FACT CHECKING – Le président sénégalais, Macky Sall, a profité de son adresse à la nation du 31 janvier 2019 pour vanter les résultats de sa politique à la tête du pays. C’est ainsi que selon lui, « en dépit d’une conjoncture mondiale difficile », le Sénégal garde le cap. Il en veut pour preuve « la réduction constante du déficit budgétaire, de 6,7 % en 2011 à 3,7 % en 2019 ». Même si la déclaration du chef de l’Etat sénégalais est globalement correcte, une mise en contexte s’impose.
Qu’entend-on par déficit budgétaire ?
On parle de déficit budgétaire « lorsque les dépenses publiques, à l’exclusion du remboursement de la dette, sont supérieures aux recettes publiques hors emprunt », a expliqué à Africa Check l’économiste fiscaliste Mamadou Ngom, enseignant associé à la faculté de sciences économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et au Centre africain d’études supérieures en gestion (CESAG).
Selon le site Vie Publique, le déficit budgétaire est différent du déficit public qui est « le déficit cumulé des administrations publiques (Etat, collectivités territoriales, organismes de sécurité sociale) ».
L’économiste Cheikh Ahmed Bamba Diagne, directeur scientifique du Laboratoire de recherche économique et monétaire (LAREM) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, indique que « le déficit budgétaire se traduit par des emprunts nouveaux que l’Etat doit contracter au cours de l’année ».
« La succession des déficits qui s’empilent favorise de nouveaux déficits dont le financement gonfle la dette », explique Docteur Thierno Thioune, maître de conférences Titulaire en Economie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. « Cela peut engendrer un endettement inefficace », souligne-t-il
Evolution du déficit budgétaire du Sénégal de 2011 à 2019
Selon le rapport sur la situation économique et financière 2012, publié en avril 2013 par la Direction des prévisions et des études économiques (DPEE), le déficit budgétaire du Sénégal était de 442,4 milliards F CFA, soit 6,7 % du Produit intérieur brut (PIB). Pour l’année précédente (2010), ce déficit était de 333,7 milliards F CFA, soit 5,2 % du PIB, souligne le rapport sur la situation économique et financière 2011.
Le budget 2013 est la première loi de finances initiale adoptée et exécutée sous Macky Sall, arrivé au pouvoir en mars 2012. Et cette année-là, le déficit budgétaire était évalué à 400,4 milliards F CFA (soit 5,5 % du PIB).
Le déficit budgétaire connaîtra ensuite une baisse constante pour atteindre 3 % en 2017, avant d’amorcer une nouvelle hausse pour atteindre 3,7 % en 2018 et 3,8 % en 2019.
(Note: Toutes ces données sont issues de rapports publiés par la Direction de la prévision et des études économiques, la Direction générale du Budget et de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie. En fonction des documents on peut constater une légère différence entre les chiffres, notamment quand il s’agit de prévisions).
L’économiste Mady Cissé, du Centre d’Etudes pour le Financement du Développement Local (CEFDEL), attire toutefois l’attention sur le fait que « le déficit budgétaire de l’année 2011 est évalué au PIB base 1999, alors que le déficit budgétaire de l’année 2019 est évalué au PIB base 2014 ».
Macky Sall a comparé deux PIB dont les bases sont différentes
En effet, en 2018 le Sénégal a annoncé la rénovation de ses comptes nationaux avec la mise en place d’une nouvelle année de base, 2014, remplaçant l’année de base 1999.
L’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) explique, dans le document Mise en oeuvre du changement d’année de base des comptes nationaux du Sénégal, que « les différents changements apportés ont induit une révision de 29,4 % du PIB de 2014 ».
Par conséquent, poursuit l’ANSD, « le Produit intérieur brut (PIB) est ressorti à 9 775 milliards FCFA, en hausse de 29,4 %, comparativement à son niveau de 2014 évalué selon l’ancienne base 1999 ».
De même, l’agence souligne que « la hausse du PIB, issue du changement de l’année de base, améliore le classement du Sénégal sur les critères de convergence de l’UEMOA concernant le déficit budgétaire fixé à 3 % du PIB ».
Selon Mady Cissé « le président a évalué le déficit budgétaire en pourcentage du PIB sur deux PIB dont les bases sont différentes (PIB 2011 sur base 1999 et PIB 2019 sur base 2014) ».
De même, le président sénégalais, dans sa déclaration, a omis d’indiquer que le déficit budgétaire a repris une tendance haussière à partir de 2018.
La Note d’analyse des comptes nationaux 2018, publié par l’ANSD, explique qu’« une année de base constitue l’année de référence des structures et agrégats macroéconomiques ».
Impact du changement de l’année de base sur le déficit budgétaire
L’agence explique les raisons du changement de l’année de base par la nécessité « de prendre en compte l’évolution structurelle de l’activité économique mais aussi par le souci d’améliorer la qualité des comptes nationaux, dégradée par l’éloignement de l’année de base en vigueur jusque-là ».
La note d’analyse des comptes nationaux de 2018 montre ainsi qu’avec la nouvelle année de base 2014, le déficit budgétaire de cette même année (2014) a été réévalué à 3,9 % du PIB au lieu de 5,1 % sur l’année de base 1999. En 2015 il a été réévalué à 3,7 % (année de base 2014) au lieu de 4,8 % sur l’année de base 1999.
Cheikh Ahmed Bamba Diagne rappelle par ailleurs que c’est le changement de l’année de base qui a entraîné la baisse du taux d’endettement du Sénégal.
L’ANSD précise que, la mise en oeuvre de la nouvelle année de base a eu pour conséquences le repli du poids des taxes qui s’établit « à 10,8 % du PIB contre 12,8 % dans l’ancienne base ».
Conclusion: la déclaration de Macky Sall sur la réduction du déficit budgétaire peut induire en erreur
Lors de son adresse à la nation, le 31 décembre 2019, le président sénégalais Macky Sall a fait état d’une « réduction constante du déficit budgétaire ». Il donne comme preuve le fait que ce déficit était à 6,7 % en 2011 et se situe à 3,7 % en 2019.
Les données consultées par Africa Check montrent que le président sénégalais a globalement raison sur les chiffres (en réalité le déficit attendu pour 2019 est évalué à 3,8 %).
Toutefois, Macky Sall ne prend pas en compte l’impact du changement de l’année de base de calcul du PIB, de 1999 à 2014, qui a eu pour effet la réduction du déficit budgétaire.
En outre, le Chef de l’Etat sénégalais a omis de préciser que le déficit a repris une tendance haussière depuis 2018.