Un samedi pas comme les autres que j’ai passé la semaine dernière et pour cause, le covid s’est invité à la maison sans toquer à la porte, comme il le fait partout d’ailleurs. J’étais loin de m’imaginer que j’allais tomber des nus en voyant s’effondrer de douleurs ceux-là mêmes qui nous soignent parce qu’ils n’ont pas fait médecine pour voir autant de souffles quitter les corps avec une telle violence.
CORONAVIRUS – Le mot est lâché et pas par n’importe qui. Un médecin consterné par la vitesse de la propagation du virus et surtout des limites d’accueil des centres d’accueil de malades du covid-19 lâche dans la clinique où j’ai emmené mon épouse ce que sa corporation et personnel du secteur médical redoutent depuis : “C’est la catastrophe”.
“Ça manque de tout, d’oxygène, d’infrastructures capables d’accueillir les malades, de personnel parce que les médecins et infirmiers exposés sont de plus en plus malades. C’est la catastrophe totale”, bredouille-t-il presque, visiblement à la limite de ses forces. Il en a trop vu, plus qu’il ne peut en supporter.
Il n’a pas fait médecine pour compter autant de décès. “Trop de morts. Des jeunes, des femmes enceintes, des personnes du troisième âge” parce que le précieux oxygène “est introuvable”.
Désespéré, il lance son appel qui résonne encore dans mes oreilles : “vous qui avez quand même une voix qui porte, il faudrait que vous jouez totalement votre rôle”. J’encaisse, abasourdi. Parce que la même requête revient sans cesse, répétée depuis plusieurs semaines par des docteurs et professeurs qui ne savent plus où donner de la tête. Les journalistes sont devenus des alliés, des relais de transmission dans ce qui est devenu la grande souffrance des blouses blanches.
“Ce n’est plus une affaire d’Etat ou de politique, c’est devenu l’affaire de tout le monde, personne n’est épargné, si cela continue ainsi, ce sera l’hécatombe et si jamais nous nous retrouvons avec un variant Epsilone, Gamma ou Zeta, muté au Sénégal, le pire est à craindre et pas seulement pour nous autres Sénégalais parce que cela voudrait dire que le virus s’est adapté au contexte africain”, avertit un autre médecin
J’essaie de reprendre mes esprits, mais une nouvelle tombe : une pharmacienne vient de rendre l’âme. Il n’y avait pas de bouteille d’oxygène pour elle. Elle qui a servi la santé, j’entends dire, interloqué. Suit dans la foulée un autre coup de poing reçu en plein estomac. Dix malades sont en attente d’hypothétiques bouteilles d’oxygène de l’autre côté de la route de l’aéroport Yoff, le centre de santé Maguilène Senghor. “Elles vont mourrir”, dit le médecin.
Je regarde mon épouse, sens une boule grossir à la gorge. L’anxiété, moi, d’habitude calme, voit le sang quitter mes mains. Aucun signe pour me rassurer, sinon prier et s’en remettre à Dieu, le Généreux, le Miséricordieux, à qui j’implore de guérir ces malades dont ma femme. Mais, je ne suis qu’au début d’une difficile après-midi d’un samedi de souffrances.
M’attendent au Centre de diagnostic médical (CEDIMED) à Unité 26 des Parcelles Assainies des images pénibles à voir. Un vieil homme perfusé dans l’ambulance, une jeune femme d’environs 20 ans toussant, à quelques mètres une femme enceinte haletant, plus loin des femmes aux yeux pâles respirant à peine. Puis les autres malades qui arrivent quasiment tous pour un scanner des poumons. Il ne fait aucun doute sur le diagnostic. Chez ces malades que je vois, le covid se nourrit des alvéoles pulmonaires et poumons qu’il crame sans concession.
Cela m’est insoutenable, d’autant que les malades, pour l’essentiel des femmes, n’ont pas tous 50 000 francs CFA. Le prix à payer pour savoir si le virus s’est servi ou non et jusqu’où ? Moite, je me mets à craindre le pire. Toutes ces mamans, toutes ces filles.
Je sens la colère sourde, grossir, monter, gronder. Tout en dedans. Comment a-t-on pu faire pour en arriver là, sachant que nous n’avons pas grand chose pour ne pas dire rien, à part de vaillants hommes et femmes médecins, infirmiers, aussi insuffisamment équipés que désemparés pour faire face ?
En mai, on savait déjà que Delta avait franchi nos portes.
“Beaucoup de ces femmes malades frappées de comorbidité, auront besoin, en plus du protocole médical, d’oxygène (en moyenne 30 litres par jour et par personne) manquant gravement, d’anticoagulants pour prévenir les embolies pulmonaires, de corticoïdes pour éviter ou résorber les inflammations des poumons” me dit plus tard un médecin. Confidence à laquelle j’ajoute : l’argent pour payer la note et s’acheter l’oxymètre ou saturateur (entre 20 000 et 30 000 FCFA) pour quantifier matin et soir la saturation en oxygène des poumons, pour ceux qui n’auront pas la chance d’être hospitalisés dans les CTE.
Des soins salés pour ceux qui auront de la chance. La mort certaine, facile, pour les malchanceux en situation aggravée de covid parce qu’ils ne pourront pas s’offrir le luxe de se soigner parce que pauvres, parce qu’ils n’auront pas l’oxygène bien que riches ou aisés. Une situation absurde à l’arrivée la mort sans retenue.
Prenez soin de vous. Vaccinez-vous, testez-vous. Vive la vie !
Charles FAYE
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