CORRUPTION – L’affaire éclabousse la République. Elle est jugée gravissime. Elle touche directement le petit frère du chef de l’Etat, la porte de Timis pour «braquer» le pétrole sénégalais qu’il est ensuite parti revendre au prix cher à British Pétroleum, avec des royalties sur 40 ans estimées à presque 6000 milliards. Mais comment cela est arrivé ? Qui en sont les principaux responsables ? Au-delà d’Aliou Sall, principal mis en cause, l’affaire semble relever du «banditisme» d’Etat. On cite les noms de Aly Ngouille Ndiaye, à l’époque, ministre de l’Énergie, du Président Sall et de son Premier ministre d’alors, Abdoul Mbaye. L’Obs a tenté de situer la part de responsabilité de chacun. Mais si le Président Sall avait le dernier mot sur cette affaire, Abdoul Mbaye reconnait avoir signé du faux et avant d’alerter par la suite le chef de l’Etat. Aly Ngouille qui refuse de parler de l’affaire, renvoie au Mémorandum du Gouvernement, publié mercredi pour démentir les accusations de BBC.
Monsieur le Premier ministre, vous avez contresigné le décret portant approbation du Contrat de recherche et de partage de production (Crpp) d’hydrocarbures conclu entre l’Etat du Sénégal, Petrosen et la compagnie Petro-Tim Limited pour le bloc de Saint-Louis Offshore profond. Quelle a été la procédure d’octroi de ce bloc ?
Ce qu’il faut comprendre dans cette affaire, c’est qu’il y a une part de choix de sélection. Après la sélection il y a un contrat de répartition de production. Et après le contrat, il y a un décret qui permet de mettre en vigueur ce contrat. Si on ne prend pas en compte des contrats antidatés, lorsque le Président Macky Sall est arrivé au pouvoir, le contrat avait déjà été signé par le précédent régime.
Mais, il ne pouvait entrer en vigueur qu’après signature d’un décret du Président Macky Sall adopté par un Conseil des ministres. Et cela n’avait pas encore été cas. Donc, impossible de commencer. Après il y a eu la plainte de Tullow oil qui considérait avoir été sortie de ces 2 blocs de manière anormale alors qu’elle avait déjà payé.
Ensuite le Président (Macky Sall) a commandité un rapport de l’Inspection général d’Etat (Ige). Il savait donc qu’il y a contentieux dans ces deux blocs.
Il savait aussi que son frère Aliou Sall démarchait pour Pétro-Tim. Alors que Pétro-Tim n’est pas une société pétrolière, elle n’a jamais fait d’exploration, ni d’exploitation. Pétro-Tim n’aurait jamais dû être choisie conformément à la loi. C’était des éléments déjà connus et Pétro-Tim ne respectait pas les règles.
Il leur a fallu réfléchir à un artifice. Ils ont ainsi présenté Pétro-Tim comme la filiale d’une autre société qui s’appelle Pétro-Asia qui est la maison mère.
Ils ont ainsi dit que c’est Pétro-Asia qui est demandeur. Là aussi il y a une grosse bourde parce que Pétro-Asia est plus faible que Pétro-Tim. Mais, cela personne ne le sait sauf le Président (Macky Sall), Aliou Sall et Aly Ngouille Ndiaye (ministre de l’Energie d’alors). Et avant que le président de la République ne signe un décret et que le Premier ministre le contresigne, il arrive à la table du Conseil des ministres, présenté en projet par le ministre de tutelle qui rédige un rapport de présentation.
Et ce rapport de présentation a été rédigé et signé par Aly Ngouille Ndiaye. Mais, le problème c’est que ce rapport de présentation a donné de fausses informations au Conseil des ministres, à moi et tous les autres membres du gouvernement en disant que Pétro-Asia est un grand groupe d’investisseurs spécialisés dans le pétrole. C’était pour violer l’article 8 du Code pétrolier. Le Président (Macky Sall) a signé, j’ai contresigné et le décret est entré en vigueur.
Comment et quand avez-vous su que vous avez signé du faux ?
C’est quand j’ai quitté le gouvernement qu’un de vos confrères a attiré mon attention en me disant : «Monsieur le Premier ministre vous avez contresigné un décret qui pose problème».
C’est en 2015 que j’ai commencé des investigations parce qu’un journaliste avait attiré mon attention sur cette question. Après ça, j’ai rassemblé un maximum d’informations et je me suis rendu compte qu’il y avait un mensonge. Certes je suis signataire de ce décret, mais je suis le seul à avoir dit que ce décret est faux. J’ai dit au président de la République que c’était faux, qu’on a été trompés, de faire une enquête pour savoir pourquoi. Mais il ne l’a pas fait. Je lui ai demandé cela il y a trois ans.
Pourquoi avez-vous accepté de contresigner un décret qui pose problème ?
Parce que c’est comme ça que ça se passe. Tous les décrets sont signés comme ça. Le gouvernement est un organe collégial. Il y a un ministre qui travaille le projet, qui est signé par le président de la République avant que le Premier ministre ne contresigne. Le président de la République a ses prérogatives propres qui ne sont pas celles du Premier ministre. C’est lui (le président de la République) qui est responsable.
Vous avez signé sous pression ?
Non. Je n’ai pas signé sous pression, mais tous les décrets sont comme ça. Il y a le ministre de tutelle qui présente, le Président qui signe et le Premier ministre qui contresigne.
Si les données fournies par le ministre de tutelle sont fausses, le Président et son Premier ministre l’approuvent-ils ?
C’est la responsabilité du ministre parce que c’est lui qui présente le document. S’il ment, il ment. Mais, c’est la première fois que cela arrive dans l’histoire politique du Sénégal. Et s’il ment, les autres membres du Conseil des ministres ne vont pas lui dire qu’il ment. On lui dit c’est ta compétence, on te croit et on débat du contenu du décret.
Vous avez donc prêté bonne foi au ministre ?
Oui, on prête la bonne foi aux ministres sinon on ne s’en sort pas. Par contre cela n’exclue pas que des organes de contrôle de l’Etat, à posteriori, puissent intervenir. Comme l’Inspection général d’Etat (Ige) l’a fait après.
Mais, au moment où on se réunit en Conseil des ministres, le ministre il a ses prérogatives définies par un décret de répartition, c’est lui qui traite et on le croit sur parole. Personne ne conteste ce qu’il dit. On peut dire non la démarche n’est pas bonne, on ne peut pas ça à la place de ça et il y a une discussion. Mais, quand le ministre dit voilà l’information que je mets à votre disposition, on ne conteste pas. C’est lui le ministre qui a tous les services techniques. Personne n’a des services techniques sur ça.
Quelle est la responsabilité du président de la République dans tout cela ?
Le président de la République peut déclencher une enquête pour savoir pourquoi le rapport est faux. Ou alors on considère que c’est lui qui a donné les instructions. Il n’y a que deux possibilités. Or depuis 3 ans, il n’a pas encore donné d’instructions pour enquête pour savoir pourquoi le rapport de présentation était faux. Sur ce, j’ai écrit au procureur de la République pour lui demander d’engager une procédure d’informations.
Vous estimez que le rapport a été orchestré ?
Une chose est certaine, le rapport est faux. Cependant, il y a deux choses possibles. Soit le ministre l’a reçu de ses services (Petrosen, Direction des mines, conseillers techniques) qui lui ont donné de la fausse information et il peut savoir lesquels. Ou alors il a reçu des instructions pour faire du faux. Il n’y a que ces deux possibilités.
FALLOU FAYE & ADAMA DIENG/L’OBS