La déclaration la semaine dernière du président de la République selon lequel le Sénégal est un « État contraint » disposant d’une administration certes républicaine mais « incohérente », « figée » dans un « schéma dépassé » a indiqué le caractère complexe et crucial du contexte du moment. Mais faut-il pour autant baisser les bras quand on sait que la crise financiere est aussi une opportunité pour les nouvelles autorités.
POLITIQUE – Les populations devraient-elle prendre peur après la déclaration du Président Bassirou Diomaye Faye ? Les plus optimistes parmi lesquels nous nous comptons estiment que plutôt que d’avoir peur, la situation brossée d’abord par le Premier ministre et confirmée ensuite par le chef de l’État se présente comme une opportunité de transformation.
Certes, la situation laisse transparaitre des préoccupations sur le fonctionnement de l’État et de son administration, piliers fondamentaux du développement économique, social et politique, mais elle donne aussi la possibilité aux autorités sénégalaises d’aborder avec sérieux, rigueur et vision les nombreux défis qui ne sont pas insurmontables.
Un regard par exemple sur la position géographique du Sénégal indique que l’un des premiers choix stratégiques que pourraient faire les autorités serait de tirer profit de la position du pays en Afrique de l’Ouest, ce d’autant que l’arrière-cour sous régionale est sous menace djihadiste.
La spirale de l’État contraint
Nous savons tous que le pays traverse de nombreuses difficultés depuis de nombreuses années. La tension financière s’est accrue du fait de la dette publique croissante, des difficultés à mobiliser les ressources internes et enfin de la grosse dépendance à l’aide extérieure.
Il a suffi que le circuit classique de la dette, en l’occurrence le Font monétaire international (FMI) diffère de quelques mois les montants devant être alloués au pays pour que les pressions économiques et sociales se fassent sentir. L’accalmie consentie aux nouvelles autorités n’est plus de mise sur les réseaux sociaux montrant l’effectivité d’un climat social tendu.
Le mécontentement populaire est de plus en plus palpable. En atteste le mouvement désordonné des jeunes voulant s’inscrire pour la cueillette de fruits et autres produits agricoles en Espagne. Le chômage est grandissant et le coût de la vie de plus en plus élevé.
Fort heureusement pour les autorités, l’opposition envoyée dans les cordes lors de la présidentielle de mars 2024 et les législatives anticipées a du mal à se tirer de sa torpeur. Cela dit, la situation est d’un autre côté assez favorable pour qu’elle ne profite pas de l’occasion pour durcir le front politique même si le gouvernement est dans une logique de lutte anti-corruption dissuasive. Reste que son leadership peut s’effriter et faire sortir du cirage l’opposition.
Une administration décriée, comme toujours
Concernant l’administration publique, il ne fait aucun doute pour bon nombre des citoyens qu’elle est « figée », « incohérente » et « dépassée ». La déclaration du Président Diomaye Faye ne surprend personne de ce point de vue, sinon fait remarquer qu’elle émane d’un élément du dispositif, en l’occurrence le président lui-même. A-t-il fallu qu’il devienne chef d’État pour savoir ce que les usager et membres du secteur privé ont toujours dit avant ?
Mais pourquoi notre administration est-elle jugée inefficace ? Le poids des traditions bureaucratiques de nos fonctionnaires qui font du reste sauter la timbale des contribuables avec le renouvellement du mobilier à prix d’or, s’inscrit au sommet de la liste lourdeurs, ensuite arrivent pêle-mêle la lenteur des procédures, d’aucuns appelleront cela la mafia du papier et du cachet administratif, le manque d’innovation et la résistance au changement. Notre passage, une parenthèse de vie, dans un ministère nous avait grandement informé sur les forces de résistance de l’administration effectivement confrontée au déficit de formation.
De nombreux fonctionnaires sont mal formés, voire inadaptés aux défis modernes en dépit des ateliers et autre séminaires.
Dans l’administration publique sénégalaise, les habitudes sont plus fortes que la réalité. Il faudra vraiment que le tandem Sonko/Diomaye s’y mette pour changer l’ordre des choses.
Mais, le Premier ministre Ousmane Sonko pourra-t-il changer le centralisme excessif ayant campé ses murs dans l’administration publique quand lui-même est tentaculaire ?
L’administration sénégalaise souffre de la concentration des décisions dans les mains de quelques acteurs. Ce qui ralentit bien entendu les initiatives, particulièrement locales. Les entreprises du secteur privé souffrent des décisions prises par le Premier ministre.
Faire de la crise une opportunité
L’analyse de la situation économique et sociale du pays nous invite tous à la lucidité et à une dynamique constructive. Les marges de manœuvre budgétaire et financière étant quasiment nulles pour reprendre les mots du Président Diomaye Faye, ce à quoi nous ne céderons certainement pas parce que le Sénégal a démontré par le passé sa capacité de résilience face à des défis majeurs, nous restons convaincus que des solutions existent. Cela dit, le Président Faye ou Ousmane Sonko, doit prendre des mesures fortes, dont l’une des premières s’attaquerait au gouvernement qui montre des limites objectives.
Il pourrait aussi faire appel à la société civile dont le dynamisme ne se discute pas. Bénéficiant d’une tradition démocratique qui a engendré trois alternances, le nouveau pouvoir gagnerait plus à faire rêver qu’à faire désespérer les populations et en particulier les jeunes.
Ce ne sont pas des secteurs porteurs qui manquent. L’agriculture, le numérique, les mines, les services, l’organisation de grands évènements culturels et sportifs, l’investissement dans les infrastructures de base (santé, éducation, énergie) sont autant de niches.
Éviter à tout prix le déclin
Le renforcement de la gouvernance n’est pas tout dans un État. Certes, il faut lutter contre la corruption et promouvoir la transparence, mais cela va de pair avec la modernisation de l’administration dont les services doivent être numérisés, et enfin une décentralisation et amélioration des conditions de travails des agents publics.
Il faut de plus investir dans la jeunesse, à travers la formation et création de main-d’œuvre compétente, dynamique et concurrentielle. Sans compter d’autres efforts, celui notamment du remboursement de la dette intérieure et le retour des conventions compte tenu de la prégnance de l’État dans le marché.
Le tandem doit stimuler l’économie locale en encourageant les PME et les initiatives entrepreneuriales. Il doit aussi inviter le secteur privé à se réunir autour d’une seule entité afin d’être plus fort et crédible. Il doit favoriser la création de lions de l’économie sénégalaise, les accompagner. Comme l’a fait Olesegun Obasanjo au Nigeria, le roi Assane II au Maroc.
Maderpost / Charles Faye