« Il n’y a pas un cerveau assez puissant pour réfléchir et produire sous la canicule », dit souvent le journaliste Charles Faye, dénonçant assez souvent sur sa page Facebook le défaut de climatisation des taxis à Dakar. Des études menées à la suite du réchauffement climatique indiquent que l’Afrique, qui le subit depuis les années 1970, enregistre « non seulement des canicules à la fois plus fréquentes et plus longues, mais aussi trois fois plus de sècheresses, quatre fois plus de tempêtes et dix fois plus d’inondations. Les menaces sécuritaires s’en trouvent elles aussi exacerbées », sans compter la santé de ses populations qui paient un lourd tribut et l’économie.
RECHAUFEMENT CLIMATIQUE – L’Alerte aux canicules au Sahel et à leurs Impacts sur la santé (ACASIS) avait annoncé la mise en place d’un système d’alerte aux canicules en Afrique de l’Ouest en vue de prévenir les vagues de chaleur « amenées à être plus fréquentes et plus intense dans l’avenir ».
Bien que la tendance « actuellement émergeante en Afrique de l’Ouest tant dans les données climatiques que dans la perception des sociétés », le problème de la chaleur, la canicule devrait on dire n’en reste pas moins toujours confidentiel pour ne pas dire royalement ignorée par les médias et les autorités qui « n’ont pas du tout pris en compte au niveau institutionnel par les directions générales de la protection sanitaire ».
La mise en place de ce système d’alerte aux canicules au Sahel utilisant des indicateurs biométéorologiques adaptés aux conditions climatiques de la zone et aux vulnérabilités locales des populations devait pourtant orienter les réflexions pour la prise en compte de la problématique en vue de prévenir et mesurer les « impacts sur la santé publique ».
Car contrairement aux pays européens, aux Etats-Unis, à l’Asie qui se préoccupent, communiquent et sensibilisent leurs populations et économies sur les vagues de chaleur, la question, de plus en plus cruciale, « n’est pas prise en compte dans les pays en développement, en particulier en Afrique où le climat est plus chaud et les capacités d’adaptation plus faibles », relève l’Agence nationale de recherche française.
Les autorités africaines savent-elles qu’il fait très chaud
L’Afrique, particulièrement l’Afrique de l’Ouest ne s’arrête pas sur les vagues de chaleurs qui empêchent leurs populations de travailler dans des meilleures conditions et les rendent plus vulnérables surtout les plus jeunes et personnes plus âgées.
« Ce problème est pourtant émergeant et les projections climatiques indiquent que de tels épisodes vont très probablement augmenter en fréquence et en intensité dans l’avenir », avertit pourtant l’agence française, soutenant que les modèles de climat utilisés pour ces projections comportent sur cette région des « biais radiatifs importants qui nécessitent d’être compris et réduits ».
L’objectif de mettre en place en Afrique de l’Ouest, au Sénégal et au Burkina Faso, particulièrement, un système d’alerte aux canicules adapté aux risques sanitaires pour les populations, s’appuie pourtant « sur des bases de données qualifiées, météorologiques, climatiques et démographiques ».
Ce d’autant que la dynamique des vagues de chaleur ainsi que leurs structures atmosphériques sont caractérisées ainsi que leur évolution durant les dernières décennies. Leur prévisibilité à court et moyen terme, ensuite évaluée à partir d’ensembles multi-modèles de prévision.
On sait que les simulations climatiques historiques et futures CMIP5/AR5 « doivent être analysées pour évaluer l’évolution des vagues de chaleur dans les décennies à venir ainsi que les incertitudes associées ». Les processus à l’origine des biais radiatifs dans ces modèles de climat doivent être étudiés plus précisément afin de réduire ces biais au mieux.
En parallèle, des études épidémiologiques associées à des enquêtes de terrain devaient être menées sur les sites de suivi démographique et de santé au Sénégal et au Burkina afin d’évaluer la vulnérabilité physiologique et sociale des populations aux vagues de chaleur, afin de définir des indicateurs et des seuils biométéorologiques adaptés.
Système d’alerte et prévention
Un système d’alerte avait été mis en place sur une plateforme adaptée et des recommandations spécifiques à l’arrivée de tels épisodes de canicule pourront être diffusées jusqu’aux services sanitaires et aux populations.
En dépit de tout cela, on apprend que les « vagues d’extrême chaleur qui frappent l’Afrique subsaharienne ne font pas l’objet de statistiques exhaustives, rendant difficile leur étude et la mise en œuvre de systèmes d’alerte précoce », selon une étude publiée il y a plus d’un an dans la revue Nature Climate Change (Nouvelle fenêtre) en anglais.
Pendant que les épisodes de canicule et leurs conséquences « sont systématiquement étudiés dans les zones plus riches du monde, les conséquences de ces canicules en Afrique ne sont pas enregistrées », souligne l’auteur principal de l’étude, Luke Harrington, de l’Institut du changement de l’environnement à l’université britannique d’Oxford.
Pourtant, les observations de terrain comme les modélisations climatiques montrent que l’Afrique subsaharienne est particulièrement exposée aux canicules, souligne le chercheur.
Ainsi, seuls deux épisodes caniculaires dans la région figurent, sur les 120 dernières années, dans la principale base de données mondiale sur les catastrophes naturelles, l’Emergency Events Database (EM-DAT). Les données concernant d’autres types d’événements, sécheresses ou inondations par exemple, sont tout aussi lacunaires.
En revanche, 83 épisodes caniculaires ayant entraîné plus de 140 000 décès et pour 12 milliards de dommages sont enregistrés pour le seul continent européen sur les 40 dernières années.
« Il est urgent de s’attaquer à cette contradiction », déclarait, il y a quelque deux ans Luke Harrington alors que, selon d’autres études, les épisodes de températures extrêmes, dont certains potentiellement au-delà de limites supportables pour l’être humain, devraient se multiplier dans les prochaines décennies, notamment dans les régions tropicales.
« Le principal problème n’est pas l’absence des données météo elles-mêmes, mais de données sur les conséquences de ces phénomènes, comme la mortalité ou des conséquences sur le secteur de l’énergie ou les infrastructures », soulignait Friederike Otto, directrice de l’institut du changement de l’environnement.
« Sans étudier ensemble les données de météo et d’impact, on ne sait pas élaborer un système d’alerte précoce », soutenait Friederike Otto
Bien que les populations africaines soient « très conscientes de l’augmentation des canicules », les scientifiques eux ne les enregistrent pas. Ce qui amène Mohamed Adow, directeur de l’ONG Power Shift Africa à se demander à juste raison comment les voix africaines seront-elles plus entendues et écoutées dans le débat planétaire sur le climat.
Et pourtant, comme l’écrit ce mercredi HuffingtonPost que les vagues de chaleur sont aussi à l’origine de l’irritabilité, la mauvaise humeur, la fragilité mentale, l’éco-anxiété.
L’Europe en mode vigilance rouge
En Europe, les autorités de santé « multiplient les messages de prévention » parce qu’ayant compris que les effets physiologiques de la canicule peuvent s’avérer « néfastes pour la santé mentale ». Et comme un peuple en bonne santé est un peuple productif, les autorités parlent de « vigilance rouge ». Pour avoir souffert auparavant des effets de la chaleur et du Covid-19, elles alertent sur les 40 degrés Celsius annoncés dans de nombreuses communes en France notamment.
En 2013, une étude menée par des chercheurs des universités de Berkeley et de Princeton révélait déjà qu’une simple hausse de 1 °C par rapport à la normale saisonnière suffisait pour que le nombre de violences (telles que les violences conjugales, meurtres, viols) augmente de 4 %, informe HuffingtonPost.
« Physiologiquement, quand il fait chaud, notre rythme cardiaque s’accélère, le pouls est plus fort, notre pression artérielle augmente, et notre niveau de cortisol (l’hormone du stress) augmente donc on aura tendance à se sentir plus irritable, mais les réactions varient d’un individu à l’autre et il manque encore des études poussées sur la question », rappelle Élodie Gratreau, doctorante en histoire et philosophie des techniques de soin en psychiatrie au sein du laboratoire Costech, contactée pour Le HuffPost.
Le manque d’oxygène accentue également ce sentiment d’irritabilité. En effet, lorsque certaines régions du cerveau commencent à manquer d’oxygène, notre corps envoie plus de sang que d’ordinaire dans le reste de notre corps pour le refroidir.
Dans ce cas-là, nous finissons par agir de manière plus impulsive, sous le coup de l’émotion. D’ailleurs, l’un des premiers signes du coup de chaleur, est « l’agressivité inhabituelle », rappelait il y a quelques années l’INPES, ancêtre de Santé Publique France.
La chaleur exacerbe la fragilité mentale
« Dans un temps de confinement, d’incertitude civilisationnelle où l’on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé d’un point de vue politique et sanitaire, évidemment que la canicule se vit autrement. Surtout lorsqu’on reste chez soi en télétravail, au bord du burn out », assure Joseph Agostini, psychologue clinicien contacté par Le HuffPost.
Par ailleurs, ces fortes chaleurs ont davantage tendance à toucher les personnes fragilisées. « L’impact de la canicule touche particulièrement les personnes isolées, vieillissantes, du troisième ou quatrième âge qui se retrouvent dans une solitude et dans un mal-être physique. Il y a chez eux un sentiment de dépression et la peur de mourir qui se manifeste », poursuit Joseph Agostini.
Outre les personnes âgées, les personnes sous traitements psychologiques peuvent également présenter plus de difficultés à supporter les fortes chaleurs. Il y a de l’anxiété parce que le corps sent qu’il est en danger vital.
Mais comme le rappelle Joseph Agostini, la chaleur a pour autre conséquence de creuser encore plus les écarts de mode de vie. « Entre les personnes qui disposent de la climatisation et les familles qui vivent à plusieurs dans les logements sociaux, les conséquences ne seront pas les mêmes. »
L’éco-anxiété
Il existe également le phénomène récent et encore mal connu de l’éco-anxiété. Il s’agit de personnes – la plupart des jeunes entre 18 et 24 ans – qui développent « une peur chronique d’un environnement condamné », selon la définition de l’Association américaine de psychologie.
En d’autres termes, il s’agit d’une impression d’assister aux conséquences du réchauffement climatique sans pouvoir ne rien y faire. Chez les personnes qui en souffrent, cela entraîne souvent « une souffrance individuelle avec des troubles associés comme des phobies et des angoisses extrêmes », a expliqué à la RTBF Véronique Lapaige, la psychiatre qui a conceptualisé cette notion d’éco-anxiété.
« La canicule vient clairement brandir le spectre des catastrophes climatiques », remarque Joseph Agostini. « Entre les inondations, les catastrophes naturelles à répétition et les pandémies mondiales, la vision de la canicule de 2003 a changé, il n’y a plus de rareté à l’événement, aujourd’hui c’est récurrent », souligne le psychologue.
Reste à entendre nos scientifiques silencieux comme des rats d’église à ce propos.
Maderpost / HuffingtonPost