Pour Imam Mahmoud Dicko, la faillite de nos Etats, qui s’explique par la l’incurie de nos gouvernants, explique le comportement des jeunes djihadistes qui sont en train de semer la terreur dans le Sahel. Le religieux malien a profité de son séjour dans la capitale sénégalaise, du 16 au 17 décembre 2021, dans le cadre d’un forum sur la recherche de la paix en Afrique de l’Ouest, pour accorder une interview à Alassane Samba Diop, dans son émission Questions directes sur Itv.
IMAM DICKO – Quel est l’objectif de la rencontre qui a motivé votre présence à Dakar ?
La rencontre est initiée par le Bureau des Nations unies à Dakar. L’objectif est de rassembler les légitimités religieuses et traditionnelles pour voir comment est-ce qu’on peut contribuer à la restauration de la paix dans notre sous-région.
Selon vous, pourquoi cette recherche de paix dans la sous-région est un peu difficile ?
Il faut dire qu’aujourd’hui la paix est une denrée rare dans le monde. Il n’est pas facile de la restaurer. Il est plus facile de restaurer le désordre que l’ordre. Ce qui fait que la paix est devenue rare. C’est vrai, il y a des tentatives de restauration de cette paix ici et là. Les pays voisins, ceux de la sous-région, ceux amis, la communauté internationale, chacun de son côté essaie de faire quelque. Mais nous espérons qu’avec toutes ces initiatives, le Mali parviendra, Insha’Allah, à une paix durable.
Vous faites partie des rares personnalités qui savent expliquer aux djihadistes ce qui passe. Comment comptez-vous aider le Mali, le Sahel d’une manière générale, à y faire face ?
Au début de cette situation, nous avons demandé de nous laisser parler avec ces jeunes gens. Ils ne sont pas des extraterrestres. Ce sont des hommes dotés de raison. Ce sont des gens qui n’étaient pas comme ça. Ce sont d’autres qui ont eu le temps de leur faire un lavage de cerveau, si je peux m’exprimer ainsi. Pourquoi vous pensez que si on leur parle, ils ne vont pas changer ? Il faut nous laisser parler avec eux, les sensibiliser. C’est notre jeunesse. Ils sont nos enfants. Quelque part, la faute nous incombe, nous parents. Parce que ce sont des enfants qui n’ont pas eu l’encadrement qu’il fallait. Certainement, ils n’ont pas eu l’éducation qu’il fallait. Il y a beaucoup de choses qui peuvent expliquer leur comportement. Ce n’est pas une façon de se justifier. Mais d’expliquer, qu’aujourd’hui, il faudrait que l’on se mette dans la tête que ce sont nos enfants. Autant ils sont en train de traverser le Sahara pour prendre des bateaux et mourir dans la Méditerranée parce que tout simplement ils se désespèrent des situations, et que nos gouvernants ne parviennent pas à les encadrer comme il le faut. Autant, des vendeurs d’illusions, qui viennent de n’importe où, et qui leur tendent la main, les poussant à tenter de les suivre. C’est à nous de comprendre la désillusion de ces jeunes et d’essayer de trouver des solutions à cela. Mais ne pas échanger avec eux n’est pas une bonne solution. Il y a beaucoup parmi ces jeunes qui sont des innocents et qui sont souvent victimes de manipulations. Il faudrait vraiment essayer de repêcher ces jeunes.
Les États ont privilégié la sécurité militaire, est-ce que c’est la solution, ou bien, il y a d’autres voies de paix ?
Il faut parler à ces jeunes au lieu de penser seulement à l’aspect sécurité, militaire, comme la seule solution. Même si on ne peut pas ne pas parler de sécurité parce qu’ils ne viennent pas les mains vides, mais avec des armes. Et, il est vrai qu’il faut combattre par les armes. Mais, il n’y a pas que ce ça. L’arme elle-même n’est rien. C’est la tête qui fait parler l’arme. Et cette tête-là, si vous la faites changer, l’utilisation que l’on va en faire va changer. C’est pourquoi nous pensons que le tout sécuritaire n’est pas la solution. Il faudrait voir comment est-ce que l’on pourrait trouver une solution pour orienter, encadrer et parler à nos enfants. Il fait regretter que des gens achètent des armes pour aller tirer sur des enfants qui sont les nôtres. Il faut reconnaître que nous avons une part de responsabilité dans ce qui se passe dans notre pays. Je l’ai dit à propos de Boko Haram. On doit se poser des questions : C’est dire que nous-mêmes, nous mettons au monde des enfants qui deviennent des monstres, qui n’écoutent personnes, qui sont là en train de nous tuer. Donc, il y a lieu de se poser des questions. Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi nos enfants sont devenus des monstres qui ne sont sensibles à rien ?
Est-ce que c’est la faillite de l’éducation ?
Mais bien sûr que oui ! La faillite, pas seulement de l’éducation, mais celle généralisée de nos États. C’est la faillite de notre gouvernance qui explique énormément de choses. Ce n’est pas une raison de charger nos gouvernants, mais ce sont eux qui ont la charge de gérer nos pays : l’éducation, la santé, l’encadrement, l’environnement… Aujourd’hui, ce que nous vivons, c’est la faillite de l’élite qui explique la faillite de nos États.
Le président Macron qui devait venir au Mali le 20 décembre, 2021 a dû renoncer à son voyage. Les autorités maliennes ont posé certaines conditions. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je ne peux rien dire par rapport à cela parce que je viens de l’apprendre avec vous. Je n’ai aucune idée ni aucune information sur cette information. Je préfère ne pas en parler.
Vous avez parlé de la faillite de nos Etats. Et la corruption ?
C’est cette faillite qui fait que nous assistons à la corruption à ciel ouvert. Nos administrations ne parviennent plus à gérer les choses de manière orthodoxe. Donc, le comportement des jeunes peut s’expliquer de cette manière. On a aussi l’évolution de ce monde. Il y a des bouleversements. Le monde s’apprête à aller vers un nouvel ordre. Il faut prier pour qu’il n’entraîne pas un certain désordre. Il faut se rendre à l’évidence et se préparer à ces changements. Toutes les idéologies que les hommes ont eu à expérimenter ont montré leurs limites. Il n’y a plus de communisme, de libéralisme ou de capitalisme. Tout ce qui est « isme » là, c’est fini ! Même l’islamisme, les gens l’ont expérimenté, mais il y a problème. Donc, aujourd’hui il faut réinventer la gestion de nos affaires.
Maderpost / Emedia