En marge du dernier Sommet Afrique-France auquel il a pris part à Montpellier, en France, le chef du Laboratoire de télédétection appliquée, qui se trouve à l’Institut des sciences de la terre (Ist) de l’Ucad, a échangé avec Le Quotidien sur les ambitions du Sénégal, dans la conquête et la maîtrise des données spatiales, et la manière dont elles peuvent contribuer à l’avancement du pays.
Vous coordonnez, pour le compte du ministère de l’Enseignement supérieur, le programme spatial sénégalais. En quoi consiste ce programme exactement ?
CONQUETE SPACIALE -Les sciences spatiales offrent aujourd’hui beaucoup d’opportunités. Le Sénégal a l’ambition de tirer profit de ces sciences spatiales pour accompagner son développement. Il ambitionne, pour cela, de mettre en place un écosystème spatial. Il y aura les ressources humaines, l’encadrement institutionnel, l’innovation, le secteur privé. Le Sénégal a misé, dans la première phase, sur les ressources humaines. Ils sont aujourd’hui en train de former des ressources humaines capables de porter leurs projets. Cela a commencé l’année dernière par l’envoi, au Centre spatial de Montpellier, de trois étudiants issus des écoles d’ingénieurs du Sénégal, pour faire un Master dans le domaine spatial. Et le processus est encore en cours, d’autres étudiants viendront encore.
Quand vous dites «ils», de qui parlez-vous ?
Je parle de l’Etat du Sénégal, à travers le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Cette année, il y aura dix personnes envoyées à Montpellier, 5 techniciens et 5 ingénieurs. Et ces étudiants qui vont à Montpellier vont travailler, à partir du mois de mars, sur le premier satellite sénégalais. Il s’agit donc d’étudiants formés dans les universités sénégalaises, qui viennent compléter leur formation appliquée dans le domaine spatial et qui vont fabriquer le premier satellite sénégalais à partir du mois de mars 2022. Un satellite dont le lancement était prévu en 2021 mais, avec les aléas du Covid, cela a été reporté en 2023. Et on ne va pas se limiter à cela.
Après ce lancement, on va aller vers des satellites plus grands, avec d’autres applications, les traitements et l’utilisation des données…
Quel est le profil d’étudiants qui sont retenus pour ce programme spatial ?
Comme dans la première phase, nous sommes dans la partie technologique, dans la construction, il s’agit d’étudiants des Ecoles polytechnique de Thiès, de Dakar et de Saint-Louis. Ce sont des ingénieurs et des techniciens en électromécanique, en télécommunications, en électronique, en mécanique, qui sont ciblés dans un premier temps. Mais après la construction des satellites, il y aura la production des données, et il y aura d’autres ressources humaines pour l’exploitation et les applications de ces données.
N’est-ce pas un peu trop ambitieux, pour un pays pauvre et très endetté –comme nous avons l’habitude de le dire– comme le Sénégal d’avoir un programme spatial, alors que les besoins de base des populations ne sont pas encore réglés ?
Les gens disent cela parce qu’ils ne comprennent pas souvent les enjeux du spatial. Parce que malheureusement, quand on parle du spatial, les gens pensent le plus souvent aux étoiles, à la lune. Nous n’avons pas l’ambition d’aller sur Mars. Pour le moment, du moins, parce qu’il ne faut jamais dire jamais dans la vie. Mais aujourd’hui, il y a chaque année des inondations à Dakar. L’utilisation des données géo-spatiales permettrait de les gérer plus facilement, de prendre à l’avance des mesures d’atténuation. On parle maintenant d’agriculture intelligente. Je donne un exemple très simple. Le Sénégal a besoin de connaître, à la fin de l’année, les superficies totales cultivées en riz, en arachide, en mil, en maïs…, et les statistiques de ces cultures pour bâtir un programme agricole et un programme alimentaire. Les données spatiales permettent de maîtriser tout cela. On parle beaucoup d’érosion des sols, de feux de brousse, ces phénomènes peuvent être gérés avec les données géo-spatiales. Donc, ce sont les satellites qui tournent autour de la terre qui nous fournissent aujourd’hui des informations sur notre terre et que nous utilisons ensuite dans nos politiques pour gérer nos ressources et faire la planification. Donc, pour nous, l’espace nous permet de produire des connaissances qui vont nous permettre de mieux gérer nos territoires et mieux planifier. Ce n’est pas (encore) pour aller dans les nuages ou les galaxies.
Cette approche et cette manière de voir les choses sont-elles bâties sur une politique d’Etat ou n’est-ce là que la volonté d’universitaires, qui voudraient l’imposer à l’Etat ?
Ma spécialité, en tant qu’universitaire, c’est l’utilisation des données satellites géo-spatiales, appliquée à la gestion des écosystèmes. J’ai fait ma thèse de doctorat là-dessus. Mais le ministère de l’Enseignement supérieur a pris l’initiative d’exploiter l’espace. Et pour cela, il a pris l’initiative d’initier un programme spatial basé sur les ressources humaines, en amont et en aval, basé sur la construction et les applications.
Dans cette volonté, le ministère a fait appel à moi pour les accompagner, et je suis là presque depuis le début du programme. Je continue en tant qu’universitaire, avec une équipe composée d’universitaires sénégalais. Mais le programme lui-même est, d’ailleurs, une demande du président de la République.
Qu’est-ce qui a pu expliquer votre participation au Sommet Afrique-France tenu à Montpellier, et quel message y avez-vous apporté ?
Il s’agissait, d’abord, de présenter le programme spatial sénégalais et ensuite de souligner que le Centre spatial de Montpellier est le partenaire du ministère de l’Enseignement supérieur dans ce programme spatial. J’ai présenté les applications actuelles du spatial au Sénégal en agriculture, dans la lutte contre les feux de brousse, les inondations, l’érosion, etc., et j’ai fait une présentation sur le rôle de l’enseignement supérieur dans le développement de l’Afrique.
Et pensez-vous que ce rôle est important ?
Il est fondamental ! L’enseignement supérieur, la recherche, doivent participer au développement de l’Afrique ! On doit avoir, aujourd’hui en Afrique, un enseignement supérieur basé sur les besoins.
La rengaine en Afrique, c’est toujours l’inadéquation de la formation par rapport aux besoins de l’emploi, que l’Université ne répond pas aux besoins des entreprises, etc.
Ce qui entraîne ce jugement c’est que souvent on importe des curricula qu’on ne tropicalise pas. Avec la colonisation, l’enseignement supérieur était basé sur le modèle français. De plus en plus, on tend vers l’adéquation. Quand on bâtit un nouveau curriculum, on part d’un besoin spécifique au niveau national. Ce qui fait que les gens formés le sont pour résoudre des besoins au niveau du pays. La recherche également doit partir des besoins réels du pays, mais pas de la recherche fondamentale, destinée à être publiée dans des journaux internationaux, sans vraiment servir à la Nation. On doit aller vers la recherche appliquée, qui va fournir des services, qui aura des solutions pouvant être utilisées par le privé, pour l’innovation et la production des services. Mais cette recherche doit être appuyée par l’Etat, les structures de financement, pour pouvoir mieux jouer son rôle.
Cela est intéressant, au moment où l’on se rend compte que les études en Afrique deviennent de plus en plus chères. Quand vous parlez de l’Etat, pensez-vous qu’il doit être l’acteur essentiel de la formation, ou bien une partie devrait-elle revenir au privé ?
L’Etat, surtout dans nos pays, n’a pas les moyens de jouer tous les rôles. Dans les pays développés, comme la Corée, la recherche est financée à plus de 50% par le privé. L’Etat ne peut pas garantir l’ensemble du financement de la recherche. Il est là pour encadrer, impulser, mettre en place un écosystème favorable pour que le privé puisse investir. Mais l’Etat doit être garant qu’il n’y aura pas de dérives.
L’intérêt de l’implication du privé dans le financement est de lui permettre de guider un peu les orientations, en fonction des besoins sur le marché. Et après la formation, de pouvoir absorber les jeunes qu’il a aidés à financer les études.
Maderpost / Le quoitidien