Il aurait été intéressant que Le Pen nous dise qui, de la France ou du Sénégal, a eu le plus à gagner dans la réalisation du Train Express régional (TER) où 780 milliards de francs ont été engloutis, selon les chiffres officiels.
TRIBUNE – Des Africains qui souhaitent longue vie au président américain, Donald Trump, et qui lui disent « bravo », on n’en trouvera sans doute pas beaucoup. Je fais pourtant partie de cette espèce rarissime ! Oh certes, non pas tant que j’approuve le fait qu’il ait fait tuer le très populaire général iranien Qassem Souleïmani ou qu’il ait « déchiré » l’accord sur le nucléaire iranien ou encore reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël. Rien de tout cela !
Si je l’apprécie, c’est parce qu’avec lui au moins les choses ont le mérite d’être claires et il les dit tel qu’il les pense. Il est raciste, misogyne, climatosceptique, anti-Islam, anti-immigrés, pense que l’Afrique, c’est des « pays de merde », ne songe même pas à y mettre les pieds, est contre les droits-de-l’hommistes et les ONG, traite par-dessus la jambe l’ONU, ce « machin » budgétivore et inutile etc. Il navigue à contre-courant et rebrousse-poil du politiquement correct et le revendique fièrement ! Il n’est pas hypocrite pour un sou et je le trouve très bien comme ça.
« Il y a trois ans, déjà, lors de son élection, je n’avais pas hésité à me singulariser en soutenant que non seulement son accession à la tête de la seule superpuissance du moment me remplissait d’aise mais encore que je souhaitais que Mme Marine Le Pen accède au pouvoir en France ! Avec ces deux dirigeants au moins, expliquais-je alors, les Africains en particulier sauraient à quoi s’en tenir et prendraient enfin leur propre destin en mains. Au lieu de quoi, on se comporte toujours comme de grands enfants, nos dirigeants passant leur temps à tendre la main et comptant sur l’étranger pour défendre nos pays. »
Ce pavé est extrait d’un éditorial intitulé « Que viva Donald Trump ! » que j’avais écrit en janvier 2020. Ce qui m’intéresse ici, c’est le passage que j’avais consacré à Mme Marine Le Pen, présidente du groupe parlementaire du Rassemblement national — un parti qu’elle a créé — au Palais-Bourbon, l’Assemblée nationale française. Un groupe qui compte actuellement 88 députés (sur 577) et est donc l’un des plus importants de cette Assemblée.
Il s’y ajoute que la présidente de ce groupe a été finaliste des deux dernières élections présidentielles française, faisant même un score de plus de 41%en 2022. C’est donc une dame qui pèse d’un poids très lourd dans son pays et qui a toutes les chances d’être la prochaine présidente de la République française. Laquelle est le premier partenaire commercial du Sénégal mais surtout le pays vers lequel nos dirigeants se tournent en priorité pour tendre la sébile, qui garantit notre monnaie, le CFA, via la Banque centrale européenne, qui assure la défense des pays du Sahel à travers son parapluie militaire, etc. Compte tenu de toutes ces raisons, le réalisme — pour ne pas dire la realpolitik — aurait commandé que Mme Le Pen fût reçue par les autorités de notre pays, le président de la République en tête. Lequel passe son temps à accorder des audiences à des hommes — et des femmes ! — politiques de bien moindre importance que la vraie patronne du Rassemblement national.
Oh, je sais bien, on m’objectera qu’elle est à la tête d’un parti d’extrême droite, raciste, xénophobe, fasciste, anti-Noirs et anti-immigrés et tout ce qu’on voudra mais le fait est que, aujourd’hui, près d’un Français sur deux se reconnaît dans ses idées. Et cela, nous ne pouvons pas l’ignorer. Nos dirigeants gagneraient à se faire à l’idée d’avoir Mme Marine Le Pen comme interlocutrice voire comme « maître » qui leur donnera des ordres qu’ils seront tenus d’exécuter sans réprobation ni murmures lorsqu’elle sera installée à l’Elysée. Encore une fois, avec elle au moins, comme je l’écrivais en 2020, on sait à quoi s’en tenir. Elle est raciste et ne s’en cache pas, n’aime pas les Noirs, les Arabes et les Musulmans, bref coche toutes les cases susceptibles de lui valoir notre détestation. Tout cela c’est vrai mais la réalité c’est qu’elle compte dans son pays dont nous avons nous-mêmes besoin pour survivre dans la jungle des relations internationales ! Les Africains que sommes avons eu beau détester Donald Trump, il s’en est battu l’œil. En tant que président de la seule superpuissance du moment, les états d’âme des « pays de merde » que nous étions pour lui, le laissaient indifférent. Pour ne pas dire qu’il nous méprisait. C’est l’Afrique qui avait besoin des Etats-Unis et non le contraire. On peut en dire de même de la France, quoique…
Parler avec Mme Le Pen plutôt que de l’ostraciser !
Car la meilleure manière de combattre les idées de Mme Le Pen, c’est justement de discuter avec elle, confronter nos idées aux siennes et lui dire qu’à cela ne tienne si la France veut couper ses liens avec le continent. Que l’Afrique n’en mourra certainement pas et que les conséquences risquent plutôt d’être plus fâcheuses pour Marianne.
En tant que chef de l’Etat du Sénégal et président en exercice de l’Union africaine, Macky Sall a raté une excellente occasion de dire ses vérités, les yeux dans les yeux, à la dirigeante du Rassemblement national. L’immigration l’obsède de même que les Français qu’elle représente ? Fort bien !Alors, il aurait pu lui dire que tant que son pays, la France, surexploite nos matières premières qu’elle paye au lance-pierres et expédie chez elle sans aucune valeur ajoutée pour les populations locales, tant qu’elle refusera d’investir dans des industries chez nous, tant qu’Areva extraira jusqu’au tarissement l’uranium du Niger, tant que Total, à la suite d’Elf Aquitaine, pompera le pétrole et le gaz africains en contrepartie de royalties dérisoires — mais après avoir arrosé nos dirigeants —, tant que Vincent Bolloré, qui a revendu son affaire à l’armateur italo-suisse MSC, était le maître absolu de nos ports et de nos chemins de fer, et tant d’autres prédateurs hexagonaux ne cesseront de pressuriser les Africains, tant que également les navires de pêche de l’Union européenne ne cesseront de piller nos côtes réduisant nos pêcheurs en chômeurs, et d’autres exemples encore, des vagues de migrants africains ne cesseront de déferler sur les côtes du Vieux continent. Tant que la France ne cessera pas, aussi, de susciter ou d’entretenir des conflits dans le Sahel avec leurs hordes de réfugiés, toutes les opérations Frontex du monde ne pourront pas empêcher des despérados africains de prendre la mer avec des esquifs et des rafiots de fortune pour tenter de gagner l’eldorado européen. Il aurait aussi pu lui dire que l’Afrique est le dernier salon où l’on cause français !
En ce qui nous concerne, il aurait été intéressant que Mme Marine Le Pen nous dise qui, de la France ou du Sénégal, a eu le plus à gagner dans la réalisation du Train Express régional (TER) où 780 milliards de francs, selon les chiffres officiels, ont été engloutis dans 37 km de chemin de fer à peine, ce qui en fait la ligne la plus coûteuse au monde, sans doute ! Sans compter notre tronçon d’autoroute à péage entre Dakar et Diamniadio, lui aussi parmi les plus chers du monde. Si ce n’est le plus cher. Dans les deux cas, ce sont des entreprises françaises qui sont à la manœuvre et ont contribué à appauvrir davantage un pays qui était déjà parmi les plus misérables de la planète ! Entre autres exemples du grain du pauvre qui nourrit la vache du riche…
Macky Sall aurait aussi pu dire à Mme Marine Le Pen, au nom du continent africain, que si l’armée française est encore aussi omniprésente sur le continent c’est parce que, plus de 60 ans durant, la France a œuvré pour que nos pays ne puissent pas se doter de capacités autonomes de défense, veillant à réduire nos armées à des gardes prétoriennes voire à des armées d’opérette ou de parade. Avec malice, son interlocutrice, qui est une opposante et n’a pas sa langue dans sa poche, aurait pu lui répondre que les constitutions ne sont pas des chiffons de papier, que deux mandats constitutionnels ce n’est pas trois, que la place des opposants, des journalistes et des activistes ce n’est pas la prison — surtout au moment où la potence vient d’être dressée pour pendre haut et court Ousmane Sonko ! —, que ceux qui détournent les maigres ressources des populations doivent répondre de leurs crimes devant les tribunaux, etc.
Mais quel dommage que, pour des considérations émotionnelles, le président Macky Sall n’ait pas cru devoir recevoir en audience Mme Marine Le Pen, probable future présidente française. Qui dit pourtant des choses intéressantes comme la nécessité de laisser les Africains s’occuper de leurs propres affaires ou l’impératif de doter notre continent d’un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Une fois de plus, Macky Sall vient de laisser passer une belle leçon de se faire entendre et, qui sait ?, comprendre !
Maderpost