L’accès à internet a été coupé et un couvre-feu a été annoncé au Gabon samedi, le jour-même de la présidentielle au cours de laquelle le chef de l’Etat Ali Bongo Ondimba brigue un troisième mandat face à Albert Ondo Ossa, son plus sérieux rival, derrière lequel s’est rangée tardivement la plus grande partie de l’opposition.
GABON – En milieu d’après-midi, l’opposant, qui n’a pu voter qu’à l’ouverture de son bureau huit heures après l’heure prévue, avait dénoncé des « fraudes orchestrées » par le camp Bongo et un autre ténor de l’opposition le « chaos » dans l’organisation du scrutin.
En vue d’éviter « la propagation d’appels à la violence (…) et des fausses informations », « le gouvernement a pris la décision de suspendre jusqu’à nouvel ordre l’accès à l’internet sur toute l’étendue du territoire. Un couvre-feu sur l’ensemble du territoire est décrété et sera appliqué dès ce dimanche 27 août. Il sera de vigueur tous les jours, à partir de 19H, jusqu’à 6H », a déclaré Rodrigue Mboumba Bissawou, le ministre de la Communication, à la chaîne de télévision publique.
L’accès à l’internet a été coupé en début de soirée, a constaté l’AFP.
Ces élections se déroulent sans observateurs internationaux, africains comme européens.
Quatorze prétendants s’affrontent, un peu moins de 850.000 électeurs inscrits sur quelque 2,3 millions d’habitants étant aussi appelés à voter pour les élections législatives et municipales, le tout en un tour de scrutin.
M. Ondo Ossa a promis de « chasser » du pouvoir par les urnes le président et son tout-puissant Parti démocratique gabonais (PDG) et de mettre un terme à une « dynastie Bongo » à la tête depuis plus de 55 ans d’un pouvoir que l’opposition accuse de mauvaise gouvernance et d’être gangrené par « la corruption ».
Ali Bongo, président depuis 14 ans, avait été élu une première fois en 2009 après la mort de son père Omar Bongo Ondimba, qui dirigeait le Gabon depuis plus de 41 ans.
« Bulletin inique »
M. Ondo Ossa, 69 ans, peu connu du grand public jusqu’alors, avait été choisi par les principaux partis de l’opposition, rassemblés dans la plateforme Alternance 2023, à huit jours seulement du scrutin.
M. Bongo, quant à lui, a rassemblé systématiquement, au cours d’une tournée dans tout son pays depuis des mois, puis d’une campagne massive et très médiatisée ces deux dernières semaines, des milliers, voire des dizaines de milliers, de partisans.
Dans un marathon de six jours, M. Ondo Ossa a drainé par endroits des foules comparables.
M. Ondo dont le vote était annoncé pour le milieu de la matinée dans le centre de la capitale Libreville, n’a pu glisser son bulletin dans l’urne qu’en milieu d’après-midi, son bureau étant resté fermé huit heures après l’heure d’ouverture prévue, a assuré à l’AFP son conseiller en communication Guy-Pamphile Mba. En raison d’une livraison tardive du matériel de vote, selon Alternance 2023.
De nombreux autres bureaux dans tout le pays ont également ouvert très tardivement ou sont restés fermés, a affirmé à l’AFP François Ndong Obiang, le président d’Alternance 2023.
De même, les bulletins au nom de M. Ondo Ossa manquaient dans « beaucoup de bureaux » et ceux des candidats qui s’étaient officiellement désistés en sa faveur sont restés présents dans d’autres, a-t-il accusé, dénonçant une « organisation du scrutin préparée pour mettre le chaos ».
« Ali Bongo et ses sbires ont multiplié les éléments de fraude », a lancé M. Ondo Ossa après son vote, dans une vidéo transmise en direct sur la page Facebook d’Alternance 2023.
« Les machines à fake News commencent à tourner à plein régime », a rétorqué Jessye Ella Ekogha, le conseiller spécial du Président de la République, sur X (anciennement Twitter).
Interrogé par l’AFP sur ces accusations, le Centre Gabonais des Elections (CGE), l’instance qui organise les scrutins et qui a finalement prolongé de deux heures le vote, a décliné tout commentaire.
M. Ondo Ossa, professeur d’université agrégé d’économie, ancien ministre d’Omar Bongo, exhorte les Gabonais à « ignorer » les législatives pour se concentrer sur la présidentielle parce que le CGE a instauré au dernier moment un bulletin unique les pour deux votes, liant impérativement le prétendant à la députation au candidat du même parti pour la présidence.
Un procédé destiné à favoriser M. Bongo et le PDG, accuse l’opposition.
Candidat indépendant, sans parti donc, M. Ondo Ossa a promis de dissoudre la future Assemblée nationale s’il est élu.
« Dynastie Bongo »
L’opposition avait déjà critiqué une « modification des règles du jeu » il y a cinq mois pour tailler une réélection sur mesure au sortant, en repassant le scrutin de deux à un tour, gagnable à la majorité relative pour M. Bongo, face à 13 candidats.
En 2016, il avait été réélu, mais laborieusement, avec 5.500 voix seulement d’avance sur l’opposant Jean Ping, qui dénonçait des « fraudes ».
Un AVC en octobre 2018 avait laissé M. Bongo de longs mois invisible et une partie de l’opposition continue, bientôt cinq ans après, de mettre en doute ses capacités physiques et intellectuelles à diriger le pays. La majorité, pour sa part, dénonce des campagnes centrées sur sa santé, « sans aucun autre programme ».
Le Gabon est l’un des pays les plus riches d’Afrique en PIB par habitant, grâce à son pétrole, son manganèse et son bois notamment. Mais « le pays peine à traduire la richesse de ses ressources en une croissance durable et inclusive » et un tiers (32,9%) de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté, écrivait la Banque mondiale en avril 2023.
Maderpost / Afp