Le gouvernement taïwanais a été le premier au monde à l’avoir vu venir. Dès la seconde où, le 31 décembre 2019, les premières bribes d’information ont filtré de la province chinoise du Hubei sur une “pneumonie d’origine inconnue”, Taipei est entré en gestion de crise, a mis en branle un plan déjà prêt jusqu’aux moindres détails et a envoyé une note à l’Organisation mondiale de la santé (l’OMS, dont il ne fait pas partie, malgré ses demandes répétées, et qui refuse de parler à Taipei).
Par François BROUSSEAU
Collé sur le pays-source de la COVID-19, à 100 km de ses côtes, et animé d’une méfiance profonde envers Pékin, Taiwan mettait immédiatement en place des restrictions aux frontières, un traçage de la contagion, en diffusant systématiquement consignes et informations. Le tout, avec un minimum d’atteintes aux libertés, sans confinement de la population !
Résultat au 18 mai 2020 : pour 23 millions d’habitants, Taiwan compte 440 cas de COVID-19 et… 7 morts. Pour une population trois fois supérieure à celle du Québec ! Une performance qui enrage Pékin, réalisée par un gouvernement qui défie ouvertement les prétentions chinoises à le diriger, et qui aujourd’hui présente au monde un modèle alternatif non autoritaire de lutte victorieuse contre le coronavirus.
Plus encore : sans tambour ni trompette, avec une discrétion à l’opposé de l’exhibitionnisme humanitaire chinois, Taipei y va également de sa propre “diplomatie du masque”. Taiwan produit 15 millions de masques par jour, mais exporte également du matériel spécialisé (thermomètres frontaux, caméras thermiques, respirateurs), qu’on retrouve aujourd’hui jusqu’au Québec.
Pour autant, la situation stratégique de Taiwan, face à une Chine plus que jamais menaçante, reste délicate et vulnérable. Pékin multiplie les manœuvres militaires, alors que les réseaux sociaux chinois laissent circuler des appels à une invasion en bonne et due forme pour “régler le problème taïwanais”.
L’assemblée annuelle de l’OMS, qui se tient lundi et mardi dans l’univers virtuel des visioconférences, a mis la Chine sur la sellette. Figurait à l’ordre du jour l’exigence, d’abord formulée par l’Australie (naguère encore docile avec Pékin), d’une enquête sur les “vraies origines” de la crise.
Cette demande a été reprise par d’autres États, alors que le prestige de Pékin diminuait, au fil des délais, dissimulations et intimidations du gouvernement chinois. Mais les Européens ont atténué la formulation australienne, demandant plutôt la tenue d’une enquête sur la gestion de la crise en général (par les États et les organisations)… enquête du reste reportée à l’après-pandémie.
Par ailleurs, malgré tous ses efforts, Taiwan — État indépendant de facto, aujourd’hui modèle d’efficacité dans le respect des libertés démocratiques, mais toujours paria à l’international — n’a pas recouvré à l’OMS le statut d’observateur dont il avait joui entre 2008 et 2016. Après l’élection de l’indépendantiste Tsai Ing-wen en janvier 2016 à Taipei, il avait suffi d’un claquement de doigts de Pékin pour que l’OMS révoque immédiatement ce statut auquel tenaient tant les Taïwanais.
(Pour se convaincre du poids de la Chine sur l’organisation, il faut voir la vidéo d’une interview, fin mars, d’un dénommé Bruce Aylward, Canadien de son état, vice-directeur général de l’OMS, à qui une journaliste hongkongaise de la radiotélévision RTHK demande pourquoi le modèle de Taiwan n’est pas étudié…
Le silence de dix secondes qui suit la question, puis la pathétique tentative d’éluder le sujet, et finalement la déconnexion mystérieuse de la transmission vidéo, sont d’une éloquence absolument extraordinaire ! Ou comment la simple mention du mot “Taiwan” devant un officiel de l’OMS… induit un silence paniqué.)
Quant à l’appui des États-Unis à Taiwan, y compris par quelques manœuvres maritimes au large de l’île, il paraît aujourd’hui trop intéressé et opportuniste pour lui être vraiment utile sur le plan diplomatique. Lorsqu’on sait ce que pense le gouvernement Trump de l’OMS… et aussi, avec le statut de quasi-paria des États-Unis eux-mêmes dans le monde de 2020 ! Et puis, les États-Unis déclencheraient-ils la guerre avec la Chine en cas d’invasion de Taiwan ?
Taiwan a pourtant aujourd’hui beaucoup de choses à apprendre au reste du monde.