Les accidents de la route ne sont en rien une fatalité. Ils résultent de tares consubstantielles à notre culture rurbanisée et matérialiste. Plus nos infrastructures se modernisent, plus nos routes sont meurtrières.
CONTRIBUTION – Pourquoi des condoléances de Macky Sall à la suite de l’accident de deux autobus qui a fait 39 morts, pour l’instant et 80 blessés ? C’est bien beau, c’est très poli, voire policé, même très politiquement correct, monsieur le président, mais vos condoléances auront c’est certain, un effet comparable à celui d’un emplâtre sur une jambe de bois. Elles nous vont droit au cœur, ces condoléances, mais nous nous en passerions volontiers, leur préférant avec frénésie d’implacables sanctions contre toutes les responsabilités partagées d’un tel fléau national qui s’est mué en triste banalité, et qui s’est greffé sur notre confortable et déresponsabilisante notion de fatalité.
Les accidents de la route, ne sont en rien une fatalité mais résultent d’un ensemble de tares consubstantielles à notre culture rurbanisée d’une part et matérialiste d’autre part.
C’est la première fois qu’une tragédie routière au Sénégal fait, par son ampleur, l’objet de reportages télévisés sur plusieurs télévisions européennes, et même nord-américaines. C’est dire le choc que cet accident a suscité comme émotion, mais aussi comme incompréhension et révolte citoyenne… Il y en a marre vraiment de ces atermoiements gouvernementaux face à l’urgence de trouver des remèdes à cette singularité sénégalaise qui veut que, plus nos infrastructures routières se développent, plus nos routes sont meurtrières.
La France a su en 15 ans passer de 15 000 morts sur les routes chaque année à un peu moins de 3 000 ces dernières années. Cela s’est fait dans la douleur de la contrainte. Peut-il y avoir de développement et même de démocratie sans contrainte ? Tous savent où réside le mal. Mais sénégalaisement, on regarde ailleurs, là où le consensus suinte d’hypocrisie coupable.
Un ndeup national plutôt qu’un deuil national
Le mal réside dans nos capacités à tourner les lois, à tordre les règles des contrôles techniques à coups de billets dans les enveloppes, dans notre regard complaisant sur les garages de mécanos où l’on vend officiellement des pièces de voitures fausses. Notre mal réside dans cette évidence qu’il est interdit de punir, dans ces curieuses scènes où un conducteur mettra sa ceinture de sécurité non pas pour se protéger d’un choc, mais du racket d’un policier.
Aujourd’hui, aux portes du CETUD où se déroulent les contrôles techniques de nos véhicules, fleurit un juteux trafic de triangles de stationnement et d’extincteurs de voitures, qui vous sont tout simplement loués, oui, vous avez bien lu, loués, que vous présentez aux agents qui valident la conformité de votre véhicule, et que vous restituez à la sortie du Centre de Contrôle…
De quoi parle-t-on encore sous le coup d’une émotion, de sanctions, de sincères et humides condoléances ? Je crois savoir que pour 2 000 personnes sacrifiées sur l’autel de la “Sainte Triche Sénégalaise”, en les ayant fait couler en mer avec le Joola, pas une sanction n’a été prise, et les responsables de cette catastrophe font encore ripaille dans les allées du pouvoir. On sanctionnerait pour 39 ? On souhaite le croire…
Il faut autre chose que des condoléances pour redresser ces faits tordus qui amochent notre quotidien et le pare de tant de bêtises. Il faut de la poigne et pour cela il faudrait que les corps qui sont chargés de faire respecter nos lois soient eux-mêmes respectables.
Ce ne sont pas des condoléances, monsieur le président, dont nous voulons recevoir, même si c’est très gentil de votre part. Nous voulons un grand coup de balai. Et tout le monde sait bien que pour bien nettoyer un escalier, il faut aller de haut en bas
Les cadavres s’amoncellent sur nos routes mortifères, des vies sont définitivement brisées, et pourtant les accidents de la route continuent d’ensanglanter les pages de nos journaux. Passées les émotions, les discours incantatoires sur la discipline routière, et parfois les condoléances télévisées du chef de l’Etat aux parents des victimes, quand vraiment là, y’a trop de morts, et que ça fait voyant, le Sénégal retombe dans la chronique quotidienne des accidents de la route mortels. Mais puisque nos vies ne valent pas tripette, les autorités de notre pays refusent de regarder les choses en face et d’évoquer puis de prendre en charge les véritables questions auxquelles il convient d’urgence d’apporter des réponses fermes à une coupable faiblesse.
Les autorités concernées par ce drame national, réajustent chaque jour leurs œillères afin de ne pas regarder dans quelles directions il est impératif de sévir.
Responsable numéro 1 : la corruption
Naguère, un Directeur du CETUD, monsieur Cheikh Oumar Gaye en l’occurrence, déclara tranquillement un jour que « plus de 90 pour cent des accidents incriminent le facteur humain la fatigue, l’indiscipline. C’est pourquoi l’Etat a mis en œuvre des projets dont le permis à points ». Sur ce point précis, il fait remarquer que beaucoup de documents de transport circulent au Sénégal. Par exemple il y a officiellement 996 000 permis de conduire qui ont été délivrés régulièrement par l’administration des transports routier alors qu’il y a plus de trois millions de permis qui circulent dans le réseau. Ce qui fait qu’il y a près de deux millions de faux permis qui circulent au Sénégal… Cela fait sourire. Mais avec plus de 2 000 000 de faux conducteurs, on s’étonne encore de convoquer le facteur humain. Mais la réponse est dans la question. Comment, par quel circuit de corruption adossé à un réseau d’influences, autant de faux documents ont-ils été délivrés ?
Autre cécité de nos autorités, qui est à la base même du problème, c’est le contrôle technique. Tâchons d’évacuer la question avec une métaphore : s’il était fait dans les règles de l’art et sans pression de quelconque lobby, nos villes seraient-elles embouteillées ? Encore une fois, la réponse est dans la question.
Prenons nos cars rapides. Ils sont souvent immatriculés « DKA », ce qui date leur existence aux années 70. Refaits, soudés de partout, soudures qui en fait provoquent plus de dégâts que le choc lui-même, il était convenu de renouveler ce parc antique par de nouveaux véhicules de transports en commun. C’était plus qu’un projet, c’est un programme, financé, piloté dans la douleur par le CETUD, mais qu’il est impossible de dérouler, parce que des lobbies veulent continuer à prospérer tranquillement dans le désordre actuel. L‘ordre empêche les Sénégalais de prospérer, et cela n’arrange pas de réorganiser ce secteur aux milliers d’emplois informels… Mais silence… Ils peuvent continuer à tuer.
Du Savon de Marseille pile en guise de liquide frein
Sur tous les trottoirs de Dakar, nous côtoyons l’indicible légèreté qui coûte la vie à de simples citoyens qui ne souhaitaient qu’aller tranquillement d’un point A à un point B, mais qui subissent la désinvolture et l’irresponsabilité de ceux qui ont décidé que, par pur sens de l’économie, ils pouvaient tout se permettre.
Ils achètent des bidons de liquide-freins, dont ils savent que ces bidons ne contiennent que du « Savon de Marseille » pilé, et alors ? Ils disent à haute voix « Bissimillah » avant de démarrer, ils ont convoqué par là-même Dieu, leur plus efficace, selon eux, « Garçon Commissionnaire », ils ont en réassurance absolue, collée sur le pare-brise, la photo de leurs marabouts, si par extraordinaire ils devaient commettre un accident mortel, c’est que vraiment Dieu n’est pas dans un bon jour !
Mais rien ne sera possible sans la lucidité nécessaire pour le pouvoir, de devoir s’attaquer au tréfonds de notre ADN et de nos habitudes qui a pour nom : corruption.
Le permis à points est la dernière histoire drôle. Comment ôter des points sur un faux permis ? Pliés en quatre de rire, nous attendons la réponse.
Maderpost