C’est un truisme de rappeler que le fait démocratique, comme jamais, est remis en cause partout dans le monde. La crise de la représentation est le symptôme majeur de la régression démocratique de notre siècle, analyse le politiste Baba DIENG dans une contribution intitulée « J’aime la démocratie et les populistes ne m’effarouchent pas », parcourue à Maderpost.
TRIBUNE – L’irruptiondes populistes dans les scènes politiques, à partir des années 1980, est l’événement politique majeur de ces dernières décennies. Partout dans le monde, les idées populistes, comme celles démocratiques à la fin du XXe siècle, poussent et bénéficient d’une certaine consécration. Les leaders populistes, portés par de grandes légitimités, accèdent de plus en plus au pouvoir. Ils sont, pour la plupart, des ethnonationalistes aux discours persécutants contre les étrangers et les minorités. Nous vivons, selon Pierre Rosanvallon, dans le « siècle du populisme » où les principes démocratiques, longtemps déclamés et sanctifiés, sont subrepticement vandalisés. Un nouveau mode politique a ainsi séduit plusieurs sociétés.
Quand les démocraties, défaillantes, accouchent les populismes
C’est un truisme de rappeler que le fait démocratique, comme jamais, est remis en cause partout dans le monde. La crise de la représentation est le symptôme majeur de la régression démocratique de notre siècle. Le sentiment de déréliction est assez profond dans beaucoup de sociétés démocratiques où les citoyens, exclus ou se sentant exclus de la représentation nationale, remettent en cause le pacte de la communauté pluraliste et inclusive. Il faut dire que les chambardements intempestifs des sociétés n’ont pas été accompagnés par des institutions susceptibles d’approfondir la représentation dans une perspective d’inclure les minorités. Celles-ci sont généralement les laissés-pour-compte dans les sociétés démocratiques, fortement marquées – et menacées – par les fractures sociales induites et inhérentes à l’économie de marché.
La rhétorique populiste, vide et vulgaire, s’appuie sur cette défaillance démocratique afin de dresser le Peuple contre l’élite, de s’attaquer aux fondements de la société, d’épouser les idées fascistes, etc. Le populisme, qui découle de la démocratie car celle-ci crée le cadre de sa consécration politique (accession au pouvoir), se fonde sur les diverses déconfitures de celle-ci pour asseoir son discours, peaufiner ses stratégies et s’attaquer à son idéologie-mère. Ce sont les imperfections du régime démocratique qui ont donné naissance au populisme, qui peut être défini, selon Cas Mudde et Cristóbal Rovira Kaltwasser, comme une « idéologie peu substantielle qui considère que la société se divise en deux camps homogènes et antagonistes, le “peuple pur” et “l’élite corrompue”, et qui affirme que la politique devrait être l’expression de la volonté générale du peuple » (Brève introduction au populisme, Éditions de l’Aube, Fondation européenne d’études progressistes et Fondation Jean-Jaurès, 2018, p. 18). Le discours populiste est « peu substantiel » dans la mesure où il ne se crée qu’à partir de la simple critique de la démocratie. L’idée de considérer que la « souveraineté du Peuple est sans limite » (pour reprendre Marc Lazar) et qu’il doit dare-dare la retrouver, parce que confisquée par les élus, émane du manichéisme populiste qui postule que les élites démocratiques ignorent la vox populi, la travestissent et la confisquent. C’est la démocratie, somme toute, qui est la vache laitière de la superficielle idéologie populiste.
L’esprit démocratique du populisme
Les démocraties, jalouses d’être supplantées par une autre manifestation du politique, critiquent, avec virulence, les populismes. Dans les combats politiques nationaux, donner le sobriquet de populiste à son adversaire est une manière de le dénigrer. Le populisme, comme discours violent et frondeur des valeurs républicaines, est présenté comme un danger pour la démocratie, pour la République et, partant, la communauté politique dans son entièreté. Or, le discours populiste, aussi vulgaire soit-il, a eu le mérite de ramener la notion de Peuple, considérablement marginalisée depuis un certain temps, au cœur des démocraties contemporaines. L’obsession de tout ramener au Peuple, unique juge de tous les actes de gouvernance, re-donne à celui-ci son prestige d’antan que la démocratie avait extorqué. Les vagues populistes sont aussi une opportunité, pour les démocraties, de juger et de jauger à nouveau l’état de leur représentation politique. Il semble qu’il est arrivé ce moment où les idées démocratiques, fussent-elles les plus fondamentales, manifestent un besoin cuisant d’aggiornamento. Le destin des populistes, soit dit en passant, n’est pas inéluctablement l’échec, bien qu’ils y soient considérablement disposés.
Les populismes ne doivent nullement effaroucher les démocraties, loin s’en faut, mais ils doivent les inciter à se remettre en cause, à se réinventer, à s’extirper de leur condescendance congénitale. La meilleure manière pour les démocraties de contrer les populismes, nous disent ces auteurs déjà cités, c’est de détruire les fondements du discours populiste. C’est dire que la mauvaise représentation et les ratages économiques, qui sont les fers de lance de la rhétorique populiste, doivent être solutionnés pour torpiller celle-ci, déjà peu substantielle. La réponse doit être efficace, pragmatique, car le populisme (au sens général du terme) « fait partie de la démocratie. Mais plutôt que son reflet, il est sa (mauvaise) conscience » (idem, p. 156).
Baba DIENG, Science politique, UGB
Maderpost