C’était parti pour une nouvelle journée de l’Afrique, ce 25 mai, avec les mêmes discours convenus et les certitudes recuites sur l’Afrique nouvelle frontière du développement.
TRIBUNE – Le prechi-prêcha est connu, les chapiteaux plantés, genre La Fondation Tony Elumelu (avec cette année deux grands invités à la tête d’états en fallite, Macky et Weah), et l’hypocrisie débordante prête à passer sous silence tout ce qui fait du continent une terre dont l’avenir s’écrit en pointillés.
Fourmilière
Heureusement que le Secrétaire au Trésor, le ministre des Finances, des États Unis, Steven Mnuchin, a brusquement donné un salvateur coup de pied à la fourmilière du consensus général, consensus trompeur, en remettant le curseur là où il doit se trouver.
Sa lettre ferme à la Ministre ivoirienne du Plan, Kaba Niale, es-qualité de Présidente du Conseil des gouverneurs de la Banque africaine de développement (BAD), projette un coup de soleil sur le risque d’une célébration morose, d’une fête gâchée.
Elle la somme d’ouvrir une enquête sur de graves allégations de fautes et malversations imputées à l’actuel Président de ce qui est la première, et continentale, institution financière. Du coup, au moins dans cette instance, la parole est libérée.
Et ce devrait être le cas partout en Afrique, en cette journée où elle célèbre, dans un mortel ronron, fait d’autoglorifications malsaines, 57 ans de construction d’un panafricanisme institutionnel pourtant inabouti sous l’égide de ce qui est devenue l’union africaine (UA) après avoir été l’organisation de l’unité africaine (OUA).
Plus que jamais, la libération de la parole est une condition à toute réussite du plus petit projet africain ou national.
Or, au fil du temps, derrière des sourires faux ou forcés, la parole libre, c’est-à-dire les libertés, à tous les niveaux, sauf à conforter la doxa officielle ou convenue, était bridée.
Toute voix ou idée sortant du culte de la vérité bâtie pour servir une cause, encore plus un homme, était exclue.
C’est en réalité un refus de la confrontation des idées, c’est un assassinat de la démocratie, c’est une barrière infranchissable opposée à la démocratie sur le continent.
Jetez un coup d’œil alentour pour en mesurer l’ampleur des dégâts causés par la prévalence d’une parole indigeste, cousue de fil blanc, propagandiste, parole si insincère qu’elle donne envie de se boucher les oreilles et de fermer les yeux pour ne pas tomber victime d’un syndrome pire que le coronavirus: la mensongite !
Un fakir
Ca commence au sein d’une union africaine où sévit un fakir, le Président de sa commission, Moussa Faki Mahamat, qui y a amené ses méthodes autocratiques apprises dans la gouvernance meurtrière du Tchad où il fut l’un des grands officiels.
Le voir ça et là, se coltinant avec des chefs d’états africains, absent des graves défis qui sollicitent l’Afrique, pendant que la désunion africaine se creuse, donne envie de vomir.
Ses discours, sans inspiration, et l’échec sous ses yeux de l’Agenda 2063, cœur du projet panafricain, qui avait notamment promis le déploiement de vastes infrastructures physiques et la fin des guerres dès cette année 2020, et l’application du Traité sur une zone de libre échange continental, le ridiculisent au quotidien.
Au siège de l’institution panafricaine qu’il dirige, le moral au talon des employés en dit long sur l’échec de son leadership. Mais shut, nul ne doit en parler: il faut faire semblant que tout marche.
Et si nous n’avions pas évoqué ici même la bêtise doublée d’un conflit d’intérêts et des magouilles inacceptables consistant à désigner, comme porteurs de la parole africaine dans les pourparlers avec ses créanciers, une bande de 4 “wheelers and dealers”, choisie dans une obscurité suspecte, sous la conduite de Tidiane Thiam, elle aurait été actée sans recul.
L’échec de l’union africaine, plus que jamais repoussante dans son mode opératoire qui la confirme en piètre syndicat des chefs d’état comploteurs, pour pasticher feu le président Tanzanien, Julius Nyerere, n’est en vérité que le condensé des faillites nationales dans ses différents États membres.
Ce qui a rendu plus insupportable l’échec dans ces pays, c’est ce climat de cynisme qui les enrobe. C’est en vertu de cela que ces dernières années on n’a cessé de proclamer partout l’arrivée d’une émergence économique invisible et que les voix se sont tues pendant que les libertés étaient massacrées.
C’est le grand tort des intellectuels africains, celui des élites formées et capables, de n’avoir pas résisté à la vague de mediocritisation de nos sociétés portée par une démocratisation dévoyée par les plus minables des membres de nos sociétés.
Le résultat est angoissant: les paramètres mis en place par les vainqueurs placent le continent à un niveau où il en est réduit à ne plus être exigeant.
Il ne semble lui rester qu’à se contenter d’avaler les couleuvres des mensonges et des criminalités croisées entre leaders sans moralité et leurs parrains étrangers.
Nous sommes en plein dans ce qui est, après la décolonisation consentie par les pays impérialistes, une recolonisation consentie avec l’aide des pouvoirs africains jouant contre l’intérêt national.
La démission des élites et le refus d’imposer un débat contradictoire sont deux des tares qui expliquent mieux que tout l’anomie, le désordre général, l’incapacité totale qui prévaut dans les différents États où l’on sait que l’impasse reste l’unique horizon. Qui cache la perte de souveraineté et des ressources des pays africains.
On s’y contente dès lors de faire des fêtes insensées à chaque occasion, comme cette journée de l’Afrique, où nul ne doit être surpris de découvrir dans la presse infantilisée des textes collectifs (à la mode!) pour cacher un manque de courage individuel, sans oublier donc les messages et entretiens cotonneux sur la fausse réalité africaine.
La lettre
C’est précisément parce qu’à travers le continent, les mêmes cyniques s’apprêtaient à peindre en rose sa représentation que la lettre envoyée à la BAD, par le ministre américain des finances, au nom de son pays qui en est un grand actionnaire, mérite d’être analysée à sa juste valeur.
Sans elle, les officiels, au niveau Etatique d’abord, puis ceux gouvernant la banque panafricaine étaient bien partis pour balayer d’un revers de main les recriminations légitimes contre le Président de la BAD, Adesina Akinwumni.
Abus de pouvoir, contrats léonins, autoritarisme: tout allait passer comme lettre à la poste.
Et avec à la clé l’exigence que le vote pour le reconduire à son poste ne pourrait pas être électronique comme le justifient les normes prudentielles anti-corona: le président sortant de la Bad, qui veut être candidat unique à sa succession, veut d’un vote physique parce qu’ainsi un poids, un chantage, pèserait sur les votants. Le vote secret, socle d’un scrutin démocratique, ferait-il peur à un homme qui fut élu à la BAD il y a 5 ans malgré les casseroles financières qu’il avait laissées à son précédent poste, le ministère nigérian de l’Agriculture ?
Son projet de réélection à la hussarde, en catimini, sans adversaires, est cependant contrarié par le dernier développement venu d’Outre Atlantique.
En faisant sa lettre qui tombe au bon moment et constitue un acte de gouvernance décente, similaire à la reddition des comptes à l’œuvre dans son pays, le ministre américain rend un énorme service à la BAD et à l’Afrique.
On peut même s’attendre à ce que les candidatures à la présidence de la Bad soient reouvertes afin de surmonter cette peur ambiante qui avait empêché les candidats potentiels, pourtant nombreux, à se manifester.
Cela est nécessaire car, après une démocratisation nationale privatisée, vampirisée, il y a un réel risque que le “one man, one vote, once”, ne gagne les institutions africaines, pour y importer un système où les votants n’ont plus de chance de destituer celui qu’ils ont élu une première fois.
C’est en vertu de cette crasse stratégie d’étouffement des candidatures qu’à la BAD on a voulu avaliser une candidature unique, un plébiscite aussi injustifié que dangereux qu’il faut casser, empêcher, afin que le débat ait lieu.
C’est pourquoi il faut se féliciter du magistral coup de pied de Steven Mnuchin.
Il est en effet celui qui paradoxalement sauve la face d’un continent où l’interdiction d’un débat vigoureux, contradictoire et pluriel a été la plus grande cause de sa stagnation voire de sa descente aux enfers au même titre que ses sociétés et individus.
Libérer la parole en Afrique, en commençant par notre pays, le Sénégal, serait, me semble-t-il, le plus gros cadeau pour la décoincer et donner un autre avenir à ses peuples, privés de tout, et d’abord de ce qui ne coûte rien: la parole !
Ca ne coûte rien mais peut rapporter gros, la preuve par cette lettre d’un officiel américain qui force un débat sérieux sur une institution africaine en remettant en question tous les médiocres plans d’élimination du débat intérieur et d’un processus électoral étouffé.
Tant mieux, il faut que ce cynisme soit combattu partout au nom de l’idéal d’un développement africain, national et continental, débarrassé de la gangue des ennemis de la vraie transparence.
Ca peut commencer par la BAD ou le refus d’une reconduite, sans élection à candidatures multiples, doit induire une réouverture des candidatures parallèlement à une enquête approfondie sur les allégations qui ont fini de la placer dans une atmosphère malsaine, non propice à sa progression.
Adama GAYE, Le Caire 25 Mai 2020
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