Au cœur d’une période délicate de son histoire politique, le Sénégal voit se dessiner la stratégie du président Macky Sall, à travers les déclarations de son ministre de la Justice, Aissata Tall Sall. Cette stratégie soulève un débat profond sur les enjeux démocratiques et les mécanismes de gouvernance.
TRIBUNE – À travers les propos de son ministre de la Justice, Aissata Tall Sall, lors de sa conférence de presse de ce mardi 20 février 2024, se dessine une volonté de naviguer dans les tumultes constitutionnels et politiques avec une approche qui semble à la fois conciliante et calculatrice.
Aissata Tall Sall, en sa qualité de ministre de la Justice, vice-présidente du Conseil supérieur de la magistrature, éclaire la position officielle du gouvernement face à la décision du Conseil constitutionnel, mentionnant explicitement que le président Macky Sall “a pris acte“ de cette décision et invite au dialogue.
Cette ouverture au dialogue, selon elle, est destinée à écouter toutes les parties prenantes. Toutefois, elle reconnaît l’incertitude quant aux résultats de ce dialogue, soulignant une situation où la voie à suivre reste indéterminée, en particulier concernant la vacance de pouvoir annoncée pour le 2 avril.
Elle s’interroge concernant le dialogue, “qu’est-ce qu’il en sortira“ ? “Je ne sais pas“ répond-elle avant d’ajouter, « par contre, ceux qui disent qu’à partir du 2 avril il y a vacance de pouvoir, moi j’ai ma réponse en tant que juriste. C’est un débat entre juristes, entre constitutionnalistes et ma réponse importe peu. Le 2 avril arrivera, prions tous d’être là et observons ce qui se passera“.
“Ce à quoi nous sommes astreints, c’est d’organiser l’élection dans les meilleurs délais. C’est quand le meilleur délai ? C’est lorsque les acteurs du dialogue se mettront ensemble et diront ce qu’ils pensent des meilleurs délais. Moi j’ai ma façon de penser les meilleurs délais, mais ce n’est pas ça qui intéresse. Aujourd’hui, le président de la République a sa façon de penser, il aurait pu dire voilà ce que je pense et l’imposer, mais il a trouvé que c’était plus sage de réunir tous les acteurs et de s’entendre. Donc, sous les meilleurs délais, vous aurez la signification des meilleurs délais du Conseil constitutionnel“.
Aissata Tall met donc l’accent sur l’obligation d’organiser les élections dans les “meilleurs délais“, pour indiquer qu’il s’agit là d’une formulation qui prête à interprétation et qui devra être précisée par le consensus des acteurs du dialogue national.
Cette démarche qui, dans de toutes autres conditions, pourrait apparaître comme démocratique et consensuelle, n’est rien d’autre qu’un masque d’une stratégie bien plus nuancée, voire machiavélique, de la part du président Macky Sall.
Premièrement, en insistant sur l’utilisation du dialogue pour définir les “meilleurs délais“, Macky Sall semble embrasser une tactique de dilatoire, retardant potentiellement la date de l’élection pour manœuvrer selon ses intérêts politiques du moment.
Deuxièmement, en ramenant la question de la date limite de son mandat à un débat juridique, il cherche à minimiser l’importance politique de cette échéance, la réduisant à une simple question technique.
Cette stratégie révèle une tentative de Macky Sall de contrôler le narratif autour de la fin de son mandat, en utilisant le Droit comme un outil pour légitimer une approche qui s’éloigne des principes démocratiques. Par ailleurs, cette approche marginalise la voix du citoyen et réduit l’espace public de débat à une arène technique inaccessible au grand public.
Il est impératif de reconnaître que, au-delà des arguments juridiques, la question de la gouvernance et du respect des délais constitutionnels est fondamentalement politique.
Elle concerne le respect des règles du jeu démocratique et la légitimité du pouvoir en place. Le dialogue national, tout en étant nécessaire dans d’autres conditions que celles actuelles, ne doit pas servir de prétexte pour éluder ces questions fondamentales ou pour imposer un agenda politique qui sape les fondements de la démocratie.
Face à cette situation, il est crucial que les forces vives de la nation, au-delà des clivages politiques et juridiques, se mobilisent pour exiger la transparence, le respect des procédures démocratiques et l’engagement envers les principes qui fondent le vivre ensemble. Il s’agit non seulement de répondre sur le terrain du droit, mais surtout sur le terrain politique, où chaque citoyen a le droit de s’exprimer et d’exiger le respect des engagements pris.
L’appel à des idées fortes et à des actions civiles non-violentes est plus que jamais pertinent pour contrer la réussite de toute tentative de coup d’État constitutionnel. La mobilisation citoyenne, informée et pacifique, reste l’outil le plus puissant pour défendre la démocratie et assurer que le futur politique du Sénégal reflète la volonté du peuple, dans le respect des normes démocratiques et constitutionnelles qui ont uni la nation.
Maderpost