Il fallait s’y attendre. Dans toutes ses sorties médiatiques, l’ancien ministre de l’Énergie évoquait sa volonté de traduire en écrits son passage aux affaires et d’apporter des éléments d’éclairages sur les faits et pratiques qui l’ont poussé à tourner définitivement le dos à Macky Sall et à son régime. Le projet s’est concrétisé. L’ancien directeur général de l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) a publié aux Editions fauves un livre intitulé : «Le Protocole de l’Elysée. Confidences d’un ancien ministre sénégalais du Pétrole.» Un témoignage inédit sur bien des événements qui ont secoué le Sénégal ces dernières années. Particulièrement dans le secteur des hydrocarbures.
LIVRE – C’est un récit libérateur. Un livre sur l’histoire récente du Sénégal, sous Macky Sall, au ton virulent et au vocabulaire fourni. Un témoignage unique sur des événements qui ont secoué la République, en temps et en heure, qui surgit du cœur de l’Etat, de ses salons feutrés et de ses atmosphères de grande méfiance.
Dans «Le Protocole de l’Elysée. Confidences d’un ancien ministre sénégalais du Pétrole», dont L’Observateur a parcouru quelques passages, qui vont certainement mettre le pays sens dessus-dessous dans les prochains jours, l’auteur Thierno Alassane Sall, exhume une série de «petits meurtres» sur le dos du peuple, révèle de «gros deals ou scandales», c’est selon, sur le pétrole sénégalais et replace «le maillon que représente cet Etat post-colonial dans une saga qui perdure depuis des siècles».
Et plus particulièrement sous le régime du Président Sall, qu’il a lui-même servi, tout en refusant, selon la chronologie des événements qu’il raconte, de se compromettre comme de se laisser perdre par l’onction d’un chef «peu porté à défendre les intérêts nationaux».
Loin du sensationnalisme, l’ancien ministre dresse un tableau peu reluisant de la gouvernance du Président Sall, surtout de sa gestion «catastrophique» du pétrole sénégalais.
Dans ce pamphlet de 496 pages, publié aux Editions Fauves, qui imprime une partie de la mémoire du Sénégal de ces 10 dernières années, voire au-delà, Thierno Alassane Sall brasse large : aviation civile, foncier, hydrocarbure.
L’ancien directeur général de l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) révèle, dans une lucidité déconcertante, le menu détail des faits et pratiques qui, dernièrement, ont fait palpiter le cœur de la République. L’Observateur s’est intéressé à quelques pages du fameux «brûlot» qu’il a obtenues de sources basées en Europe.
«L’insistance de mes deux chefs à agir en faveur de Total»
C’est à croire que Thierno Alassane Sall souffre de la répulsion à l’idée de ne pas assumer ses responsabilités. «J’entendais jouer mon rôle», martèle-t-il dans le cœur du livre.
Surtout concernant le chapitre XVIII, dont L’Observateur a eu copie, intitulé : «Un traité au Palais de l’ancien gouverneur de l’AOF».
Sur cette affaire de signature de contrat pour la Société française Total, Thierno Alassane Sall écrit, comme pour camper un décor mafieux : «(…)J’arrivai aux grilles du Palais où siégeait jadis le Gouverneur-général de l’Afrique occidental sous domination française. La sentinelle était enveloppée de cet uniforme qui – signe révélateur ou simple faute de goût ? -rappelle la tenue des troupes supplétives des forces coloniales.
A l’intérieur dans la grande salle du Palais, je trouvais le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne installé dans un des salons, entouré des différentes personnalités invitées à cette cérémonie : le PDG de Total Patrick Pouyanné et ses différents collaborateurs dont Momar Nguer, le Secrétaire Permanent du COS Petrogaz…
Le Premier ministre me conduit à mon arrivée dans un autre coin de la même grande salle où j’avais rencontré, quelques jours avant, le couple présidentiel et Moustapha Diakhaté. Mahammed Boun Abdallah Dionne n’avait eu de cesse de m’envoyer des messages sur mon téléphone portable, jusque tard dans la nuit précédente, sans réponse de ma part.
J’avais eu une conversation autour de 20h30 avec le Président qui venait s’assurer de ce que mes sentiments avaient évolué dans le bon sens. Ma position se cristallisait avec le temps, mon incompréhension devenant totale à mesure de l’insistance de mes deux chefs à agir en faveur de Total.
A 21h, à 0h59 puis à 1h14, le Premier ministre continuait à argumenter face à mon mutisme, se faisant l’avocat de Total au lieu d’exiger de la société pétrolière de s’aligner sur les autres offres : “Sorry tu dors certainement. Momar (Nguer) m’a appelé. Ils sont arrivés. Ils m’ont expliqué le pas de 50 000 dus à la nature des permis UDO et Rufisque Offshore Profond qui nécessitent des investissements hautement plus importants que dans le cas des champs KOSMOS.
TOTAL veut le même pas que CAIRN qui est de 50 000. Ils sont aussi d’accord pour le STOP COST de 65 % ce qui est un bon deal venant de 75 % puis 70 %. On peut y aller donc et signer tôt le matin avant de voir le Boss à 9h. PM. Que répondre à cette obsession à sacrifier à Total notre bassin sédimentaire, aux conditions de la Firme?»
«Le Premier ministre, par ignorance ou par intention de me brouiller»
«Faux!», enchaîne Thierno Alassane Sall dans un élan de rétablir la vérité. «Le bloc de Rufisque Offshore Profond se trouve dans les mêmes profondeurs que Cayar Offshore Profond et Saint-Louis Offshore Profond détenus à cette date par BP-Kosmos et Timis.
Le pas des permis de Cayar Offshore Profond et Saint-Louis Offshore Profond, attribués avant les découvertes d’hydrocarbures, est de 30 000 b/j comme il est loisible à chacun de le vérifier», dément, dans le livre, l’ancien ministre de l’Energie.
«En outre, enchaîne-t-il, les offres relatives au bloc de Rufisque Offshore Profond de BP-Kosmos, de Woodside-Tullow Oil ou de NEXEN-FAR sont calibrées au pas de 30 000 b/j. Néanmoins pour défendre la position (de Total, le Premier ministre du Sénégal n’hésite pas à se référer à un des points faibles de l’offre de Cairn, sans en prendre le plus essentiel à savoir la part qui reviendrait effectivement à l’Etat: jusqu’à 60 % pour Cairn contre 50 (h) maximum pour Total.
Il est curieux de relever au passage que le taux de recouvrement maximum des coûts pétroliers (le Stop ost), qui figure dans les contrats effectivement signés avec Total, est de 70 % de la production journalière alors que Mohammed Boun Abdallah Dionne indiquait dans son message du 2 mai à 0h 59 que Total marquait son accord pour 65 %.
Le Premier ministre, par ignorance ou par intention de me brouiller, soutient de fausses assertions sauf sur un point, je dormais au moment où ses messages pleuvaient. Néanmoins, mon mutisme ne mit pas fin à son plaidoyer, au contraire : «Au surplus TOTAL donne un bonus de 20 millions de dollars pour le UDO et 5 million de dollars pour le Rufisque 0ffshore Profond. Plus 1 million par an durant toute la période. d’exploration. C’est un bon et fair deal. On y va. Merci et bonne nuit.»
Sur ce point-là encore, Thierno Alassane Sall est sidéré. «Faux également! Mohammed Boun Abdallah Dionne s’accroche au bonus de signature parce qu’il n’a pas pris la peine d’étudier dans le détail les autres offres, par peur de voir combien la proposition de Total est, sur ce point aussi, faible comparativement aux autres. Le bonus de signature proposé par BP-Kosmos pour le seul bloc de Rufisque Offshore Profond est de 25 millions de dollars, là où Total est dans la logique de 5 millions par bloc, considérant l’UDO comme équivalent à 4 blocs.
Du reste, le bonus de signature ne vaut que lorsqu’on cherche à s’agripper désespérément à la moindre planche, pour sauver du naufrage en offshore profond la proposition de Total. Les différences dans le partage des ressources d’hydrocarbures potentielles sont si abyssales entre la proposition de Total et toutes les autres que le bonus de signature entre en compte de manière très marginale.»
Les SMS du Premier ministre Boun Abdallah Dionne pour faire signer Total
«Les messages de Mahammed Boun Abdallah Dionne reprirent à 8h23, ce 2 mai, lorsque je l’informai par un Sms que je faisais mouvement vers le Palais», raconte Thierno Alassane Sall dans le livre.
Deux Sms du Pm, au ton douteux : «Refais le point avec tes gars. Il y a urgence à signer car rien ne s’y oppose. Il y a 13 ans, il n’y avait pas de bonus de 25 millions USD non plus et rien ne dit qu’il y a du pétrole dans le UDO. Let us think positively. On ne doit pas voir que les problèmes. Pensons solutions.»
Et le dernier, censé me confondre, mais qui contredit totalement les propos que le Premier ministre tiendra deux semaines plus tard devant l’Assemblée nationale : En plus (du) MOU signé il y a 3 mois. Ça a donné suffisamment de temps depuis pour bien négocier. On y va.»
Décryptage de Thierno Alassane Sall : «Le Premier ministre, pour justifier «l’urgence à signer» avec Total, se réfère à une situation révolue, avant les découvertes d’hydrocarbures au Sénégal.
La seule et unique explication de l’intérêt soudain des majors pour le bloc de Rufisque Offshore Profond en particulier et le bassin sénégalais en général est bien l’odeur tenace de pétrole et de gaz qui en émanait depuis 2014. Mahammed Boun Abdallah Dionne, qui invite à penser positivement, se comporte pourtant comme un vendeur qui ne voit que le mauvais côté du bien qu’il a la charge de promouvoir : «rien ne dit qu’il y a du pétrole dans l’UDO ou «il a 13 ans, il n’y avait pas de bonus de 25 millions de dollars».
A cette époque, ni Total ni BP ni Shell, ni Exxon ne s’intéressaient à notre bassin sédimentaire qui n’attirait que des juniors. Un Premier ministre français ne faisait pas le déplacement à Dakar pour, entre autres, signifier son intérêt pour le potentiel en hydrocarbures du Sénégal.»
«Le président de la République compte sur toi»
«Le dernier Sms du Premier ministre est plus remarquable en ce qu’il reconnaît clairement que le MOU, signé quatre mois auparavant, en décembre 2016 à l’Elysée, ne comportait aucune dimension contractuelle», raconte toujours Thierno Alassane Sall, guidé par le sens du détail pour toucher à la pure vérité des faits.
«Ça a donné suffisamment de temps depuis pour bien négocier”, essaie-t-il de me convaincre.
Or en réalité, il n’y a pas eu de négociations, Total s’en tenant à ce qu’on pourrait appeler son «cours africain».
Quelle urgence pour le Sénégal à signer une offre aussi infamante, qui en cas de découvertes, laisserait au peuple une portion congrue de ses ressources naturelles?
Pour faire plaisir à Hollande avant son départ de l’Elysée?
Pourquoi cette incapacité presqu’atavique des deux têtes de l’Exécutif à exiger que Total s’alignât au moins sur les offres concurrentielles, ce qui est moins lorsqu’on dispose de propositions de BP et Kosmos ou de Woodside et FAR ?
Pourquoi ce qui n’est pas imaginable pour Total en France, à savoir rafler la mise devant des entreprises concurrentes mieux disant, se ferait-il dans l’enceinte du Palais de la République du Sénégal ?
Tandis que mon directeur de cabinet et un conseiller du ministère qui m’accompagnaient s’installaient à l’écart, le Premier ministre et moi tenions un dernier conclave dans un coin de la salle. “Mon frère me fit-il, tu avais raison d’insister. Finalement Total a sensiblement amélioré sa proposition. Il est temps de signer les contrats. Le président de la République compte sur toi”.»
«Son visage chargé de toute la tension et les menaces possibles»
«Sensiblement ?» S’interroge, l’ancien ministre qui s’empresse de répondre à sa propre question dans les quelques pages du livre parcouru par L’Observateur.
«Sensiblement ? C’est-à-dire un misérable petit pourcent, encore très loin de la proposition de Kosmos-BP et des autres. Je lui répondis d’une voix tranquille : « Je n’ai pas l’intention de signer les contrats. Au regard de la tournure des événements, des émissaires qui étaient passés me voir le long week-end du premier mai et de la teneur de nos échanges, le Premier ministre devrait s’attendre à ma réponse.
Il en fut néanmoins désarçonné. Il ne pouvait simplement pas se faire à une telle désobéissance contre laquelle il ne disposait guère de recours. Tu sais le prix de l’inaction, me fit-il son visage chargé de toute la tension et les menaces possibles ; Je sais, c’est pourquoi j’ai sur moi ma lettre de démission lui répondis-je en secouant légèrement l’enveloppe beige sur mes genoux. Il se tut quelques interminables secondes, puis reprit :
«Je te prie de ranger ton document et de signer. Après on verra… L’envie de rire m’empêcha de parler. Après ? Il n’y aura plus d’après, plus de polémiques mortelles, d’interminables guérillas verbales. Je ne pus masquer un sourire entendu tellement la posture de Mahammed Boun Abdallah pionne me rappela ce personnage de la fable, dont la figure varie selon les contrées, qui s’imagine tromper la vigilance de sa proie putative par des arguments balourds.
Le Premier ministre se saisit de sa tablette qui ne le quittait jamais. Il tapa un texte. Nul autre destinataire possible en ce moment et en ces circonstances que le Boss. Je te souhaite d’être un jour Premier ministre et de vivre les moments que tu viens de me faire vivre me dit-il.
Je faillis lui répondre : «Je ne vivrai jamais de tels moments. » Je m’abstins. Tout était déjà dit. Je vivais tel que je me suis toujours imaginé vivre, non en faisant ce qu’il me plut de faire, mais au contraire me soumettant aux valeurs qui balisent une existence»
«Aliou Sall fera le pied de grue de mon domicile ; je finis par me rendre et le recevoir»
Dans «Le Protocole de l’Elysée», l’ancien ministre sénégalais du Pétrole s’est également laissé aller à des confidences sur le dossier Timis et Aliou Sall, frangin du chef de l’Etat.
«(…) Quand ces deux personnages prendront la parole dans le débat suite à ma démission, pour défendre les positions de Total, Timis et d’autres, ils oublieront d’éclairer les citoyens sur leurs intérêts personnels dans le secteur.
En ce qui concerne Abdoul Aziz Mbaye, son éclairage aurait été déterminant sur l’évaporation mystérieuse du rapport de l’IGE sur l’affaire Petro-Tim. Directeur de cabinet de Macky Sall, il avait signé «pour le Président de la République et par délégation» l’ordre de mission N°35/PR.CAB.IGE du 30 mai 2012 qui avait lancé l’enquête sur l’affaire Petro-Tim.
Aliou Sall, frère du Président, fut aussi obstiné à obtenir un avenant pour la société African Petroleum titulaire d’un permis sur le bloc Rufisque Offshore Profond, sans plus de succès entre la fin de l’année 2015 et le début 2016», écrit Thierno Alassane Sall.
Sur cette affaire, l’ancien ministre de révéler : « Il (Aliou Sall) fera le pied de grue de mon domicile, m’envoyant force de messages de son téléphone qui commençaient invariablement par «Brother». Je finis par me rendre et le recevoir à mon domicile à la suite de la médiation d’un de nos amis communs qui se trouvait être un voisin et un de ses collaborateurs à l’association des maires du Sénégal.
Il était ce soir-là accompagné d’un autre ancien DG de Petrosen, Djibril Amadou Kanouté. Ils s’attendaient sans doute à un accueil tiède après les difficultés à me rencontrer, je les mis à l’aise et ils parlèrent à leur guise. Fatalement dans ces cas-là, on finit par sortir le mot de trop. Kanouté avoua à un certain moment que si African Petroleum n’avait pas honoré ses obligations de travaux, c’était effectivement pour profiter des opérations pétrolières en cours dans les deux blocs de Sangomar et de Cayar.
Les résultats de ces explorations leur fourniraient des informations intéressantes sur la géologie du bloc Rufisque offshore profond qui se situait entre les deux blocs. Je lui rétorquai : Puisque vous offrez à l’Etat du Sénégal l’occasion de retirer sans risque le permis, nous allons le reprendre et guetter également un moment propice pour reprendre des recherches directement, ce bloc figurant parmi les plus prometteurs !»
«Manifestement, poursuit Thierno Alassane Sall, lorsqu’Aliou Sall prétend qu’il ne se mêle pas des intérêts de Timis au Sénégal depuis 2014, il prend des libertés avec les faits.»
Et les pratiques sur le Pétrole sénégalais, entre autres sujets d’intérêt national, que Thierno Alassane Sall traite, en long et en large, dans son livre : «Protocole de l’Elysée. Confidence d’un ancien ministre sénégalais du Pétrole», publié aux Editions Fauves.
Maderpost / IGFM / L’OBS / Pape Sambaré Ndour