L’oignon est devenu, à cause d’une mauvaise gestion du secteur, une denrée rare et chère au Sénégal. Le manque de volonté politique claire, la posture incohérente des acteurs publics en charge du système de gestion de la filière, la résistance au changement de pratiques de certains consommateurs sénégalais, habitués à l’oignon importé, expliqueraient la tension sur le marché, au grand dam des consommateurs.
TRIBUNE – Les fortes spéculations autour du prix de l’oignon comme symbole du dérèglement du marché de cette filière.
L’oignon, ingrédient phare de la majorité des plats sénégalais, constitue une denrée de luxe au quotidien et rare à chaque approche d’un évènement majeur, comme la fête de la Tabaski, le Magal de Touba et les Gamou organisés régulièrement dans les différentes villes religieuses. Cette situation préoccupante symbolise l’échec dans la mise en œuvre sectorielle de certaines politiques publiques.
Pourtant, le Sénégal, propice à l’horticulture de l’oignon, avec un climat favorable, peut devenir un pays producteur et exportateur de plusieurs denrées, l’oignon en particulier. Malheureusement, ce vieux vœu de pays autosuffisant en oignon, pour ne parler que de cette filière, reste à l’état de simple vœu. Au contraire, les autorités en charge de ce secteur font appel à l’étranger pour approvisionner assez correctement le marché national. Le constat est donc sans appel. La baisse de l’offre est la cause de la forte hausse du prix de l’oignon, allant jusqu’à engendrer des augmentations vertigineuses des prix, en dehors de toute réglementation.
Cette situation pousse les associations de défense des droits des consommateurs à tirer la sonnette d’alarme, en dénonçant la hausse constante des prix. En effet, le prix d’un sac d’oignon de 25 kg est passé de 7500 F Cfa à 25 000 F Cfa dans certaines localités. A Ziguinchor, région qualifiable de grenier du Sénégal, le prix du kilogramme d’oignon est fixé par certains commerçants, qualifiables de véreux, à 2500 F Cfa. Une honte !
Il faut rappeler qu’à cette période de l’année dernière, pareille situation était constatée. On se souvient tous des scènes surréalistes de populations de Touba, se transformant en manutentionnaires, pour décharger les sacs d’oignon dans les rares camions d’approvisionnement du produit roi, à l’approche du grand Magal.
Pour faire face à cette baisse de l’offre sur le marché, cette année encore, les autorités compétentes font appel à une idée de génie : l’importation de l’oignon ?
Le recours abusif à l’importation comme marqueur de l’échec de la politique de la filière oignon
Décréter la souveraineté alimentaire ne suffit pas, elle doit être suivie par des politiques et stratégies audacieuses, marquées par l’acquisition de matériels de production modernes, d’infrastructures de stockage et de conservation à des endroits stratégiques et de réglementation des filières strictes, pour atteindre des productions locales massives.
L’autosuffisance en oignon que certaines autorités veulent nous faire croire depuis quelques années, est aujourd’hui apparue, avec la tension extrême que connaît le marché, comme un leurre. La réception de 7000 tonnes d’oignon au Pport de Dakar, fêtée et médiatisée, loin de satisfaire la demande locale, constitue le marqueur de l’échec de la gestion de la filière oignon au Sénégal.
Les acteurs de la filière affirment pourtant qu’ils sont capables de produire à suffisance pour le marché intérieur, mais ils se confrontent à des difficultés liées au stockage et à la conservation.
En effet, plus de 400 000 tonnes d’oignon ont été produites en 2022, alors que les besoins de consommation s’élèvent à environ 300 000 tonnes, soit une consommation journalière entre 850 et 1000 tonnes. Face au manque de magasins et de chambres froides de stockage, les producteurs, pour ne pas perdre le fruit de leur dur travail, se retrouvaient dans l’obligation d’exporter des milliers de tonnes vers l’Espagne, les Pays-Bas, etc. Aujourd’hui, le Sénégal est obligé d’importer depuis ces pays pour permettre aux ménages de continuer à cuisiner les repas quotidiens, à bas prix. Forcément, il y a plusieurs dysfonctionnements quelque part. Il faut les déceler et les résoudre définitivement pour que pareilles situations ne se reproduisent plus.
L’obligation du gouvernement d’accompagner et d’encadrer les producteurs pour sauver la filière oignon et servir d’exemple aux autres filières agricoles.
Le riz, le mil, le blé, l’oignon, entre autres, constituent des denrées fortement consommées au Sénégal, et leur pénurie pourrait mettre de l’huile sur le feu dans un contexte politico-social extrêmement tendu. Il serait donc logique d’accorder une importance capitale à ces secteurs vitaux, au même titre que les politiques régaliennes.
Ainsi, la première des contraintes à résoudre, c’est celle relative à la capacité de stockage et de conservation des productions. Tous les acteurs de la filière, producteurs comme les services des ministères du Commerce et de l’Agriculture, s’accordent sur ce constat depuis plusieurs années déjà. A partir de là, il est légitime de se poser la question de savoir pourquoi la célèbre maxime « gouverner c’est prévoir » n’a pas été mise en œuvre pour ce cas d’espèce.
Le gouvernement a l’obligation de mettre les producteurs dans de bonnes conditions de travail. Cela passe par l’accompagnement dans la transition mécanique des outils de travail des producteurs. Il faut reconnaître que d’énormes moyens ont été accordés au secteur de l’agriculture pour la modernisation des équipements et l’approvisionnement de produits fertilisants. Cependant, vu l’importance stratégique du secteur, surtout avec la crise mondiale des matières premières alimentaires, les autorités politiques devront accentuer, encore aujourd’hui plus qu’hier, l’aide et l’accompagnement aux agriculteurs.
Concernant la question du stockage, les autorités compétentes, l’Autorité de régulation des marchés (Arm) et l’Organe de régulation du système de récépissé d’entrepôt (Or-Sre) en particulier, devront se parler et harmoniser leurs interventions pour plus d’efficacité dans la création et le déploiement des entrepôts de stockage.
Le constat est qu’une part belle est réservée aux producteurs d’anacarde avec des magasins de stockage mis à leur disposition par l’Or-Sre, alors que la consommation de l’oignon est bien plus importante. Ces deux services du ministère du Commerce gagneraient à travailler d’une manière intelligente, afin de doter les producteurs d’entrepôts et de chambres froides pour la conservation des récoltes agricoles.
Ainsi, des capacités de stockage devront être créées et/ou renforcées dans les zones de grande production : c’est le cas dans les Niayes, à Gandiol dans la région de Saint-Louis, à Potou dans la région de Louga. D’autres territoires, Matam, Malicounda et dans la commune de Diembering, devront être dotés également d’entrepôts de stockage adaptés.
Cette politique infrastructurelle réalisée permettra d’atténuer les pertes post-récoltes, évaluées aujourd’hui entre 13 et 30%. Aussi, l’Etat, par le biais de l’Institut sénégalais de recherche agricole (Isra), devra être mis à contribution pour accompagner les producteurs vers des productions contre-saison et la culture d’une variété d’oignons de qualité, facile à la conservation.
Enfin, l’Etat devra veiller à ce que la fermeture du marché d’importation, pour inciter la consommation de produits locaux, ne soit pas dévoyée vers des spéculations abusives des prix. La responsabilité de fixer les prix, par le biais de ses services compétents, revient à l’Etat, seulement à l’Etat, après des consultations inclusives de tous les acteurs. Le résultat de ces politiques permettra à coup sûr une alimentation ininterrompue du marché national. L’exportation de l’excédent pourra ainsi être envisagée.
Par Souleymane SOW
Docteur en droit public de Normandie Université
Président du Think Tank Le Sénégal Audacieux
Maderpost