Les pleurnicheries annuelles sur l’aide à la presse, les larmoiements quinquennaux pour les amnisties fiscales, les suppliques semestrielles pour être reçus au Palais, les ententes cordiales avec les sociétés publiques, ça dure depuis plus de quarante ans et ne donne rien.
TRIBUNE – Les ruines de la République, la presse à l’agonie : que d’émotions…
Ne prenons pas des airs de vierge effarouchée : au regard des résultats des dernières locales, comme des législatives, surtout après le cirque de l’installation de cette législature, il faut tout de suite comprendre que les périodes d’actualités ennuyeuses sont derrière nous.
La présidentielle, bien entendu, en est le surréaliste pompon. Sauf que l’on ne s’imagine alors pas à quel point…
Et donc, la semaine passée, c’est à l’occasion de la Journée de l’Arbre que la salve retentit. Le Premier ministre Ousmane Sonko, toujours lui, le devoir de planter son végétal accompli, s’offre une sortie dans le style dont il a quasiment le monopole du secret : « Nous avons trouvé un pays en ruines ! ».
C’est presque téléphoné : quelques semaines auparavant, le nouveau patron de la RTS, Pape Alé Niang, manifestement ému de l’état du pays que le nouveau pouvoir semble avoir des scrupules à avouer, depuis les réseaux sociaux, allume la mèche : en résumé, il faudra que l’alchimie en fusion « Diomaye môy Sonko », enfin, parle vrai au peuple… Aussitôt relayé par le frétillant DG de la Caisse des Dépôts, Fadilou Keïta, lequel ne cherche pas ses mots pour en désigner les responsables : les vandales du régime sortant laissent derrière eux un pays dont même l’herbe ne pousse plus…
Certes, les partages de terres sur la corniche dakaroise et à l’entrée de Thiès peuvent distraire l’opinion quelques jours et les vidéos des palaces d’anciens privilégiés qui circulent au même moment en rajoutent aux fureurs surfaites des énervés congénitaux.
Ça ne suffit pas, manifestement, à étancher la soif inextinguible de revanche du « peuple des 54 % ». Lequel commence à s’agacer prodigieusement et pas seulement parce que l’on ne pend personne haut et court sur la place publique… Sur les grands boulevards, il assiste, incrédule, aux déguerpissements des vendeurs à la sauvette, à l’immobilisation des motocyclettes de la « Génération Tiak-Tiak » qui sont des siens : les votes du 24 mars 2024 semblent se retourner contre eux.
C’est limpide, il faut en urgence de gros poissons dans la nasse en attendant que le « Projet » sorte de la salle d’accouchement de l’administration PASTEF pour distribuer les milliers d’emplois que tout ce beau monde attend. Enfin, sauf ceux qui continuent de braver les océans pour se réfugier dans des pays où le rêve de bien-être est encore permis.
Bref, les quelques sucettes qu’on saupoudre çà et là ne suffisent pas.
Signe des temps ? On apprend dans la presse que la belle-mère du président sortant, une adjaratou à la santé que l’on dit chancelante, devrait être entendue par la gendarmerie, quitte à aller la cueillir avec un panier à salade, en compagnie d’un de ses fils, pour de sulfureuses histoires de foncier.
Une arrestation retentissante piochée dans le camp présidentiel, comme celle de Karim Wade au début des années Macky ? Le « peuple des 54 % » n’attend que ça pour se dérider…
Y a peut-être mieux, ou pire, c’est selon.
Déjà, de folles et insistantes rumeurs invoquent des poursuites pour « crimes contre l’humanité » à l’encontre de Macky Sall, qui serait l’unique responsable de plus de quatre-vingts vies perdues. Et l’on ne vous parle pas des milliers de « prisonniers politiques », comprenez d’innocents citoyens sans défense, ramassés au petit bonheur la malchance, pour le crime odieux d’arborer des bracelets vert-blanc-rouge, entre 2021 et 2023.
Ça ne devrait pas précéder de beaucoup la traque de ses biens mal acquis. Déjà, on a du mal à digérer le pied-à-terre de Marrakech, ses voyages autour du monde en jet privé, le salaire indécent que le président français, Macron, lui paye.
A se demander si le nouveau régime ne va pas lui interdire finalement de poser les pieds au Sénégal en le menaçant d’emprisonnement. Sait-on jamais ? Pour peu qu’il se voie de retour au Palais de l’avenue Senghor dans cinq ans alors que le « Projet » en a en principe pour un demi-siècle…
Trêve de rêveries, la horde des opprimés s’impatiente, et il lui faut du lourd.
C’est vrai, entretemps, ça lève un lièvre avec ses grandes oreilles, qui fait du bruit : quarante milliards de francs CFA de dettes fiscales pour une presse complètement corrompue par Macky Sall, et dont les patrons mènent jusque-là grand train, à coups de subventions indues et de conventions complaisantes avec les établissements publics. Quand la nouvelle du blocage des comptes de ces vendus se répand en même temps que la résiliation des contrats tirés par les cheveux, ça fait des sauts de cabris dans le petit monde coloré du PASTEF.
Vous voulez mon avis sur cette affaire de bras de fer de la presse et du pouvoir ? Je vous le donne quand même…
C’est un esprit brillant, une dame distinguée, Fatima Simone Bâ, qui nous sort la formule imparable : « La presse s’est embarquée dans une économie de la pitié ». En effet, cela fait bien longtemps que la mécanique des médias est surannée, avec le passage au digital.
Qui disait que « Google a enterré Gutenberg » ? C’est bien de cela qu’il s’agit.
Les pleurnicheries annuelles sur l’aide à la presse, les larmoiements quinquennaux pour les amnisties fiscales, les suppliques semestrielles pour être reçus au Palais, les ententes cordiales avec les sociétés publiques, ça dure depuis plus de quarante ans et ne donne rien.
Et ça nous affuble, tout ce temps, nous autres de la presse, des haillons du pauvre qui vit du « charity business » des hommes de pouvoir, avec des grelots démocratiques autour du cou pour résonner en cas de tribulations électorales, et le certificat de bonne vie et mœurs selon que votre titraille du jour convient à votre bailleur de fonds.
Depuis, ça vit de la pitié que ça inspire à des gens qui regardent la populace des médias de haut. Or, le journalisme est tout sauf cela : sa déontologie tend en entier vers le respect dû à celui qui l’exerce, sans doute le plus beau métier du monde…
Revenons à la vraie vie, où un nouveau pouvoir, pour aider ses ouailles à patienter, repeint le tableau de la République aux couleurs de la catastrophe.
Et puisque les déclarations vont crescendo, du simple DG au Premier ministre, il ne reste plus qu’au président de la République soi-même d’annoncer solennellement la banqueroute nationale…
Pour l’heure, ça se contentera de la déclaration du Premier ministre sur les décombres fumants que sont les ruines de la République.
Et sur ces paroles pleines de sagesse qui nous font redouter le pire dans les semaines qui viennent, Monsieur le Premier ministre embarque dans l’avion présidentiel à destination de Kigali, où le champion toutes catégories de la mise au pas d’un pays aux penchants sanguinaires s’apprête à entamer un quatrième mandat sans qu’un seul toussotement ne vienne semer le doute sur sa légitimité. Respect.
On s’imagine bien que pour honorer ce rendez-vous continental, la République doit casser la dernière des tirelires, celle retrouvée sous un tas repoussant de débris et que Macky Sall, dans son départ précipité, ne pense pas à emporter.
Et donc, le Premier ministre prend les airs. Sur la photo de la tribune d’honneur, il n’est certes pas aux premiers rangs mais l’essentiel, puisque nous sommes en période olympique, n’est-il pas de participer ? Et puis, qui nous dit que pour le dixième mandat de Paul Kagamé, Ousmane Sonko ne sera pas là, cette fois avec le rang de chef d’Etat, au-devant de la scène ?
Calmez-vous, je blague !
Après le saut de puce de Kigali, escale à Bamako, pour une séance de travail avec l’homologue malien qui se fend d’un discours pour saluer la fraternité sénégalo-malienne, en évoquant, « les chantiers obliques » qu’on risquerait d’emprunter si ça ne tient qu’aux nouveaux colons.
Y a du boulot à Bamako…
Comme il faut s’y attendre, Ousmane Sonko n’échappe pas à la question du panafricanisme exacerbé de PASTEF avant le 24 mars 2024, qui a tendance à ramollir. Non, il reste le même, dit-il, en conseillant à ses frères de ne pas céder aux émotions fortes. Il sait sans doute de quoi il parle, ayant eu à souhaiter déloger Macky Sall du Palais et lui faire connaître le sort de Samuel Doe.
Résultat, c’est Diomaye, le Président.
Maderpost