Le 13 aout 2024, une regrettable journée sans presse. Nous ne faisons pas l’apologie de la délinquance fiscale eu égard au rôle de l’impôt (Schumpeter, 1918). Mais, la situation actuelle de la presse dépasse une simple obligation de conformité fiscale basée sur un juridisme primaire (contrôles et sanctions).
TRIBUNE – En effet, la théorie économique, la pratique et la particularité du secteur de la presse exigent une approche intelligente.
Du point de vue théorique, Ibn Khaldoun (1377) a souligné que des impôts peu élevés sont plus efficaces pour l’activité économique, pour le développement des recettes fiscales et pour la réalisation de la citoyenneté. Au-delà d’un certain seuil, l’impôt devient une charge déraisonnable et incite à l’évasion fiscale. Cette théorie d’Ibn Khaldoun est plus connue sous l’appellation « courbe de Laffer ».
Dans la pratique, nous pouvons citer le cas d’école qu’est la France. Fraichement élu en 2012, en plus d’une pression fiscale déjà lourde, François Hollande souhaite taxer à 75% les plus hauts revenus. Cela crée environ 6000 expatriations fiscale entre 2013 et 2018 (dont le départ fracassant d’un certain Gérard Depardieu) avec une perte fiscale entre 60 et 80 milliards d’euros par an. L’ISF (impôt sur la fortune) fût abandonnée. Au Sénégal, d’après le rapport 2021 Global Alliance for Tax Justice, l’État perd plus de 100 milliards de FCFA par an du fait d’un manque d’intelligence fiscale.
Enfin, la particularité de la presse nécessite un traitement fiscal « spécifique ». En effet la presse joue un rôle de service public et de vitalité démocratique. En 2000, l’alternance politique aurait difficilement eu lieu sans le rôle de vigie joué par la presse. Plus récemment en 2024, sans la presse la démocratie sénégalaise aurait basculé dans l’abîme. Aussi la presse participe à la construction d’une conscience collective et à la cohésion nationale ; gage de sécurité pour l’Etat. Tenter de fragiliser la presse reflète un manque d’épaisseur stratégique. En plus de son rôle social, l’entreprise de presse est également particulière en ce sens qu’elle vend un produit (information) d’une durée de vie éphémère. S’y ajoute un bouleversement dû à la digitalisation. Fort de ces constats, certains pays ont adapté leur fiscalité. Par exemple, en France, la loi n°2021-1900 du 30 décembre 2021 exonère 30% du montant investi dans le capital d’une entreprise de presse. Aussi, les journalistes bénéficient d’un abattement de 7 650 € de leurs revenus imposables.
Solutions …
Au lieu d’étrangler la presse (Stades et Sunu Lamb ont déjà fait faillite), un Etat responsable devrait accompagner le secteur vers un nouveau model économique (du papier au digital… ) comme lors du passage à la TNT avec la création de TDS-SA.
Ensuite, il serait important d’élargir l’assiette fiscale. Cela passerait entre autre par la viabilisation des PME (via l’ADPME) dont 65% font faillite avant la fin de leur année de création.
L’Etat devrait également travailler sur l’équité fiscale en activant trois leviers. D’abord l’équité distributive, qui se rapporte à la perception par les contribuables que le gouvernement agit en tant que bon garant et dépensier des recettes fiscales (élimination des agences budgétivores, rationalisation des fonds spéciaux ..). Ensuite l’équité procédurale, qui se rapporte à la perception que les administrations fiscales respectent strictement les procédures établies et sont équitables dans leurs relations avec les contribuables (fiabiliser la digitalisation de l’acquittement pour éviter les multiples passe-droits). Et enfin l’équité rétributive, qui se rapporte à la perception que les autorités fiscales soient équitables dans l’application des sanctions lorsque les règles ou normes fiscales sont violées (ce qui ne serait pas le cas pour la RTS, le Soleil et l’APS).
Avant de « tuer » la presse, l’état devrait savoir que sans entreprise pas d’économie et sans presse pas de démocratie.
Dr Samba Faye
Porte-parole de la RV /Thierno Alassane Sall
Maderpost