Après ce qui s’est passé le lundi 05 février à l’Assemblée nationale, avec le vote au forceps du report de la présidentielle au 15 décembre 2024 et de la prorogation concomitante du mandat présidentiel, notre démocratie a été enterrée en mondovision. La Constitution, celle-là même proposée par le président Macky Sall en référendum en 2016, a beau avoir inclus une clause d’éternité et un verrouillage à la durée du mandat présidentiel, mais rien n’est assez fort pour réfréner la volonté du pouvoir d’imposer ses désirs.
TRIBUNE – Comment comprendre cette insistance du chef de l’Etat à s’affranchir des règles et des lois pour jouer sa musique personnelle ? Douze années après son accession au pouvoir, on est toujours ahuri face à la hardiesse de sa gouvernance.
Macky Sall dissout le passé le plus récent et rend illisible l’avenir. Il nous enferme dans un présent perpétuel d’annonces sans lendemain, de péripéties privées, dans un surgissement quasi quotidien de choses nouvelles aussitôt oubliées et remplacées par d’autres. Il nous fait valser entre le virtuel et l’amnésie, donnant à ses engagements l’épaisseur d’une feuille de brick. En réalité, ses engagements sont tactiques.
Ils visent un effet électoral immédiat puis sont remisés au grenier de ses promesses sans lendemain. N’avait-il pas promis de réduire son premier mandat pour séduire les candidats malheureux du premier tour de la présidentielle de 2012 avant de s’abriter derrière une décision du Conseil constitutionnel ? L’intangibilité du mandat présidentiel évoquée alors par les « Sages » n’a pesé lourd cette fois-ci. Ses députés ont fait le boulot.
Ce 05 février, le Sénégal a révélé son vrai visage à la face du monde. Cet ilot démocratique naguère chanté n’avait de démocratique qu’un vernis électoral. Il s’est craquelé devant les caméras d’ici et d’ailleurs, révélant l’horreur d’un mensonge pluri décennal. Nous sommes dirigés depuis notre indépendance par des despotes lisses à l’étranger et durs comme de la lave séchée avec leurs concitoyens. Senghor a été un administrateur colonial qui a étouffé les libertés et les grands esprits, Abdou Diouf a géré le pays avec une main de fer dans un gant de velours, Me Wade a été un despote « éclairé » et Macky Sall s’est débarrassé du gant de velours de Diouf pour ne garder que la main de fer.
Depuis son accession au pouvoir, l’actuel président s’est armé d’un bélier pour défoncer les remparts de notre démocratie. Les opposants sont systématiquement traqués, embastillés, salis par des dossiers judiciaires montés de toutes pièces pour donner corps à son rêve d’éternité au pouvoir. Ses engagements ne l’engagent pas. Seuls comptent, pour lui, les intérêts de son clan.
Tandis que l’opposition s’indignait poliment au coup par coup – à l’exception notable de Pastef -, que les médias s’échinaient à commenter et à décrypter le langage, le comportement du Président, à définir son « style » et à lui sculpter une belle statue de génie politique, quelque chose avançait à pas lent mais sûr. Une subversion, une destruction à grande vitesse des principes de liberté et de pluralité.
De la rencontre entre les peurs, la fatalité, les renonciations d’une grande partie des citoyens et de l’ambition aussi ombreuse qu’effrayante du chef de l’Etat est né un partage naturel entre forts et faibles, « honnêtes » et « voyous », entre républicains et radicaux, entre « fossoyeurs de la République » et sauveurs. Un pays divisé en somme, propice aux outrages contre les règles les plus consensuelles.
La République est une créature constitutionnelle à incarnation humaine variable. Les hommes passent, mais ses piliers résistent au temps et puisent leur vigueur dans l’effort conjugué des générations successives à consolider ses acquis. Hélas ! Le pouvoir actuel a déserté les sentiers de la vertu républicaine, préférant favoriser des destinées individuelles au détriment du grand destin national.
Sidy Diop, journaliste-formateur
Maderpost