Le président du Comité national pour le rassemblement et le développement (Cnrd) qui, depuis dimanche, préside aux destinées de la Guinée, est un homme assez pressé dans sa stratégie. Ce mardi, il a pris les premières mesures politiques de son règne : libérer les détenus arbitraires et confiner l’armée.
GUINEE – Un acte survenu dans une vive émotion. Il est peu après 18 heures, lorsque la porte de la Maison d’arrêt de Conakry s’ouvre pour laisser passer 79 prisonniers, tous enthousiastes. Des détenus qui, dès qu’ils ont humé l’air de la liberté, ont commencé à se donner des accolades dans la joie et la bonne humeur. Les premiers mots sont lâchés, les premières impressions partagées. «Nous remercions tout le peuple guinéen», dit l’un d’entre eux devant les caméras, venues capter ce moment de démocratie pour ces hommes victimes de leurs convictions politiques. Leur crime : n’avoir pas su plaire au Président déchu, Alpha Condé, en s’opposant fermement et ouvertement à sa réélection pour un troisième mandat. Dix mois après, les situations sont renversées. Tandis que l’ancien président est toujours retenu prisonnier dans un lieu non communiqué, eux peuvent désormais exulter. Une libération qui est le résultat immédiat des décisions prises dès lundi par la junte militaire pour la normalisation du pouvoir politique, après le putsch du 5 septembre. Après avoir ordonné la réouverture des bureaux et sièges du parti d’opposition de Cellou Dalein Diallo, le colonel Mamady Doumbouya s’est attaqué aux dossiers des prisonniers politiques. Et le moins qu’on puisse dire est que les choses n’ont pas tardé pour la réalisation de la volonté du président du Comité national pour le rassemblement et le développement (Cnrd). Une réunion de concertation a été tenue dès hier matin entre le secrétaire général du ministère de la Justice, le procureur général, le directeur de l’administration pénitentiaire et le collectif des avocats. Cette rencontre a permis de dresser une première liste de 79 personnes, détenues du fait de la seule volonté de l’ancien président. « Une commission restreinte a été constituée avec comme objectif de faire la liste des personnes considérées comme étant arrêtées en raison de leur opinion politique ou des personnes qui ont pris part à des mouvements de protestation », a expliqué le collectif des avocats. A terme, cette commission a rendu à la junte deux listes de prisonniers pour lesquelles l’ordre de mise en liberté a déjà été signé. D’autres libérations pourraient intervenir dans les prochains jours. «Maintenant que Condé est parti, nous demandons à tous ceux qui ont travaillé avec nous contre le troisième mandat, de se joindre au dialogue avec le pouvoir», a lancé un des hommes, reconnaissant envers la junte. Laquelle faisait, au même moment, une démonstration de force à quelques kilomètres de là.
Suppression des congés et confinement dans les casernes.
S’il a laissé aux autres le soin de s’occuper du sort des civils, le colonel Mamady Doumbouya a, en effet, pris les rênes pour une opération d’autorité devant l’armée. Avec ses Forces spéciales, il a rendu dans la matinée d’hier, une petite visite de courtoisie à la hiérarchie militaire. Réunis au camp Samory Touré, il y avait le Haut commandant de la gendarmerie nationale, le Général de corps d’armée, le Général de la brigade aérienne et tous les officiers et sous-officiers. Officiellement, cette réunion avait pour but de resserrer les rangs. Dans une brève allocution, il a appelé la Grande muette à l’union. «Nous devons nous rassembler pour avancer. Je félicite toutes les forces de défense et de sécurité, car depuis le début, nous avons mis tous nos différends de côté pour enfin nous donner la main et construire le pays», lâche-t-il. Prétexte pour embrayer sur les mesures drastiques prises à l’encontre des militaires : suppression des congés et confinement dans les casernes. « Nous n’avons rien à faire dehors ! Il y a la police et la gendarmerie pour s’occuper de la sécurité de la population. Il faut assurer la continuité des services pour éviter le chaos», a-t-il martelé derrière ses lunettes noires et devant une assistance aux ordres. En réalité, ces mesures de cantonnement devront permettre aux Forces spéciales, dont les chars sont toujours postés aux points stratégiques, de renforcer leur mainmise sur le pouvoir et surtout de surveiller certains généraux dans ces moments troubles d’après-putsch. Une stratégie comprise par la hiérarchie militaire qui, tous corps confondus, a décidé d’apporter son soutien aux putschistes. «Notre adhésion s’explique par le fait que nous souhaitons participer à préserver la paix, la stabilité et la quiétude sociale pour une Guinée libre, prospère et économiquement développée », a répondu le Général de brigade aérien et directeur de cabinet du ministère de la Défense. Une réponse satisfaisante pour le président du Cnrd qui, accompagné de son état-major, a quitté les lieux pour rejoindre la base des Forces spéciales, barricadée depuis dimanche.
Maderpost / Igfm