Ce serait faire preuve de mauvaise foi, que de tenter de sous-estimer le rôle capital que le Pastef et ses dirigeants ont joué dans l’avènement de ce que beaucoup d’observateurs qualifient volontiers de la révolution du 24 mars 2024, différente, à tous points de vue, de l’alternance survenue, douze ans auparavant, presque jour pour, un certain 25 mars 2012.
TRIBUNE – Pour ce qui est du président Macky Sall, il s’agissait de la rébellion d’un cadre politique « docile » et loyal, ayant occupé de prestigieuses fonctions étatiques, contre son tout-puissant mentor, Me Wade, désireux de procéder à une dévolution monarchique du pouvoir au profit de son fils biologique. Cela allait, lui ouvrir, accidentellement, la voie à la magistrature suprême, surtout après la dislocation de Benno Siggil Sénégal, regroupant des hommes politiques expérimentés issus de la gauche socio-démocrate et marxiste.
Quant à Ousmane Sonko, son activité politique s’est toujours déroulée sous le sceau de la collégialité, reposant sur un solide socle programmatique, centrée sur la rupture avec l’ordre néocolonial obsolète, ainsi que sur la promotion des valeurs de bonne gouvernance, de justice sociale, de souverainisme et de panafricanisme.
Autant dire, que la démarche politique du Pastef présentait beaucoup de similitudes avec celle des partis de gauche ou nationalistes de la période post-indépendance, je veux parler du PAI historique, du RND, du MSU et d’AND-JEF, ainsi que des nombreuses formations politiques, qui en sont issues. C’est pourquoi, on retrouve dans sa direction des hommes politiques bien connus, qui ont osé tenter l’aventure avec les jeunesses patriotiques.
A contrario, d’autres partis, dont la contribution aux avancées démocratiques de notre pays est remarquable, ont fait montre d’une hostilité incompréhensible à l’endroit du Pastef, qui ne faisait que parachever, à sa manière, le combat, qu’ils avaient entamé, sans pouvoir le terminer, n’ayant peut-être plus la force ou les convictions d’antan.
C’est ce qui les a conduits à devenir des défenseurs inconditionnels, voire des flagorneurs zélés du régime de régression démocratique et sociale de Benno Bokk Yakaar, frôlant le despotisme, qu’ils voulaient même pérenniser, en s’alliant avec une personnalité emblématique de cette tristement célèbre bourgeoisie bureaucratique, qui pille notre pays depuis plus de 60 ans.
C’était sous-estimer le niveau de conscience politique du vaillant peuple sénégalais, qui a résolu, de manière magistrale, cette équation politique simple (rupture ou continuité), que plusieurs opérateurs politiques bien ou malintentionnés n’ont eu de cesse de vouloir, complexifier.
Il s’en est donc suivi la victoire éclatante de la « Coalition Diomaye Président » au premier tour, qu’on doit se garder d’assimiler, trop rapidement, à un blanc-seing en faveur du Pastef et ses alliés, mais qui semble plutôt relever d’un ras-le-bol populaire contre le régime de Macky Sall et ceux qui l’ont précédé depuis plus de 60 ans, tous auxiliaires du système néocolonial.
Les masses populaires sénégalaises, à l’instar de celles des pays voisins frères, ont choisi de rompre d’avec la domination impérialiste, mère de la confiscation de nos souverainetés, de la prédation de nos ressources, de l’atteinte à nos droits et libertés et de l’injustice sociale.
Il s’agit, maintenant, pour le camp patriotique, de matérialiser cette profonde aspiration populaire pour un véritable changement, dont le premier chantier doit être celui de la reddition des comptes, qui devra, dorénavant, devenir systématique.
A observer le nouveau régime, qui s’apprête à boucler ses soixante jours et avant la fin de la période de grâce des cent jours, on ne peut manquer de se dire, qu’il est impossible d’accomplir l‘exaltante œuvre de « transformation systémique » sans refondation institutionnelle, c’est-à-dire un démantèlement radical de l’ancienne armature institutionnelle. Il faudra également garantir la préservation pleine et entière des espaces politiques et civiques, c’est-à-dire le respect des droits et libertés des opposants politiques, des travailleurs ou des professionnels de la presse…etc.
Il s’agit, avant tout, de construire des autoroutes de la démocratie et un Train Express du Renouveau, en s’inspirant de l’héritage des Assises nationales.
L’Etat hyper-présidentialiste et directif, en vigueur jusque-là, reposant sur le triptyque : « police politique – justice instrumentalisée – assemblée aux ordres » ne peut servir à construire le nouvel ordre « décolonial », qui ne peut émerger, que sous l’action volontaire et combinée des diverses classes et couches sociales intéressées à son avènement.
Maderpost / Seneplus