Face au dérapage des comptes publics révélé mardi 26 mars, l’exécutif incrimine une morosité « exceptionnelle » des recettes… qui succède en fait à un dynamisme tout aussi inhabituel. Ce retour de balancier révèle le coût des baisses d’impôts consenties depuis 2017, largement responsable du creusement du déficit.
PARIS – La faute à pas de chance ? Comme dévoilé ce mardi 26 mars par l’INSEE, le déficit public a atteint 5,5 % du PIB en 2022, soit un niveau bien supérieur aux 4,9 % du PIB anticipés par le gouvernement.
« Nous avons fait la croissance [du PIB] attendue [mais] malgré cette bonne croissance, nous avons eu des recettes fiscales bien moins élevées que prévu », a-t-il indiqué sur RTL.
Dès lors, la sortie de route des comptes publics serait due à une « situation exceptionnelle où les recettes ne suivent pas », plutôt qu’à un manque de sérieux budgétaire de l’exécutif.
De fait, le fossé révélé par l’Insee semble avant tout résulter de revenus décevants. D’après l’institut, les recettes fiscales ont progressé d’environ 2 % l’an dernier, alors que le gouvernement les attendait en hausse de 3,7 %.
« L’essentiel de l’écart vient des prélèvements obligatoires, confirme Raul Sampognaro, chercheur à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). En particulier, les recettes de l’impôt sur les sociétés [ponctionné sur les bénéfices] ont été moins dynamiques que prévu, tout comme les droits de mutation sur les ventes de logements, du fait de la chute des transactions. »
Au total, le hiatus représente « une perte de recettes fiscales de 21 milliards d’euros », a précisé Bruno Le Maire. Un trou d’air conséquent, puisque le déficit total a atteint 154 milliards en 2023.
Mais le ministre omet de préciser qu’avant ce contrecoup « exceptionnel », il avait au contraire profité d’un vent très favorable. En effet, les rentrées fiscales avaient été très dynamiques lors des années précédentes, avec une progression « naturelle » bien plus rapide que celle du PIB.
En témoignent les calculs de l’Insee : chaque année, l’institut calcule l’évolution « spontanée » des recettes, c’est-à-dire celle qui aurait lieu sans nouvelles mesures de l’exécutif. De 2020 à 2022, cette tendance a accru les rentrées fiscales de 19 %, alors que le PIB nominal ne progressait que de 14 %.
Retour de balancier
Dès lors, leur décrochage en 2023 n’apparaît pas comme un coup du sort, mais plutôt comme une « normalisation », explique Raul Sampognaro. En effet, « les recettes des prélèvements obligatoires sont censées progresser au même rythme que le PIB à long terme, hors mesures du gouvernement », précise l’économiste.
Jusqu’à l’an dernier, leur dynamisme avait minoré le déficit public, faisant profiter l’exécutif d’un coup de pouce inhabituel.
Ce retour de balancier révèle au grand jour le coût des baisses d’impôts actées depuis 2017, qui était jusque-là masqué par la bonne tenue des recettes. Car ce sont avant tout ces ristournes qui ont plombé les finances publiques : de 2017 à 2023, elles ont creusé le solde public « structurel » de 2,2 % du PIB, d’après les chiffres des documents budgétaires que nous avons compilés.
Tandis que la hausse des dépenses a accru le déficit de « seulement » 0,6 % du PIB sur cette période.
Il faut dire que dès son premier quinquennat, Emmanuel Macron avait raboté les impôts des ménages de 24 milliards d’euros par an, comme le retrace une étude de l’Institut des politiques publiques.
Cette cagnotte a d’abord profité aux « premiers de cordée » : les 20 % les plus riches ont encaissé 44 % de son montant, alors que les 50 % les plus modestes en ont perçu seulement 19 %, d’après nos calculs basés sur cette étude.
S’y ajoute une baisse des ponctions sur les entreprises, à hauteur de 35 milliards d’euros par an au total depuis 2017.
Loin de vouloir revenir en arrière, Bruno Le Maire a réaffirmé mardi 26 mars qu’il était « totalement opposé à toute augmentation d’impôt sur nos compatriotes ». Quitte à faire payer l’addition à l’État-Providence ?
Maderpost / Marianne