En dépit des remous et des grandes manœuvres politiques, tout se jouera en priorité autour du pouvoir d’achat lors du scrutin présidentiel de févier 2024, pronostique Idrissa Diabira, coordonnateur du programme présidentiel « Yoonu Yokkuté » du candidat Macky Sall, en 2012.
PRESIDENTIELLE 2024 – « L’économie, il n’y a que cela qui compte. » C’est une phrase devenue culte prononcée en 1992 par James Carville, alors conseiller de Bill Clinton dans sa course à la Maison-Blanche, face au président sortant, Georges Bush père. Alors que les États-Unis connaissent une récession économique, le candidat républicain est perçu comme déconnecté des besoins des Américains ordinaires.
Clinton remportera le scrutin, et la phrase deviendra un slogan qu’analystes et chroniqueurs ressortiront à chaque débat électoral, pour faire de l’économie le point central de l’élection.
Avant Carville, le sociologue français Michel Crozier faisait déjà valoir que les gouvernements existent traditionnellement pour chercher et adapter des solutions aux problèmes économiques et sécuritaires. L’histoire montre que l’absence de solutions adéquates conduit aux changements de régimes.
Ainsi, la vague de démocratisation en Afrique subsaharienne, dans les années 1990, est rattachée à l’échec économique d’États qui ne sont pas parvenus à faire mentir la prophétie de René Dumont (1960) suivant laquelle « l’Afrique noire est mal partie ».
L’échec du modèle colonial
Les jeunes États n’ont pu se départir du modèle colonial hérité, perçu par Naudet (1995) comme social, unitaire et intégrateur. Celui-ci est fondé sur un système de valeurs à deux niveaux : une paysannerie traditionnelle valorisée et un modèle urbain moderne et occidentalisé, censé représenter l’avenir.
Ce modèle est financé par le produit des exportations des matières premières, redistribué par la dépense publique (éducation, santé) et la circulation des biens, des personnes et des revenus. Il est issu de l’État colonial et de son économie dualiste : celle coloniale, avec ses entreprises commerciales et industrielles étrangères, et celle « autochtone », avec ses commerçants, transporteurs, artisans et agriculteurs africains.
Dans les années 1980, trois principaux facteurs conduisent à l’échec de ce modèle au sein des jeunes États : la taille réduite de sa base économique et fiscale (dominée par l’exploitation des matières premières), le développement urbain exponentiel qui génère une diversité sociale et de nouveaux acteurs sociaux – l’essentiel du secteur informel – rétifs au modèle unitaire de l’État et à son détriment, et enfin l’émergence de la compétition. Cette dernière rend caduc l’ordre économique et social stable antérieur par la mise en concurrence tant des produits de l’économie de rentes que des groupes sociaux entre eux.
L’exception démocratique sénégalaise
Parmi les jeunes États qui ont émergé de la vague de démocratisation subsaharienne, le Sénégal apparaît comme une réelle exception. Comme de très rares autres pays africains, il a échappé à la norme des putschs. La vie politique y a conduit à deux alternances démocratiques, en 2000 et 2012. Les raisons de cette exception tiennent notamment au rapport du pays à la performance économique.
Ainsi en est-il de 1981 avec la transmission de Léopold Sédar Senghor (au pouvoir depuis 1960) à Abdou Diouf (1981-2000) sur fond de crise de la dette et de plan d’ajustement structurel. La politique d’industrialisation, visant à faire éclore un tissu productif compétitif, a échoué.
En 2000, si l’ajustement commence à produire des effets, les effets de la dévaluation et du plan Sakho-Loum (du nom des ministres de l’Économie, Ousmane Sahko, et du Budget, Mamadou Loum) ont un coût social important, l’horizon n’est que la « lutte contre la pauvreté ». En 2012 enfin, sur fond certes d’un nouveau mandat controversé d’Abdoulaye Wade et d’un projet honni de ticket présidentiel, le Sénégal est surtout victime des effets de l’inflation, de la fourniture insuffisante d’électricité et de la vie chère.
Une trajectoire économique inédite
Alors candidat, Macky Sall ne s’y est pas trompé en priorisant, dans son programme économique « Yoonu Yokkuté » (le chemin du bien-être) de réduire les injustices sociales avec les bourses de sécurité familiale comme mesure phare – aujourd’hui 400 000 familles la perçoivent -, d’une part, et de doter le Sénégal d’un Small Business Act pour promouvoir l’entrepreneuriat et les PME, d’autre part.
En 2024, la tradition sénégalaise à permettre l’expression souveraine des citoyens, au-delà du nom des candidats, est l’enjeu absolu à préserver.
Mais in fine, l’économie déterminera l’issue des élections : les politiques de souveraineté pour prendre en charge des effets de la pandémie de Covid-19 ou de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la confiance dans le projet d’industrialisation et de développement de futurs champions pour rendre plus inclusive et créatrice d’emplois la nouvelle trajectoire de croissance du pays, inédite depuis cinquante ans. Et ainsi saisir l’opportunité de l’exploitation prochaine des ressources pétrolières et gazières.
Par Idrissa Diabira
Directeur général de l’Agence sénégalaise Adepme – Coordonnateur du programme présidentiel “Yoonu Yokkuté” du candidat Macky Sall en 2012.
Maderpost / Lejecos