Comme de nombreux africains, j’ai suivi avec intérêt certains sujets de l’actualité de ces derniers jours, portant sur les relations entre la France et les pays africains. La présente tribune est consacrée à deux de ces sujets. Le premier, porte sur le sommet France-Afrique des 8 et 9 octobre 2021 à Montpellier. Le second concerne la crise ouverte entre la France et le Mali, après l’intervention du premier ministre malien aux Nations-Unies, ayant suscité une réplique des dirigeants français.
TRIBUNE – Sommet France –Afrique nouveau format
Le sommet France-Afrique, qui constitue un des marqueurs des relations entre la France et les pays africains, s’est tenu selon un nouveau format. Emmanuel Macron y a invité différents acteurs de la vie nationale de ces pays (entrepreneurs, jeunes, artistes, société civile), rencontre à laquelle les gouvernants africains n’ont pas participé. La France veut redynamiser ses relations avec le continent, par un partenariat direct avec les forces vives des pays africains. Les dirigeants français considèrent désormais que les forces vives de ces nations seront leurs interlocuteurs, pour élaborer et mettre en œuvre une nouvelle stratégie et des politiques qui seront au cœur de leurs actions en Afrique. La France discute avec des invités dits représentatifs des forces vives des pays africains, passant par-dessus leurs dirigeants qu’elle ignore royalement. Dans ces pays, qu’elle assimile allègrement à ses territoires, elle a organisé des ateliers préparatoires à son sommet. Emmanuel Macron veut créer un espace de dialogue direct avec la jeunesse et la société civile africaines, orienté vers l’avenir en vue d’apporter des réponses à leurs interrogations. Il veut être à leur écoute, échanger avec eux sur leurs préoccupations et les accompagner, notamment sur les problèmes d’éducation et d’enseignement supérieur, d’entrepreneuriat et d’innovation, sans associer leurs gouvernants. Il leur imposera ensuite les mesures qu’il aura décidées et jugées bonnes pour ces pays. Cette approche a été appliquée dans le domaine monétaire en décembre 2019, le président français ayant annoncé que c’est en entendant les critiques de la jeunesse africaine qu’il a mis en œuvre la réforme du franc CFA, qu’il juge bonne pour ces pays. Ce n’est pas une réforme pensée par eux-mêmes avec leurs forces vives, aboutissant à des décisions dont ils seraient convaincus que c’est ce qu’il y a de meilleur pour eux. Emmanuel Macron indique que la France a une responsabilité et un devoir d’apporter des réponses aux aspirations et aux demandes de la jeunesse africaine. D’où tire-t-il cette responsabilité et ce devoir de la France ? Est-ce en tant qu’ancien colonisateur ou à titre de néo-colonisateur ? Il n’y a aucun instrument juridique donnant à la France une telle responsabilité et un tel devoir, ni dans sa constitution ni dans celles des pays africains et nulle part ailleurs. Non, monsieur le président, la France n’a pas cette responsabilité et ce devoir. Vous allez encore construire vos politiques et vos actions sur un postulat erroné. C’est chaque gouvernement qui a la responsabilité et le devoir de répondre aux aspirations de sa jeunesse et de sa société civile. La France ou tout autre partenaire ne peut qu’assister les gouvernements africains à assumer leurs responsabilités et leurs devoirs. La posture dans laquelle vous voulez maintenir la France, et la substituer aux gouvernements africains, ne peut que continuer à engendrer des attitudes paternalistes. Une société civile dans une nation se définit comme un acteur et un interlocuteur des autorités nationales, et en matière de gouvernance des nations, chaque pays entretient un dialogue et traite avec sa société civile. Une société civile d’une nation ne peut être dans des habits d’interlocuteur d’autorités d’une autre nation, même jouissant d’un statut de partenaire privilégié. Il n’y a pas au monde, d’Etat ou de dirigeant entretenant un dialogue et traitant directement avec la société civile et la jeunesse d’une autre nation, si ce n’est à la suite d’une occupation ou dans le cadre de relations de maître à assujetti. Emmanuel Macron a-t-il fini d’écouter les sociétés civiles française et européenne, pour prétendre se mettre à l’écoute des sociétés civiles africaines ? S’est-il suffisamment mis à l’écoute des gilets jaunes et des autres acteurs de la société civile, qui battent le pavé tous les samedis pour exprimer leurs préoccupations et les problèmes de la société française ? Il apprécierait certainement que le président américain ou chinois se mette à l’écoute de la société civile française, notamment les gilets jaunes et autres manifestants du samedi, pour discuter de leurs préoccupations et les accompagner. Les organisateurs du sommet de Montpellier soulignent l’engagement d’Emmanuel Macron à apporter des réponses aux questions de gouvernance démocratique dans les pays africains. Elu par les français pour régler leurs problèmes, Emmanuel Macron ne semble pas en mesure d’adresser les dysfonctionnements de la démocratie en France dénoncés par les gilets jaunes, mais il a la prétention d’adresser ceux des pays africains. La France se comporte comme si elle était investie d’une légitimité pour traiter les problèmes auxquels sont confrontées les populations africaines. Avec quelle légitimité Emmanuel Macron prétend-il répondre aux préoccupations démocratiques des populations africaines ? Est-ce Emmanuel Macron qui doit adresser les problèmes de démocratie dans les pays africains ? Lui qui a adoubé des modifications de constitutions dans certains pays pour des troisièmes mandats pourtant interdits. Après plus de soixante années de coopération et d’assistance privilégiées de la France auprès des pays anciennes colonies françaises, plusieurs d’entre eux restent encore plongés dans des dérives démocratiques, engendrant une résurgence des coups d’Etat. En s’engageant dans un format ‘’Etat français-sociétés civiles africaines’’ en lieu et place du format institutionnel d’usage ‘’Etat français-Etats africains’’, les autorités françaises dévoilent un visage et un esprit colonialiste et une attitude condescendante. C’est une attitude colonialiste pour un dirigeant de penser qu’il doit se mettre à l’écoute des sociétés civiles et des jeunesses africaines. Quand il s’agit des pays africains, la France ne s’embarrasse pas des pratiques et usages diplomatiques qui guident les relations entre Etats souverains. Pour être entendues sur leurs espoirs et attentes et espérer les voir satisfaites, les sociétés civiles et les jeunesses africaines se déportent en France auprès des autorités françaises. La France montre encore une fois que c’est à Paris que se trouve le centre de décision des problèmes africains. Tout dans l’esprit et l’attitude des dirigeants français montre qu’ils n’ont jamais considéré les pays africains issus de leurs anciennes colonies, autrement que comme des pays d’outre-mer, dans le prolongement de leurs départements et territoires d’outre-mer. Dans les départements et territoires d’outre-mer, la France nomme des préfets. Dans les pays africains, elle soutient ou impose des chefs d’Etat franco-compatibles, avec un habillage de souveraineté et d’indépendance et une pseudo-démocratie. Pendant longtemps, la France s’est servie des coups d’Etat pour imposer de nouveaux dirigeants franco-compatibles, lorsque certains chefs d’Etat commençaient à faire de la résistance à ses volontés. Les chefs d’Etat jugés franco-incompatibles et exprimant une volonté d’émancipation sont dégagés du pouvoir (certains y perdent la vie). Avec le mouvement démocratique qui a soufflé sur le continent africain dans les années 90, la France ne pouvait plus se permettre d’user des coups d’Etat pour imposer des dirigeants franco-compatibles. Les coups d’Etat sont désormais fermement condamnés par la communauté internationale. Ensuite, les auteurs de coups d’Etat ne peuvent plus se maintenir au pouvoir, étant systématiquement contraints à une courte transition débouchant sur des élections de nouveaux dirigeants, auxquelles ils ne peuvent prendre part. La seule alternative que la France pouvait utiliser pour continuer d’imposer des dirigeants et maintenir son contrôle sur ces pays consistait à contrôler le système démocratique dans ses dispositions constitutionnelles et dans l’organisation des élections. C’est ce à quoi nous avons assisté au cours des deux à trois dernières décennies. La France ne peut donc œuvrer à l’instauration d’une véritable démocratie, d’élections crédibles et d’un Etat de droit dans les pays de sa zone d’influence. Mais, la quête des populations pour une vraie démocratie contrarie la stratégie de la France, qui ne pourrait plus compter sur des manipulations électorales et constitutionnelles pour imposer des dirigeants franco-compatibles. La France réalise également que le contrôle des dirigeants et le partenariat privilégié avec ceux-ci, sur lesquels elle a fondé sa politique, ne suffisent plus pour assurer un contrôle des pays de sa zone d’influence, comme on le voit au Mali et en Guinée. Le contrôle par la France des pays africains de sa zone d’influence est de plus en plus menacé par la présence de la Chine et de la Russie, et également par l’éveil de la jeunesse, de la société civile, du monde universitaire et des milieux d’affaires de ces pays. Sentant le danger que cet éveil a sur sa politique de contrôler les pays africains, la France réoriente sa stratégie. Elle se tourne désormais vers les forces vives (notamment la jeunesse et la société civile), perçues comme les plus grands obstacles pouvant entraver son ambition de maintenir son contrôle sur ces pays. Il s’agit pour la France de parvenir à une sorte d’endoctrinement des sociétés civiles et des jeunes africains (futurs leaders et élites), à l’idée que leur salut c’est la France, qui veut leur apporter les réponses à leurs préoccupations et à leurs problèmes. La France a bâti son système de contrôle des pays africains de sa zone d’influence par : (i) un contrôle de leurs acteurs politiques à travers la France-Afrique (et à l’avenir par un contrôle de leurs jeunesses et de leurs sociétés civiles) ; (ii) un contrôle monétaire à travers le système du franc CFA ; (iii) un contrôle de leurs forces militaires ; (iv) un contrôle médiatique à travers des médias dédiés ; (v) et un contrôle diplomatique au sein du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Grâce aux instruments dont elle a fait usage, la France a pu ainsi contrôler les dirigeants africains et neutraliser ceux qui voulaient se débarrasser de cette ingérence. Les sociétés civiles et les jeunesses africaines pourraient-elles constituer de nouveaux instruments de la politique de la France, à même de lui permettre de contourner les dirigeants africains et de contrebalancer toute posture de non-soumission de ceux-ci ? On peut rappeler que la France avait reçu la société civile libyenne, avant la chute et l’assassinat du leader Mouammar Kadhafi.Crise entre le Mali et la France
Les propos du premier ministre malien à la tribune onusienne relevant un abandon en plein vol par la France, avec la réduction des ses forces et leur repositionnement hors de certaines zones, ont créé une crise entre les autorités maliennes et françaises. Ces propos ont donné suite à des réactions des autorités françaises, dont celle du président Emmanuel Macron. Le président français a qualifié ces propos de ‘’honteux’’ et rappelé le double coup d’Etat perpétré au Mali et l’illégitimité des autorités de la transition. Les réactions des autorités françaises laissent apparaître leur irritation face à certains dirigeants africains, qui manifestent des velléités d’indépendance et n’entendent plus se soumettre à ses diktats. Si par le passé, le narratif a toujours été écrit ou dicté par France, et si les autorités africaines ont souvent eu peur ou honte d’exprimer à haute voix leurs analyses, leurs ressentiments et leurs visions sur les sujets qui concernent leurs pays, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les autorités maliennes de la transition ne peuvent avoir un sentiment de honte. Elles ne peuvent éprouver aucune honte à défendre les intérêts du Mali et des maliens, et ressentent au contraire de la fierté à le faire. Emmanuel Macron ne cesse de dénoncer un double coup d’Etat et des autorités illégitimes au Mali. Mais, il oublie que c’est un gouvernement légitime soutenu par la France qui a fait sombrer le Mali dans le chaos, et omet de souligner qu’à la différence du pouvoir dit légitime, le double coup d’Etat n’a pas mené le pays au chaos. Il est bon de rappeler à ce sujet, que c’est après un deuxième coup d’Etat que l’ex-président ghanéen Jerry Rawlings a instauré le nouveau système politique et institutionnel, constituant le socle de la vie démocratique du pays, dont tous les observateurs se félicitent. L’ancrage du Ghana et du Nigéria dans la démocratie sont l’œuvre de gouvernements illégitimes enfantés par des coups d’Etat. Avec les gouvernements légitimes qu’elle a installés dans les pays de sa zone d’influence depuis plus de soixante ans, la France n’a pas été en mesure d’y instaurer une vraie démocratie et un Etat de droit. Au Mali et en Guinée, ce sont certainement des gouvernements illégitimes qui poseront les bases d’un véritable renouveau démocratique dans ces deux pays et ailleurs, comme cela a été le cas au Ghana et au Nigéria. La France entretient un agenda caché au sujet de la bande sahélo-saharienne, depuis les indépendances de ses anciennes colonies et l’échec de l’Algérie française. La bande sahélo-saharienne revêt un intérêt stratégique pour la France, et également pour les autres puissances occidentales, en raison des richesses de son sous-sol. C’est d’ailleurs dans l’esprit et la perspective d’y constituer un jour un territoire sahélo-saharien sous contrôle de la France, que celle-ci a voulu en vain séparer le Sahara algérien de l’Algérie lors de son accession à l’indépendance. La crise malienne est une étape dans l’accomplissement de ce dessein. Les zones nord du Niger et du Tchad et le sud libyen se trouvent aussi en point de mire de cet intérêt territorial de la France, qui n’écarte pas tout intérêt pour le Sahara algérien. Pour parvenir à ses fins, la France se sert des populations touaregs, dont elle a d’ailleurs réécrit l’histoire comme pour ses anciennes colonies, elle qui dénonce une réécriture de l’histoire de l’Algérie par les algériens. La France et les rebelles touaregs de l’Azawad ont cru pouvoir se servir des combattants islamistes pour conquérir les territoires, dont elle comptait imposer l’autonomie aux autorités maliennes. Mais, les rebelles touaregs ont très vite été submergés par les islamistes et ne contrôlaient plus les territoires conquis. La France et ses alliés touaregs se sont trouvés pris à leur propre piège. Quand les maliens se félicitaient de l’intervention de l’armée française pour les libérer des islamistes et des rebelles touaregs, la France songeait plutôt à sauver les rebelles touaregs de l’emprise des islamistes sur les territoires revendiqués. Et permettre la poursuite de son plan devant aboutir à l’autonomie de cette zone, et plus tard, à son indépendance sous contrôle de la France. Les militaires français au Mali défendent les intérêts de la France. Le ‘’modus operandi’’ de la France consiste à établir une zone tampon au-delà de laquelle l’armée, les autorités nationales et les services de l’Etat sont absents, ce qui lui permet d’organiser les rebelles et les utiliser comme épouvantail et dérouler son plan. Il a été appliqué en Côte d’Ivoire et en Centrafrique, avant l’arrivée des russes dans ce dernier pays, ayant permis la reconquête du territoire dont il ne contrôlait plus qu’une petite portion depuis des décennies, malgré la présence des forces françaises. L’avènement des réseaux sociaux rend plus difficile aujourd’hui, le déroulement des plans et des agendas de la France en Afrique. Les politiques qu’elle mène et les actes qu’elle pose dans ce cadre sont portés au grand jour à la connaissance des populations africaines, ce qui contrarie leur exécution. *Les africains veulent mettre fin à l’ingérence de la France dans la vie de leurs pays. La crise malienne, comme d’autres crises ailleurs en Afrique, ne sont que le reflet du combat entre ceux qui veulent maintenir leur contrôle sur les pays africains, et ceux qui veulent s’en défaire. Pendant que les Etats-Unis mènent une lutte contre la Chine pour maintenir leur position dominante de première puissance mondiale, la France elle aussi bataille pour maintenir une influence dominante dans ses anciennes colonies. Pour de nombreuses populations africaines aujourd’hui, l’enjeu n’est pas de respecter un calendrier mais plutôt de changer les systèmes politiques et de gouvernance existant dans leurs pays, et soutenus par la France. L’ambition des maliens, des guinéens et de beaucoup d’autres africains, c’est de se défaire de ces systèmes, dans lesquels la souveraineté de leurs pays et leurs forces militaires ne sont que symboliques et sous-traitées à la France, et où la réforme du franc CFA n’est que symbolique. Ce que les populations africaines ne veulent plus, c’est que leur avenir et leur devenir politique, économique et sécuritaire se décident à Paris. La nouvelle orientation de la politique et des actions de la France ne semble malheureusement pas apporter de changements conformes à ces aspirations fondamentales.KOUASSI Kouamé, Ingénieur Statisticien, Economiste, Ancien Directeur et Ancien Administrateur de la BCEAO, Ancien Directeur Général du Budget et des Finances de Côte d’Ivoire.
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