Fondateur et président de SF Capital, une banque d’investissement basée à Dakar, à Maurice et aux Émirats arabes unis, Moustapha Sow est reconnu comme l’un des banquiers d’affaires les plus brillants du continent. Sa dernière prouesse : la structuration réussie du Programme Spécial de Désenclavement (PSD)-Sénégal, visant à construire plus de 2 700 km de routes, principalement dans les zones à fort potentiel économique. Performance exceptionnelle qui a valu à SF Capital de recevoir le prix de la transaction de l’année lors des African Banker Awards, organisés en mai dernier au Kenya.
FINANCE – Forbes Afrique : Quelle est la raison d’être de SF Capital ?
Moustapha Sow : SF Capital est une banque d’affaires panafricaine qui fournit des conseils indépendants et holistiques en matière de financements d’entreprises, de financements structurés, de projets et de Trade Finance.
Depuis sa création en 2017, elle a structuré des transactions d’une valeur totale avoisinant 11 milliards d’euros. Sa raison d’être est de participer activement à la structuration de projets d’envergure ayant des retombées socio-économiques conséquentes pour l’ensemble de la population africaine.
« SF Capital appartient aujourd’hui à la holding d’investissement SF Group »
SF Capital appartient aujourd’hui à la holding d’investissement SF Group. Cette holding détient également Microsen, une institution de microfinance, ainsi que West Africa HealthCare Company, une entreprise spécialisée dans le développement d’infrastructures de santé de nouvelle génération au Sénégal et en Afrique de l’Ouest.
De plus, SF Capital a noué un partenariat stratégique avec Al Shafar General Contracting (ASGC-UK), une société d’ingénierie et de construction basée au Royaume-Uni.
Ce partenariat a permis de mieux soutenir et stimuler le financement des infrastructures grâce à une approche inclusive, permettant aux entreprises de construction locales de participer et de bénéficier d’un transfert de technologie.
SF Capital a remporté le prix de la transaction de l’année (Deal of the Year-Debt) lors des African Banker Awards, pour avoir structuré le Programme Spécial de Désenclavement (PSD)-Sénégal.
Quelle est la particularité de ce programme ?
M. S. : Le PSD est le fruit d’un partenariat entre SF Capital, ASGC-UK, UK Export Finance (l’agence de crédit export britannique) et la banque japonaise Mitsubishi UFJ Financial Group (MUFG), au bénéfice du fonds d’entretien routier autonome (FERA) du Sénégal.
Ce projet unique a mobilisé une quinzaine d’institutions financières internationales de renom. La structuration du PSD, en tant que projet d’infrastructure majeur, a duré deux ans. Pendant cette période, SF Capital, ASGC-UK, UK Export Finance et MUFG ont collaboré étroitement avec les autorités sénégalaises pour mener à bien ce projet.
« La particularité du PSD-Sénégal réside dans le regroupement de plus de 87 projets d’infrastructures routières en un seul programme, d’un montant total de 774 millions d’euros »
La particularité du PSD-Sénégal réside dans le regroupement de plus de 87 projets d’infrastructures routières en un seul programme, d’un montant total de 774 millions d’euros. Ce programme a impliqué 67 entreprises locales sénégalaises et plus de 300 sous-traitants locaux. À terme, les retombées socio-économiques prévues incluent la création de plus de 50 000 emplois, impactant environ deux Sénégalais sur trois, soit 11 millions de personnes.
Le PSD représente une première du genre dans le financement des infrastructures en Afrique, particulièrement en matière de financement crédit-export, en démontrant également son caractère social et inclusif.
« Financement crédit-export », c’est-à-dire ?
M. S. : Un financement crédit-export est un financement accordé par une agence étatique pour soutenir une entreprise exportatrice. En finançant les exportations, ces agences, parfois appelées Export Credit Agencies (ECA) comme UKEF dans le cadre du PSD, facilitent les échanges internationaux et soutiennent la coopération bilatérale entre États.
Le financement peut se présenter sous forme de crédits (soutien financier) ou d’assurances/garanties (couverture), ou une combinaison des deux. En général, la plupart des financements bilatéraux sont opérés via les Exim, car ils offrent des conditions de financement très avantageuses (des montants importants, des coûts de financement compétitif et des durées longues), contrairement aux banques commerciales.
Vous avez déclaré que le PSD a corrigé une « anomalie » présente en Afrique. De quelle anomalie s’agit-il ?
M. S. : En général, les financements Exim favorisent majoritairement les entreprises étrangères plutôt que les entreprises locales, car l’objectif principal des bailleurs Exim est de soutenir les entreprises de leurs pays respectifs.
Ces financements sont réglementés par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Chaque pays a la possibilité de les utiliser à son avantage. Par exemple, la France et la Chine imposent de nombreuses restrictions, mettant les entreprises locales dans la quasi-impossibilité de bénéficier de ce type de financement.
« Nous avons mis en place, via le PSD, un mécanisme de financement inclusif favorisant l’implication des entreprises locales »
Conscients de cette anomalie et grâce à notre expertise en matière de financements Exim, nous avons mis en place, via le PSD, un mécanisme de financement inclusif favorisant l’implication des entreprises locales.
Nous leur avons ainsi facilité l’accès à cette importante niche de projets d’infrastructures routières, traditionnellement réservés aux entreprises étrangères, au détriment des entreprises locales.
Vous estimez que l’Afrique a besoin de plus de 150 milliards de dollars par année pour combler son besoin en financement d’infrastructures. Mais seulement 50 milliards de dollars sont disponibles chaque année.
Qu’est-ce qui manque pour atteindre les 150 milliards ?
M. S. : Nos pays africains ont un accès limité aux financements étrangers et les marchés financiers locaux manquent de profondeur et de liquidité. Sur les 54 pays africains, environ une vingtaine ont accès au marché des capitaux (Eurobonds), leur notation souveraine leur permettant d’emprunter des montants considérables à l’échelle internationale.
En raison de ce faible accès aux marchés internationaux, l’Afrique dans son ensemble a du mal à mobiliser les capitaux nécessaires pour financer ses infrastructures.
Le financement Exim est un levier adéquat pour combler ce déficit, en raison de ses conditions avantageuses (montant, durée et taux). Les 50 milliards de dollars actuellement disponibles représentent représentent un tiers du montant global actuellement disponible pour l’Afrique, en termes de financements Exim.
A titre d’exemple, la Chine, à travers ses deux agences de crédit à l’export, à savoir CHINA-EXIM et SINOSURE, est devenue le premier partenaire économique et financier de l’Afrique car la quasi-totalité de ses financements sont soutenus par celles-ci.
J’estime également qu’il serait bénéfique pour nos pays africains de développer nos marchés financiers locaux, de renforcer la liquidité des banques locales à travers des techniques de financements éprouvées par SF Capital, et de promouvoir des partenariats entre le secteur public et privé.
Quels types d’infrastructures ces 150 milliards de dollars peuvent-ils financer ?
M. S. : Les types d’infrastructures pouvant être financés sont nombreux : les infrastructures de transport (routes, autoroutes, chemins de fer, ports), celles d’ordre public (établissements de santé, écoles et universités), ainsi que les infrastructures énergétiques (pétrole et gaz, énergies renouvelables).
Quels sont les pays africains ayant les infrastructures les plus développées ?
M. S. : Les pays africains ayant la capacité de mobiliser des fonds extérieurs bénéficient de nombreuses opportunités pour développer leurs infrastructures. On peut citer l’Afrique du Sud, ainsi que plusieurs pays d’Afrique de l’Est tels que le Rwanda, l’Éthiopie, le Kenya, la Tanzanie, Djibouti, le Botswana et la Namibie.
En dehors de l’Afrique du Sud, le Sénégal se distingue comme l’un des pays pionniers en matière d’infrastructures, notamment dans le secteur routier, aéroportuaire et ferroviaire. Parmi les réalisations majeures, figurent l’Autoroute à péage Dakar-AIBD- Mbour-Thiès-Touba, totalisant 222 kilomètres, l’Aéroport International Blaise Diagne en cours d’extension pour accueillir 10 millions de passagers d’ici 2025, ainsi que la future revitalisation des axes ferroviaires Dakar-Tambacounda-Mali.
Le Sénégal dispose aujourd’hui d’une politique solide axée sur le développement des infrastructures, visant à favoriser l’intégration économique nationale et l’inclusion de toutes les couches sociales. La Côte d’Ivoire, quant à elle, a rapidement rattrapé son retard, devenant également l’un des leaders africains en matière de développement des infrastructures.
« Le Sénégal se distingue comme l’un des pays pionniers en matière d’infrastructures, notamment dans le secteur routier, aéroportuaire et ferroviaire »
L’Afrique centrale est la sous-région où nous avons le plus de
défis à relever en termes de développement des infrastructures durables. Il est donc essentiel que les États d’Afrique centrale mettent en place des politiques et programmes concrets pour promouvoir l’intégration régionale, faciliter l’accès aux marchés intrarégionaux et extérieurs, et améliorer la compétitivité des produits et services locaux.
Bien que cette région soit confrontée à davantage de défis que d’autres zones d’Afrique subsaharienne, on observe néanmoins des initiatives prometteuses des États en faveur du développement des infrastructures.
L’Afrique du Nord, pour sa part, évolue dans un contexte différent de celui de l’Afrique subsaharienne.
À quoi sert la plateforme d’investissement Africa50, créée pour combler le déficit de financement des infrastructures en Afrique ?
M. S. : Africa50 a réalisé d’énormes progrès. Jusqu’ici, la construction des infrastructures a été principalement financée par les États. Cependant, face à des problèmes d’endettement, ceux-ci ont dû chercher d’autres types de financements, notamment via des partenariats public-privé.
En Afrique, les États et le secteur privé ont du mal à capter certains capitaux nécessaires pour financer des projets où le secteur privé joue un rôle déterminant, tels que les ports, les chemins de fer, les autoroutes ou encore les centrales énergétiques.
« L’Afrique centrale est la sous-région où nous avons le plus de défis à relever en termes de développement des infrastructures durables »
Ces infrastructures nécessitent énormément de ressources. Africa50 joue un rôle d’appui pour les aider à négocier le financement de projets et de partenariats public-privé. Nous aurions souhaité une plus grande implication des entreprises de construction locales dans ces projets, à l’instar du PSD.
Le PSD-Sénégal a été dupliqué en Guinée et au Gabon. De quelle manière et pour quel montant ?
M. S. : Nous sommes en train de dupliquer le modèle du PSD-Sénégal en Guinée avec un financement de 650 millions de dollars et au Gabon avec 500 millions de dollars.
Nous envisageons de reproduire ce modèle non seulement dans la construction de routes, mais également dans le développement d’infrastructures en général, et ce, dans un maximum de pays.
Le besoin est réel et personne sur le marché n’offre ce type de solutions adaptées, holistiques et à haute valeur ajoutée.
« Africa50 joue un rôle d’appui pour aider les États à négocier le financement de projets et de partenariats public-privé »
Notre objectif est de mettre en place un mécanisme permettant aux États de regrouper plusieurs projets en un seul programme, offrant ainsi aux entreprises locales l’opportunité de participer et de bénéficier de ces projets. Nous visons à travers ces programmes, et particulièrement le PSD, à assurer un impact social considérable, en favorisant l’employabilité et l’inclusion sociale, éléments clés dans la création de richesse et de valeur ajoutée en Afrique.
« Notre objectif est de mettre en place un mécanisme permettant aux États de regrouper plusieurs projets en un seul programme »
À titre d’exemple, le PSD au Sénégal a généré plus de 50 000 emplois, impactant ainsi deux Sénégalais sur trois, soit 11 millions de personnes sur une population totale de 18 millions.
BIO EXPRESS
Né à Kaolack, au Sénégal, Moustapha Sow est titulaire d’un bachelor en sciences économiques et d’un MBA en finances de l’Université McGill à Montréal, au Canada. Il a débuté sa carrière bancaire au Canada chez Citi, avant de retourner au Sénégal en 2012, où il a notamment occupé le poste de directeur de la Société Islamique d’Assurance de l’Investissement et du Crédit à l’Exportation, une filiale du groupe de la Banque Islamique de Développement. En 2017, Moustapha Sow a fondé SF Capital, devenu depuis SF Group, une société panafricaine de gestion d’investissements. SF Group comprend plusieurs entités, notamment SF Capital SA, Microsen, la première institution de microfinance au Sénégal, West Africa Health-Care Compagny (WAHC), spécialisée dans le développement d’infrastructures de santé et de solutions de financement en Afrique pour des clients publics et privés, ainsi que ASGC, le principal partenaire stratégique de SF Capital dans le développement de solutions de financement pour les projets d’infrastructure dans la région francophone. Philanthrope et panafricaniste, Moustapha Sow a également créé, en 2018, la Fondation Moustapha Sow, qui œuvre activement en faveur des femmes et des jeunes. À ce titre, il a consacré plus de 2 millions d’euros à la promotion de l’éducation, en rénovant des écoles, en octroyant des bourses et en finançant des projets portés par des femmes en milieu rural.
Maderpost / ForbesAfrique