucoup plus durable, en professionnalisant la démarche. Maintenant, pour le reste, on va suivre avec l’Ambassade de Londres et voir tout ce qu’il faut faire à la demande de la famille pour une assistance nécessaire. Cela est aussi vrai pour notre compatriote accusé de ce meurtre.
À ce jour, à combien se chiffre la population carcérale des Sénégalais à l’étranger ?
Selon les dernières statistiques de juin 2018, la population carcérale des Sénégalais à l’étranger est d’environ 700 personnes. La cartographie montre que c’est en Italie qu’il y a plus de Sénégalais en prison, suivie de la Mauritanie. Mais, comme vous le savez, pour des considérations diverses, certains Sénégalais qui ont maille avec la justice à l’étranger, préfèrent ne pas le signaler à la représentation diplomatique.
Il y a aussi les cas du Sénégalais retrouvé pendu, du compatriote qui s’est donné en spectacle en s’attaquant à des policiers.
Ce sont autant de cas que nous suivons en intelligence avec le Consulat à Milan et l’Ambassade à Rome. Il est question qu’ils nous envoient des messages officiels très prochainement pour nous donner l’exactitude et l’évolution de ces différents dossiers. Mais comme je l’ai dit, nous sommes dans un contexte italien particulier.
On voit souvent le ministre de l’intérieur italien poster des vidéos à travers lesquelles, il s’attaque aux pratiques des étrangers dans leur territoire. Comme pour dire, voyez encore ce que je vous dis. Mais, comme je l’ai dit, les étrangers devraient renforcer le tissu associatif, afin qu’il puisse porter la revendication de cette nature, car l’Italie est un État de droit. Ce n’est qu’à partir de ce moment qu’un dialogue peut être posé entre les différents États, pour une solution durable.
En Afrique centrale, nos compatriotes sont souvent victimes de meurtres et leurs bourreaux s’attaquent à leurs biens. La question interpelle votre département ?
Vous posez là, une question extrêmement importante. Nous avons effectivement déploré plusieurs cas d’homicides et le dernier en date, est survenu au Congo Brazzaville, où un commerçant sénégalais a été tué dans sa boutique. Ce type de scénario est récurrent. C’est regrettable. Pour le dernier cas enregistré, l’un des auteurs a été arrêté.
D’ailleurs, l’ambassadeur a demandé à rencontrer les autorités judiciaires, avec à sa main, une note de contestation pour dire qu’il faut que cela s’arrête. On ne peut pas continuer à tuer impunément des Sénégalais. On ne souhaite pas que ces questions-là atterrissent dans les juridictions internationales, mais si jamais cela doit être le seul recours, on le fera.
À ce jour, l’ambassade ne passe pas un mois, sans adresser des lettres de rappel à l’endroit des autorités en charge de ces questions. Il arrive que le ministre des Affaires étrangères convoque l’ambassadeur du pays concerné, pour lui donner un message officiel du gouvernement du Sénégal afin que ce dernier puisse le porter à l’endroit de sa hiérarchie.
Autre sujet, les vagues de Sénégalais qui s’embourbent dans le désert du Niger et de la Libye. Certains seraient à la merci d’organisations intégristes. Qu’est-ce qui est fait pour leur venir en aide ?
Nous avons reçu du président de la République, l’instruction de ramener nos compatriotes pris au piège en Libye et au Niger, dans des conditions déplorables. Ce, avec le concours de nos partenaires, dont l’Organisation internationale pour les migrations.
Il est bon de souligner que dans le cadre de l’extérioration de leurs frontières, la frontière européenne s’est déplacée de la Lybie vers le Niger. Ceux qui sont déjà arrivés au Niger et qui n’arrivent pas à franchir la frontière libyenne, sont bloqués dans ce désert. Cette route a fait suffisamment de morts et il faut que ça s’arrête. Il n’y a que deux solutions : Offrir de la perspective aux jeunes. Ensuite, faire en sorte que ceux qui sont bloqués là-bas, soient ramenés et qu’ils puissent raconter leur mésaventure aux jeunes tentés par cette périlleuse aventure.
Y a-t-il un programme ficelé dans ce sens ?
Il y a un programme dans ce sens de 16 millions d’euros environ, consentis avec l’appui de nos partenaires au développement et qui est basé sur deux aspects : L’assistance au retour et la réintégration. On établit un fichier pour les suivre économiquement, pour les intégrer dans la société, en mettant à contribution les collectivités territoriales et des partenaires qui interviennent dans ce territoire-là. Cette action a été complétée par l’autre composante.
L’intervention du projet de renforcement de la gouvernance migratoire au Sénégal. Il faudrait faire de sorte qu’il y ait un cadre de concertation, une cartographie des actions, afin que le migrant sénégalais qui est revenu, ou le jeune potentiel migrant, soit au cœur de ces actions. On est sûr qu’à partir de ce moment-là, qu’ils ne nous échapperont pas ou qu’ils le feront librement. Cette politique de réintégration s’articule autour d’une démarche qu’on appelle.
Les procédures opérationnelles standardisées (Ops), réintégration économique et procédures standardisées assistance au retour. Nous procédons alors à un profilage du Sénégalais de l’extérieur, qui permet de savoir s’il a un métier, ou pas. Du coup, la réintégration se fera sur la base du besoin identifié auprès du migrant qui est orienté en mettant à sa disposition les besoins financiers nécessaires via : l’Anpej, l’Anida… Cet accompagnement se fait suivant un dispositif de : Formation, de renforcement de capacité et de financement. C’est ce que nous sommes en train de lancer dans les régions très touchées de Sédhiou, Kolda et Tamba.
Au delà de ces questions, c’est l’occasion de magnifier la belle vision du chef de l’État qui a permis de disposer de 15 députés de la diaspora au nombre de 15, élus sur la base de 8 circonscriptions électorales à l’étranger. Ces députés représentent souverainement les Sénégalais de la diaspora à l’Assemblée Nationale. Du coup, la diaspora a la possibilité, à travers ses députés, de se faire entendre. Mais au delà de cet aspect, nous préparons les élections locales où les Sénégalais de l’extérieur sont éligibles, mais pas électeurs.
Ce, dans le sens où il faudrait que tu figures sur le fichier électoral national, pas de l’étranger, pour pouvoir voter au Sénégal. La problématique est de savoir comment faire pour que les Sénégalais de l’extérieur puissent voter également aux élections locales. Ce n’est pas une messe affaire, parce qu’il faudrait qu’on puisse résider, qu’on puisse être sur le fichier national et le fichier à l’étranger. Ce que nous souhaitons, c’est faire en sorte que les collectivités territoriales puissent s’appuyer sur la diaspora hautement qualifiée, en termes de compétences spécifiques, de ressources humaines pour développer leur territoire.
ABDOULAYE DIÉDHIOU