Par Mamadou NDIAYE
“Les peuples grondent. Mais, les dirigeants restent sourds. Les uns veulent savoir ce que les seconds s’entêtent à cacher. Ce dialogue, qui n’en est pas un à proprement parler, couvre des zones d’ombre. Et petit à petit, un coin du voile se lève laissant apparaître les incongruités du pouvoir et la faiblesse du système démocratique remis en cause faute d’une justesse de représentation.
Au Liban, le Premier ministre Saad Hariri démissionne sous la pression de la rue qui réclame, -une nouveauté- le départ de toute le classe politique. En Bolivie, une crise sociale se mue en crise politique et provoque le départ du Président Evo Morales, au pouvoir depuis quatorze ans. C’est un véritable séisme politique après trois semaines d’intenses contestations et d’agitations sociales. Aux yeux des observateurs, la démission paraissait l’unique issue. Le Chef de l’Etat bolivien était acculé. Même les militaires et les forces de sécurité l’ont lâché.
La Paz s’installe désormais dans l’incertitude, voire le chaos puisque des scènes de violences inouïes s’observent. “Jamais les forces de l’ordre ne tireront sur les citoyens”, prévient le chef de la police de la capitale bolivienne. En Irak en revanche, la police tire à balle réelle sur des foules massées le long des artères des principale villes du pays à feu et à sang. L’ONU s’émeut et avertit qu’elle ne saurait accepter la répression aveugle des Irakiens sans défense.
Plus près de nous, les bruits de bottes s’amplifient à Conakry. L’intention prêtée au président guinéen Alpha Condé de vouloir modifier la constitution pour briguer un troisième mandat suscite l’inquiétude dans la sous région ouest-africaine en même temps qu’elle interpelle la communauté internationale. Laquelle, par le biais de la Cour Pénale internationale (CPI) met en garde le pouvoir en place contre tous abus de pouvoir. Mais, le dernier acte posé par le président Condé de convoquer par décret le collège électoral est de nature à raviver la tension déjà perceptible partout en Guinée.
L’opposition, soutenue par la société civile, gagne en sympathie et voit ses rangs grossir à mesure qu’elle appelle à plus de vigilance face aux manœuvres de révisions constitutionnelles. De Conakry, donc, fuse une grande clameur fustigeant les dérives de pouvoir d’un homme de plus en plus seul. Ceux et celles qui reviennent de Guinée craignent le pire en raison des crispations notées ici et là. Le slogan “pas de 3ème mandat pour Alpha” est perçu comme une revendication démocratique et non identitaire puisqu’il mobilise de larges secteurs sociaux.
De Haïti, pays longtemps ballotté entre tyrannie et troubles récurrents, la permanence de l’instabilité a débouché sur un nouvel état d’esprit à l’origine du concept de “Passerelle” qui fait florès. Au Venezuela, en Irak, et même au Brésil, les foules de plus en plus denses, ont compris que la pression de la rue peut s’avérer payante. A Rio, Lula, retrouve la liberté grâce au courage de juges intègres, également sages pour comprendre, mieux que les politiciens, qu’emprisonner l’ancien président n’empêche pas ses idées de se propager et de pénétrer les foules pour se transformer en force politique à usage politique.
D’ailleurs Lula, aussitôt élargi de prison, s’est rendu au siège du syndicat qui l’a propulsé pour y retrouver ses camarades, signe qu’il repart au combat poing levé. L’art d’influer est intact de part et d’autre dans ce monde décidément en ébullition.
Le troisième mandat, perçu comme un “mandat de trop” pollue la vie démocratique en Afrique. Que faire ? Supprimer la disposition constitutionnelle de limitation des mandats à deux ? Ou rendre muette la loi fondamentale sur le nombre ou la durée des mandats ? Peu importe la séquence temporelle convenue, si les résultats ne suivent pas, les mandants sont en droit d’exiger la reddition des comptes (politiques et socioéconomiques). A cet égard, le Burkina Faso vit ce drame : car c’est au prix d’un courage frisant la témérité que les manifestants sont parvenus à renverser le régime de Blaise Compaoré en 2015.
Depuis, c’est le chaos, avec une violence terroriste qui met en émoi tout un peuple déboussolé par l’inertie du pouvoir et l’ampleur des tueries. Face à la persistance de la menace, le pouvoir à Ouagadougou n’a pas hésité à appeler Paris en aide pour endiguer l’offensive des terroristes. Le Burkina, comme le Mali, démontrent à la face du monde qu’ils n’ont pas les moyens de leur orgueil vanté partout. Ils sont lourds les dégâts laissés par un silence bruyant des dirigeants qui nous gouvernent.
En Afrique, le personnel politique reflète très peu la diversité sociale des pays. Garder le silence tout en s’efforçant de changer la règle, comme le tente l’actuel président guinéen, c’est multiplier les risques d’instabilité. Non seulement Condé peine à relever la Guinée du déclin, pire, son régime a accommodé le pays de la médiocrité.
L’économie est davantage dans la vie des gens que la politique qui relève, elle, de la spéculation du fait de l’inflation de promesses jamais tenues. L’appauvrissement du débat (politique et économique) poussent les franges encore actives vers plus de réalisme. La destruction créatrice de valeurs si chère au célèbre économiste autrichien Joseph Schumpeter peut-elle s’appliquer en politique ? Une offre politique centrée sur l’innovation dans les mœurs doit se frayer un chemin.
Verra-t-on un jour des chefs d’entreprises s’engager en politique ? Leur vision proche du terrain les prédispose à tenter le coup. Mais, l’hostilité des professionnels politiques est le premier obstacle à franchir. Néanmoins ils paraissent légitimes parce qu’ils ont une éthique du travail et connaissent le prix et la portée de l’effort. En outre, ils ont le bon sens du gestionnaire et une pratique des relations pour saisir la dimension humaine de la politique sans démagogie aucune. A moins que…”
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