Jouer notre chance : ce que les futurs producteurs de gaz naturel liquéfié (GNL) africains peuvent apprendre du Qatar a l’ère Des milliards en jeu.
Par NJ AYUK
Le Qatar a appris qu’il possédait de véritables réserves de gaz naturel en 1971, lorsque Royal Dutch / Shell a découvert la structure du North Dome, également appelée champ Nord
Alors que je commençais à écrire mon récent livre “Des milliards en jeu : L’avenir de l’énergie et des affaires en Afrique”, l’histoire du Qatar m’a intrigué. Son succès est contagieux et les producteurs africains de GNL peuvent apprendre de ce pays.
Le Qatar a appris qu’il possédait de véritables réserves de gaz naturel en 1971, lorsque Royal Dutch / Shell a découvert la structure du North Dome, également appelée champ Nord. À l’époque, cependant, ni Shell ni le gouvernement du Qatar n’avaient grand intérêt à développer ce site. Ils se concentraient sur le pétrole brut, qui rendait alors le pays très riche.
En conséquence, il ne s’est pas passé grand chose à North Dome pendant plus d’une décennie. Ni Shell ni la Qatar General Petroleum (QGPC, désormais connue sous le nom de Qatar Petroleum ou QP) qui a bénéficié de la nationalisation du secteur pétrolier et gazier de Doha en 1977 n’y ont poursuivi activement les travaux de développement.
Les conditions ont commencé à changer à la fin des années 1970. La production de pétrole brut du Qatar a commencé à décliner après 1979 avec la maturation des plus grands champs pétroliers du pays. À leur tour, les compagnies pétrolières internationales (CPI) ont commencé à perdre tout intérêt à signer des contrats de services avec QP, estimant que les réserves de base vieillissante du Qatar ne justifiait pas des investissements massifs à long terme.
Ces développements n’ont pas eu beaucoup d’impact immédiat puisque les prix du brut ont augmenté suffisamment pour que les revenus restent élevés.
Mais dans les années 1980, les prix du pétrole ont chuté et entraîné une baisse des recettes pétrolières. En conséquence, le gouvernement du Qatar a commencé à rechercher de nouveaux moyens de générer des revenus. Le gaz était une option évidente, car la demande mondiale était en hausse et les réserves nationales abondantes. Les responsables à Doha ont commencé à élaborer des plans de monétisation de la production du gisement Nord, dont on sait maintenant qu’il contient au moins 450 milliards de pieds cubes (13 billions de mètres cubes) de réserves récupérables de gaz.
En fin de compte, ils ont élaboré un plan en trois phases prévoyant de commencer par les ventes sur le marché intérieur, puis les exportations par pipeline avant de finalement lancer les exportations marines de gaz naturel liquéfié (GNL). Pour mettre en œuvre ce plan, ils ont créé une co-entreprise dénommée Qatar Liquefied Natural Gas Co. Ltd. (Qatargas) entre QP, BP (Royaume-Uni) et Total (France).
La première phase, qui prévoyait la gazéification domestique, était un processus relativement simple en raison de la petite taille de la population du Qatar. Mais les événements de la fin des années 80 et du début des années 90 ont rendu plus difficile la deuxième phase, qui prévoyait la construction d’un pipeline d’exportation capable de fournir jusqu’à 20 milliards de mètres cubes par an aux autres États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Les raisons en étaient multiples, et comprennaient notamment la perte d’intérêt de l’Arabie saoudite pour le gaz qatari après avoir découvert ses propres réserves, un différend frontalier entre le Qatar et Bahreïn, et les préoccupations du Koweït par l’invasion irakienne qui a conduit à la première guerre du Golfe. Doha a alors présenté des propositions d’itinéraires alternatifs dans l’espoir de susciter l’intérêt des marchés extérieurs au CCG, mais en vain.
L’échec du gazoduc a donné à Qatargas l’occasion de sauter la deuxième phase du projet et de passer directement à la troisième, à savoir l’utilisation de la production du champ Nord comme matière première pour une usine de liquéfaction de gaz susceptible de produire du GNL pour exportation par navire-citerne. Parallèlement, la demande croissante de gaz au Japon, en Corée du Sud et à Taiwan a incité le Qatar à se concentrer sur le GNL. En outre, BP a pris la décision de quitter Qatargas, l’entreprise créée pour développer le champs North. Ceci a permis à la société américaine Mobil (qui fait maintenant partie d’ExxonMobil) de rejoindre le projet.
Mobil convenait parfaitement, en partie parce qu’elle disposait de ressources financières suffisantes et en partie du fait qu’elle possédait une vaste expérience dans le GNL grâce à sa participation au programme Arun en Indonésie. Elle a pu accéder aux technologies nécessaires au lancement de la première usine de GNL au Qatar et les déployer. Cette installation a mis en service son premier train de production de 2 millions de tonnes par an à la fin de 1996 et a commencé la production commerciale et les exportations l’année suivante.
Depuis lors, le Qatar a continué à accroître sa production de gaz et à développer son industrie du GNL. Il a travaillé avec des partenaires étrangers pour construire davantage d’installations de liquéfaction de gaz et abrite désormais trois méga-trains de GNL d’une capacité de production combinée de 77 millions de tonnes par an.
Ces usines ont contribué à faire du Qatar le plus grand producteur mondial de GNL en 2006, et depuis lors, elles maintiennent le pays au sommet de la liste. Dans le même temps, Doha a décidé l’année dernière de construire un autre méga-train qui portera ce chiffre à 110 millions de tonnes par an d’ici 2024. Le Qatar exploite la plus grande flotte de méthaniers au monde, destinée à des clients du monde entier.
En bref, son programme de GNL a été un franc succès.
Montrer le chemin
L’histoire du succès du Qatar est intéressante en soi. Mais cela a-t-il une signification plus profonde ? Pourrait-il servir de modèle, c’est-à-dire de feuille de route que d’autres pays producteurs de gaz peuvent utiliser pour tracer leur propre chemin vers le succès ?
Je crois que c’est possible. Plus précisément, je pense que les producteurs de gaz africains qui mènent des projets de GNL ont beaucoup à apprendre du Qatar. Ils auront une meilleure chance de maximiser leurs gains s’ils suivent l’exemple du Qatar.
De toute évidence, l’Afrique ne peut pas reproduire l’expérience du Qatar. Ses etats producteurs de gaz n’ont pas la même géographie ni la même démographie et ils n’ont pas accès aux mêmes routes commerciales maritimes. Mais il peut tirer profit de certaines des leçons que le Qatar a apprises en cours de route. Je vais en énumérer quelques-unes ici.
De l’aide de nos amis
Le Qatar a commencé à étudier des projets de lancement de la production de GNL moins de dix ans après la nationalisation de sa propre industrie pétrolière et gazière. Même dans ce cas, il comprenait clairement qu’il ne pouvait poursuivre cet objectif sans aide extérieure.
Plus précisément, QP et le gouvernement qatari savaient qu’ils auraient besoin de partenaires disposant de beaucoup d’argent, d’expérience et d’un accès à la technologie de liquéfaction de gaz. Ils savaient également qu’ils auraient besoin de partenaires prêts à absorber les risques liés à l’ouverture d’une nouvelle industrie. En l’occurrence, Mobil remplissait tous ces critères.
Les futurs producteurs africains de GNL tels que le Sénégal, la Guinée équatoriale, le Mozambique, la Tanzanie, le Congo, le Cameroun, l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Angola auront également besoin de l’aide.
À l’instar du Qatar, ils devront s’associer à des CPI capables de couvrir les coûts d’établissement d’un nouveau secteur industriel, ayant l’expérience de la gestion de toutes les complications physiques et logistiques de tels projets et pouvant fournir les technologies sophistiquées nécessaires comprimer et refroidir les gaz dans un état liquide pouvant être transporté par bateau-citerne.
De même que le Qatar, ils auront besoin d’investisseurs prêts à développer ce secteur de l’économie à partir de rien (ce dernier point est particulièrement important dans des pays comme le Mozambique, la Tanzanie, le Sénégal et l’Afrique du Sud qui tentent de lancer des projets de GNL très rapidement après leurs premières découvertes de gaz.)
Rester flexible
Le plan initial de Qatargas prévoyait de commencer modestement, avec la gazéification domestique, puis de l’intensifier – d’abord en construisant des pipelines, un type d’infrastructure déjà utilisé depuis près d’un siècle, puis en prenant en charge la tâche plus complexe de la construction d’une usine de liquéfaction de gaz, d’un terminal maritime et d’autres installations associées. Mais comme indiqué ci-dessus, les efforts pour faire avancer la phase de pipeline du projet ont échoué en raison d’obstacles inattendus.
Au lieu de se concentrer sur ces obstacles, Qatargas a décidé d’adopter une approche différente. Il a reconnu que ses efforts pour élaborer de nouveaux plans et engager de nouvelles négociations avaient échoué, et cela a été poursuivi. Il a complètement abandonné la deuxième phase du projet et s’est mis au travail pour la troisième phase. C’est la première étape de la démarche du Qatar pour devenir le plus grand producteur de GNL au monde.
C’est une leçon importante pour les futurs producteurs de GNL d’Afrique : parfois, le plan initial ne fonctionne tout simplement pas, même lorsque toutes les parties font des efforts de bonne foi pour résoudre leurs différends.
Il est donc temps d’essayer quelque chose de différent. Il est temps de chercher une nouvelle solution. Par exemple, si un producteur de gaz africain conclut à contrecœur qu’il n’y a aucun moyen de construire une usine de liquéfaction de gaz terrestre sans encourir des risques environnementaux, financiers ou sociaux inacceptables, il ne devrait pas abandonner.
Au lieu de cela, il devrait examiner les options de d’unité flottante (FLNG) ou envisager la possibilité d’utiliser des installations de liquéfaction de gaz dans un pays voisin.
La gestion des ressources
Le Qatar peut également enseigner aux producteurs de gaz africains une ou deux choses sur la gestion des ressources. C’est une considération cruciale pour QP et ses partenaires de Qatargas, car la plupart de leurs matières premières proviennent d’une source unique – le champ Nord.
Ce champs peut bien être énorme, mais il n’est pas inépuisable. En fait, Doha a imposé un moratoire sur les nouvelles initiatives de développement sur le champs en 2005, affirmant qu’elle devait mener une étude approfondie du site afin d’évaluer son potentiel à long terme et de maintenir la pression du réservoir à des niveaux adéquats.
Le moratoire n’était pas permanent. Le gouvernement du Qatar l’a levé en 2017 et QP a réagi en élaborant des plans pour le projet d’expansion du champ nord (NFE) et pour la construction de nouvelles installations de liquéfaction de gaz. En septembre de cette année, la société a annoncé avoir sélectionné plusieurs entreprises et invité à la soumission des manifestations d’intérêt pour le contrat NFE.
Ces événements sont significatifs car ils démontrent que le Qatar souhaite maintenir ses usines de GNL en activité pendant très longtemps. Ils montrent que le pays est prêt à accepter certains revers à court terme afin de garantir que sa plus grande source de gaz puisse rester en production à long terme.
Là encore, l’exemple du Qatar devrait donner matière à réflexion aux producteurs de gaz africains. Cela montre qu’il existe de bonnes raisons d’adopter une approche mesurée pour la mise en valeur de réserves importantes – et que le secteur du GNL peut continuer à croître même lorsque les principaux fournisseurs de matières premières doivent respecter certaines restrictions relatives aux niveaux de production.
En d’autres termes, cela rappelle que l’Afrique doit faire plus que simplement extraire et vendre son gaz. Les producteurs africains devraient viser à développer leurs ressources de la manière la plus avantageuse possible pour le plus grand nombre de personnes possible.
Jouer notre propre chance
Bien sûr, le Qatar doit une partie de son succès à la simple chance. Son secteur gazier est apparu à un moment où le pays était très motivé pour trouver une solution de remplacement aux revenus pétroliers en baisse, lorsque la demande de gaz était à la hausse, lorsqu’il existait peu de marchés alternatifs viables dans la région et lorsque Mobil était à la recherche d’un nouveau projet GNL suite à la maturation du champ d’Arun en Indonésie.
Une fois encore, l’Afrique ne peut pas reproduire l’expérience du Qatar. On ne peut pas compter sur ce genre de chance, et s’attendre à ce que tout se mettre en place au bon moment.
Mais l’Afrique peut apprendre de l’exemple du Qatar et jouer un peu de sa chance. Espérons qu’elle puisse bénéficier du fait que la demande mondiale de gaz continue de croître et continuera de le faire pendant un certain temps, alors même que de plus en plus de consommateurs fondent leurs espoirs sur les énergies renouvelables.
C’est maintenant le bon moment pour essayer, notamment parce que les projets de GNL devraient également susciter de l’intérêt pour les projets de centrales électriques alimentées au gaz et d’autres initiatives africaines. La réunion du Forum des pays exportateurs de gaz à Malabo en Novembre 2019, en Guinée équatoriale, sera un bon début.
A propos de l’auteur :
NJ Ayuk est un négociateur expérimenté dans le secteur du pétrole et du gaz africain. Il dirige le cabinet juridique panafricain Centurion Law Group et est président de la Chambre africaine de l’énergie (https://EnergyChamber.org/). Il est un ardent défenseur de l’idée que le pétrole et le gaz peuvent contribuer à propulser le développement économique en Afrique, comme il le détaille dans son livre récemment publié, Des milliards en jeu: l’avenir de l’énergie et des affaires en Afrique.
Source : African Energy Chamber
(*) Le titre est de Maderpost