Monsieur le Président de la République, Je sais que vous le savez. La tension politique monte et ne faiblit pas. La tension sociale n’est pas en reste. Le sentiment d’injustice et les frustrations gagnent du terrain avant même le verdict des urnes. TRIBUNE – Malgré les efforts combinés, pendant plusieurs décennies, de la classe politique, de la société civile et des partenaires au développement, le système électoral sénégalais a révélé son point faible : la gestion de la participation aux élections. Monsieur le Président de la République, La situation inédite actuelle comporte de graves conséquences juridiques et politiques. Les incertitudes sont largement justifiées : – à la suite de la décision du Conseil constitutionnel, une liste de suppléants n’a-t-elle pas changé de nature juridique en se drapant de toutes les caractéristiques d’une liste de titulaires ? Tout porte à le croire car une liste de « suppléants » en compétition sans liste de titulaires recueille les suffrages des électeurs qui lui attribuent directement des sièges de députés dans les mêmes conditions que les listes de titulaires des autres partis ou coalitions concurrentes. – peut-on toujours considérer ce candidat comme un suppléant ? – peut-on obliger le suppléant qui, au départ, a déposé une déclaration de candidature pour remplacer un titulaire élu dans l’éventualité d’une vacance, à changer de posture ? – peut-on valablement empêcher une coalition privée de sa liste de titulaires de reconstituer une liste de « suppléants » complète, avec les candidats de son choix et les identifiants comme la photo de la tête de liste ? – la présentation d’une liste incomplète (50 au lieu de 53) contrairement aux autres listes concurrentes est-elle admissible ? – les modalités de remplacement d’un député titulaire élu sur une liste de titulaires sans liste de suppléants n’étant pas définies, comment procéder en cas de vacance ? Monsieur le Président de la République, Au-delà de ces interrogations, d’autres préoccupations méritent d’être soulevées nonobstant l’encadrement juridique en vigueur : – peut-on raisonnablement admettre la possibilité d’écarter une liste entière d’une participation aux élections parce qu’elle comporte une irrégularité sur un (e) candidat (e) clairement identifié(e) ? – peut-on raisonnablement admettre de priver d’une participation un parti ou une coalition parce qu’un parrain a été déposé en plus ? – peut-on raisonnablement admettre qu’un texte réglementaire soit publié dans un numéro spécial du Journal officiel qui prend effet pour un événement qui s’est produit la veille ? – peut-on raisonnablement admettre qu’une décision de la justice communautaire exigeant de revoir le système de parrainage sur des points essentiels ne soit pas pris en compte ? – peut-on raisonnablement admettre qu’une liste de candidats soit écartée pour défaut de parité alors que l’idéal est de faciliter l’observation de la règle paritaire en autorisant les rectifications idoines et en aidant les acteurs à se conformer à ce principe salutaire ? – peut-on raisonnablement admettre qu’une liste soit écartée parce que le montant de la caution exigée, bien que réuni, n’est pas déposé sous forme d’un chèque de banque alors que l’essentiel est de s’assurer de l’effectivité de la provision et de l’origine licite des fonds ? – peut-on raisonnablement admettre qu’une liste soit écartée parce des parrains ne sont pas retrouvés comme électeurs alors que leur pièce d’identité prouve le contraire et qu’ils ont effectivement apposé leurs signatures sur les fiches de parrainage ? Monsieur le Président de la République, En plus de tout cela, il est aisé de constater qu’aucune poursuite judiciaire n’est engagée contre les auteurs de parrainages multiples malgré la sanction pénale prévue. Il est également évident que le contrôle du parrainage se fait avec un système conçu et mis en œuvre sans consensus ni droit de regard de tous les acteurs. Monsieur le Président de la République, Dans ces conditions où trop de faits dérangent, vous comprenez aisément l’incompréhension et les frustrations des acteurs politiques victimes de ces dysfonctionnements ou incohérences, quel que soit leur niveau de responsabilité dans la survenance du dommage. Aujourd’hui, le piège s’est refermé sur tous les acteurs, le Rubicon est franchi. « Li doon raam bët na ñak bi ». Pour sortir de cette spirale, l’heure est donc venue d’examiner urgemment ces entorses au principe démocratique de la libre participation à la compétition pour l’expression du suffrage du corps électoral. Monsieur le Président de la République, C’est à votre sens de responsabilité que je me permets de faire appel. Il vous revient de préserver la paix et la stabilité avant d’être dans l’obligation de tenter de les rétablir. Aujourd’hui, les germes pouvant faire craindre une menace sérieuse sur la stabilité politique et sociale de notre pays sont perceptibles. En effet, le contexte est marqué par une violence verbale inouïe, venant de tous les bords et dont le traitement différencié est étonnant, un pouvoir d’achat érodé par plusieurs facteurs internes et externes, une insécurité galopante, un environnement international instable notamment dans la sous-région, une étincelle suffit pour que le pire survienne. Que Dieu nous en préserve ! De surcroît, on s’achemine vers des élections législatives dont les enjeux n’échappent à personne. Monsieur le Président de la République, agissez pour le mieux, pour le bien de notre pays commun que nous vous avons confié, en faisant preuve de dépassement. Vous connaissez parfaitement votre devoir. Boubacar CAMARA Kamâh 14 juin 2022 ]]>
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