C’est la deuxième fois en l’espace de quatre mois que le l’administration Diomaye va lever quasiment contraint cette fois sur le marché financier international des financements arrivant à échéance en 2031 pour « couvrir des besoins de financement dans le cadre de l’exécution budgétaire de l’année 2024 », après le premier eurobond de juin.
FINANCES – L’État du Sénégal a levé avec succès 300 millions de dollars US (environ 181 milliards de francs CFA) sur le marché financier international de la dette pour couvrir des besoins de financement dans le cadre de l’exécution budgétaire de l’année 2024, indique un communiqué du ministère des Finances et du Budget.
Cette initiative des nouvelles autorités d’aller chercher sur le marché financier international des « ressources importantes dans le cadre de la couverture des besoins de financement plus élevés ressortis de l’audit préliminaire des finances publiques devant faire l’objet d’une revue par la Cour des Comptes selon la loi sénégalaise » est la deuxième du genre pour le Sénégal, qui avait réussi en juin dernier une levée de fonds de 750 millions de dollars arrivant à échéance en 2031, toujours sur le marché international de la dette.
Cette première sortie du Sénégal sur le marché international de la dette constituait à l’époque la quatrième opération du genre en 2024 pour un pays subsaharien, selon l’agence de presse Bloomberg. Outre le Sénégal, dernier du groupe à se rendre sur ledit marché, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Kenya, avaient émis eurobond arrivant à échéance en 2031.
Pour rappel pour le Sénégal, l’eurobond était émis en deux tranches, d’abord 500 millions de dollars ensuite 250 millions assortis d’un taux d’intérêt de 7,75% et d’une maturité de 7 ans. De nombreux analystes avaient applaudi la réussite de l’opération sénégalaise qui traduisait selon eux « un regain de confiance des investisseurs envers le Sénégal, après les perturbations pré-électorales ».
Pour ce premier eurobond, le Sénégal avait fait mieux que le Bénin (7.9%) et le Kenya (10,37%) obtenant un taux d’intérêt inférieur. Seule la Côte d’Ivoire avait fait mieux avec une levée de 2,6 milliards de dollars US en janvier pour un taux d’intérêt de 6,61%.
Pour sa deuxième émission en placement privé lui permettant de lever en octobre 300 millions de dollars, environ 181,9 milliards FCFA, arrivant également à échéance en 2031, le Sénégal a obtenu un taux d’intérêt de 6,33%.
« L’opération, exécutée sous forme de réouverture des titres obligataires du Sénégal émis en juin 2024 sous forme de placement privé et arrivant à échéance en 2031, a été entièrement souscrite par la banque américaine JP Morgan pour 300 millions de dollars.
Elle a été assortie d’une opération de couverture contre le risque de change (fluctuation du dollar) permettant d’obtenir un coupon (taux d’intérêt) de 6,33% ainsi qu’une maitrise du service de la dette compte tenu de la parité fixe entre le franc CFA et l’Euro. Cette opération est la dernière émission de titres du Sénégal sur le marché financier international pour l’année 2024 », note le ministère des Finances et du Budget dans un communiqué dont Maderpost a eu copie.
Le même ministère précise toutefois que cette deuxième opération répond à une « nécessité de consolidation du financement en raison du report des décaissements initialement prévus du Fonds Monétaire International (FMI) à la suite de l’audit (…) La baisse de la liquidité dans le marché domestique en fin d’année et le volume des ressources recherchées ont justifié le choix de recourir au marché financier international ».
D’ailleurs, le gouvernement « envisage d’entamer des discussions avec le FMI pour établir un nouveau programme aligné sur les objectifs d’assainissement du cadre macroéconomique et la mise en œuvre de la vision de développement des nouvelles autorités ».
Toutefois, si, d’une part, une telle levée de fonds traduit la confiance envers le Sénégal fort de son statut de pays pétrolier parmi les principaux producteurs de pétrole et de gaz d’Afrique subsaharienne grâce á d’importantes découvertes dans le secteur des hydrocarbures et conforte, d’autre part, les autorités « sur la trajectoire de transparence dans laquelle il s’est inscrit et consolide son statut d’émetteur crédible auprès des investisseurs internationaux », les eurobonds ou euro-obligations sont à la fois une « opportunité et une source de risques », selon un économiste interrogé par Maderpost.
Si le ministère indique que la forme du financement « est assortie d’une opération de couverture contre le risque de change (fluctuation du dollar) permettant d’obtenir un coupon (taux d’intérêt) de 6,33% ainsi qu’une maitrise du service de la dette compte tenu de la parité fixe entre le franc CFA et l’Euro », l’endettement n’en reste pas moins en devises étrangères et ne rien de dit que le CFA ne connaitra pas dans les 7 prochaines années une dévaluation.
Pour l’économiste, l’un des défis des autorités sénégalaises est de faire en sorte que l’économie croît vite pour « générer les revenus nécessaires pour rembourser ces dettes ». Si les autorités y parviennent, elles s’épargneront « une pression fiscale, une réduction des dépenses publiques ou une réaffectation des ressources vers le service de la dette au détriment des investissements sociaux ou infrastructurels ».
Si les ressources sont investies dans des projets « à forte valeur ajoutée, qui stimulent la croissance économique, créent des emplois et augmentent les revenus de l’État, alors les deux eurobonds d’un montant global de plus d’un milliard de dollars ayant pour échéance fin 2031 peuvent être bénéfiques et épargner aux nouvelles autorités une pression budgétaire accrue ».
L’autre défi pour les autorités consiste à « ne pas tomber dans le risque de refinancement dans la mesure où les obligations arrivant à échéance doivent être remboursées en totalité », souligne l’économiste qui a requis l’anonymat.
Autrement dit, il ne faudra pas que les autorités se retrouvent dans le cercle vicieux qui les « obligera à mobiliser des ressources ou à émettre de nouvelles dettes pour les rembourser ».
Cela entraînera un cycle de refinancement coûteux.
Du côté du Fonds monétaire international (FMI) dont plusieurs cadres de l’appareil politique ne veulent plus entendre parler, on pourrait exprimer des inquiétudes sur le niveau d’endettement et la capacité du Sénégal à soutenir une dette en devises, ce d’autant que l’économie est au ralentie et que les prévisions financières ne sont pas au vert pour 2024.
La bonne tenue de la croissance économique et la suffisance des réserves de devises étrangères seront immanquablement mis sur la table par le FMI qui pourrait toutefois aussi souligner qu’une bonne utilisation des eurobonds et/ou placements privés dans le financement des investissements productifs (infrastructures, énergie, éducation), soutiendra « la croissance économique », et rendra « plus soutenable » le remboursement.
« Les eurobonds sont un outil de financement puissant, mais risqué. Ils peuvent être bénéfiques pour le Sénégal s’ils sont bien gérés et dirigés vers des investissements productifs. Sinon, le pays pourrait faire face à des défis budgétaires et financiers importants dans les années à venir », nous dit l’économiste.
Maderpost