Sa réussite a fasciné le monde des affaires. Tant l’ascension a été fulgurante pour ce country-man, pur produit des daaras qui a débarqué à Dakar dans les années 1980 avec, en bandoulière, une farouche volonté de réussir. Des nuits qu’il a passées à la belle étoile dans les rues de Dakar jusqu’à son luxueux bureau dans l’imposant immeuble qui abrite Khelcom-Bâches, sa société, “L’Obs” relate le parcours de Gora Ngom.
PORTRAIT – Décédé le 31 juillet dernier, le magnat de l’événementiel était sur le point de finaliser un projet de 7 milliards dans le nouveau pôle de Diamniadio pour produire au Sénégal des bâches. “L’Obs” revient sur son parcours. A titre posthume.
La scène se déroule dans le bureau du chef du Centre des impôts et domaines de Guédiawaye. Ce matin de 2006, un homme, sobrement habillé, s’est présenté devant le chef du centre pour l’informer de son souhait de se mettre en règle avec le fisc.
«Je gère une société qui évolue dans l’informel. On m’a dit que je dois payer des impôts. J’ignore la procédure, mais je veux être en règle avec le fisc», récite d’un trait l’individu qui s’exprime en wolof, la langue locale.
Surpris par la franchise de l’individu, Waly Bodian, le chef de service du centre des impôts et domaines, est submergé par l’émotion.
Dans son quotidien de policier des Finances, cette posture est rare voire exceptionnelle. Au point qu’en réponse au vœu formulé par l’individu qui s’est présenté sous le nom de Gora Ngom, le chef du centre des impôts et domaines décide de prendre son dossier en main et de le recommander à un cabinet d’expertise fiscale.
«Vous méritez d’être aidé», lui lance le patron des impôts et domaines de Guédiawaye qui griffonne un numéro de téléphone sur un bout de papier qu’il remet à Gora Ngom.
Et lorsque son hôte lui tourne le dos, Waly Bodian l’accompagne du regard, charmé par l’attitude de cet homme. Pensif, le chef du centre des impôts et domaines s’est certainement demandé comment ce monsieur qui ne parle pas français, a pu se débrouiller pour monter sa société, la faire prospérer en affaires, au point de vouloir se mettre en règle avec le fisc et continuer à l’élargir.
Aux origines, Ndié Ngom
Ce secret seul le défunt self-made-man détient. Pour le percer, il faut puiser aux sources de Ndié Ngom, un village situé dans la commune de Ndiéyéne Sirakh, dans la Région de Thiès. C’est dans ce patelin que s’est tissée l’histoire de Gora Ngom.
Au mois d’avril 1962, la famille Ngom accueille un bébé de sexe masculin. Son père le prénomme Gora. Dans ce patelin étranglé par le dénuement, on raconte que juste quelques mois avant sa naissance, son père, profitant d’une visite du guide religieux Serigne Saliou Mbacké (5e Khalife de Bamba), est allé renouveler son allégeance au saint-homme, avant de formuler le vœu de lui envoyer, un jour, un de ses enfants pour apprendre le Coran.
Son choix se portera sur son dernier-né, Gora qui sera envoyé dans l’un des daaras (école coranique avec internat où les disciples sont également initiés aux travaux champêtres et soumis à une éducation rigoureuse) de Serigne Saliou Mbacké situés à Khelcom.
Loin de ses parents et de son village natal, le jeune Gora s’illustre dans l’apprentissage du saint Coran et surtout continue de se distinguer parmi ses condisciples. «Il a toujours aimé l’adversité dans le bon sens. Il aimait se lancer des défis et tenter de les surmonter», témoigne son compagnon de galère, Gora Ndong qui a cheminé près de trente-trois ans avec le natif de Ndié Ngom. Au Daara de Serigne Saliou, l’adolescent ne se fixe pas de limites et défie sans cesse ses condisciples.
La soif de réussite, le taureau et la cicatrice sur le crâne
Cette envie de tout réussir en premier va laisser des traces, à l’image de cette cicatrice que Gora Ngom portait sur le crâne. Pour l’histoire, on raconte que parce qu’il voulait toujours être, le premier à labourer la portion de terre que le marabout affecte à chaque disciple au Daara, le garçon s’est dépensé sans compter.
«Au Daara, un taureau était affecté à chaque talibé chargé, en retour de l’entretenir. Il s’est tellement bien occupé de l’animal, puisant sans cesse de l’eau et portant de lourdes charges de foin et de toutes sortes de nourritures sur sa tête que cela a fini par lui laisser une longue cicatrice sur le crâne», témoigne un de ses condisciples.
Puis au bout d’une dizaine d’années passées dans les Daaras de Serigne Saliou Mbacké, arrive pour Gora le moment de retourner à Ndié Ngom, auprès des siens. A Ndié Ngom où rien n’avait véritablement changé, Gora Ngom à peine âgé d’une vingtaine d’années, décide d’aller à Dakar pour tenter sa chance. Son père bénit son départ, mais exige qu’il préserve la dignité de toute sa lignée et de tout le village de Ndié Ngom.
Les nuits à la belle étoile dans la capitale
A Dakar où il débarque avec son frère, la déception est cruelle. Surpris par l’environnement hostile et coupé du lien parental, Gora comprend très vite que sa seule volonté de réussir ne suffira pas. Sans attache dans la capitale, Il passe ses nuits à la belle étoile.
«C’était très difficile», confie, pudique son ami Gora Ndong. Si l’ami s’est retenu pour rouvrir cette page difficile de la vie de Gora Ngom, l’actuel responsable administratif et financier de Khelcom-Bâches, devenu son confident, révèle : «Il m’a confié qu’il a passé plusieurs nuits à la belle étoile, sous le froid et l’insécurité.»
Grammont, Vincent… Toutes ces rues ont servi de dortoir à Gora Ngom, pendant des mois.
Avant qu’un matin, le natif de Djié Ngom, déterminé à tracer sa voie, décide de suivre spontanément la foule qui passe par la rue Vincent pour se rendre vers l’hôtel de ville.
Ce sera le déclic. Gora se dégote un job de journalier au Port et parvient à faire de petites économies. Puis en compagnie de son ami Gora Ndong et de son beau-frère, il s’essaie à la vente de cordes et de bâches d’occasion qu’ils achètent usées et trouées.
Le business devenu florissant au bout de quelques années, n’a pas, pour autant, changé l’homme. Qui continue de conclure ses affaires dans la rue avec des clients venus de Mbour.
Rusé, Gora s’adapte tant et si bien que son flair en affaire l’oriente vers la manutention au Port où ses bâches louées à des prix défiant toute concurrence font affluer vers lui beaucoup d’opérateurs économiques, pourtant plus instruits et dotés d’une capacité financière plus importante.
«En plus de son flair, il avait également de la baraka. Au Port, chaque fois qu’un bateau accostait pour décharger du maïs ou du riz, Gora était sollicité pour fournir les bâches», se souvient son partenaire Gora Ndong.
La demande devenue forte, le natif de Ndié Ngom décide alors de franchir le pas et de mettre sur pied une société de type individuel dénommé «Ngom et frères».
C’était en 2006. Gora avait 44 ans. L’entreprise a son siège à Pikine Cité Lobatt Fall Extension, dans un modeste local de 150 M2 et compte 6 employés, y compris Gora.
«Il a démarré cette société avec un capital de 500 000 francs issus des économies réalisées depuis son arrivée à Dakar», confie Djamil Sané, actuel responsable administratif et financier de Khelcom-Bâches. «Nous étions juste des Goorgoolu, des débrouillards spécialisés dans la location de tentes qui dépassent à peine douze mètres qu’on rafistolait, après les avoir acquis en piteux état», se souvient encore l’ami de Gora.
Khelcom-Bâches et la bénédiction de Serigne Saliou
Ses affaires devenues florissantes, Gora décide d’agrandir son business et s’en ouvre à Serigne Saliou Mbacké. Djamil Sané : «Après l’avoir écouté présenter son projet, Serigne Saliou Mbacké lui a conseillé d’associer le nom de Khelcom à la nouvelle structure qu’il veut créer. Le saint-homme lui a expliqué les raisons en lui faisant remarquer que «Xel» renvoie à l’intelligence, alors «Com» en wolof signifie commerce.»
A son retour à Dakar, Gora Ngom lance sa nouvelle société Khelcom-Bâches. C’était en 2008. Année durant laquelle Latfallah Layouss, le directeur général des ciments du Sahel, le sélectionne pour fournir la tente devant abriter des centaines d’invités au cours d’une fête annuelle dédiée aux enfants.
«Un énorme défi. C’était la première fois que Gora Ngom devait fournir une tente de 3000m2», confie l’un de ses premiers associés, Gora Ndong.
L’événement relayé par les télévisions de la place enregistre un franc succès. C’était le début de l’envol. Son nom désormais associé à l’événementiel, sa société rafle les marchés.
De grandes manifestations devant accueillir des foules importantes ou des personnalités de haut rang lui sont désormais confiées. L’horizon s’élargit pour l’ex-pensionnaire des Daaras de Serigne Saliou qui, pour la première fois de sa vie, va prendre les airs pour se rendre en Europe.
Au pas de charge, confient ses collaborateurs, il multiplie les rencontres avec des entreprises italiennes spécialisées dans la confection de bâches et de tentes pour les grands événements.
«Lors de ces rencontres, il réalise que la procédure de confection pouvait bien être transférée au Sénégal et qu’il pouvait produire sur place les tentes», raconte Djamil Sané, un de ses accompagnateurs.
Son séjour et ses rencontres terminés en Italie, Gora Ngom fait embarquer dans un même container des tentes d’une superficie de 3000M2 et d’imposants climatiseurs. «A son retour, ce sont ces tentes-là qu’il installait lors des cérémonies». Une première au Sénégal. Mais aussi une ascension fulgurante pour le magnat qui est reçu, plus tard par le chef de l’Etat. A sa demande.
Une consécration pour ce campagnard qui, face au locataire du Palais, lui explique son souhait d’installer dans le nouveau pôle urbain de Diamniadio, une usine de fabrique de tentes pouvant couvrir les besoins du Sénégal et de toute la sous-région ouest-africaine. Coût du projet ? «7 milliards déjà mobilisés», souffle son ami Djamil.
Charmé par le profil de ce self-made man, le Président Sall décide de le soutenir, en souvenir du bon vieux temps où il venait installer des tentes, chez lui, à Mermoz.
A l’issue de cette audience, le patron de Khelcom-Bâches se verra octroyer un espace de quelques hectares à Diamniadio pour y installer sa fabrique de bâches. Les études d’impact effectuées, les appels d’offres déjà lancés, Gora Ngom n’assistera malheureusement pas à la sortie de terre de la première usine de production de bâches made in Sénégal. Emporté par une courte maladie, il quitte ce monde, à l’âge de 58 ans, le 31 juillet 2020.
Maderpost / Igfm / L’Obs / Alassane Hanne