Des expatriés français ont expliqué au HuffPost la stratégie intrusive adoptée par la cité-État, dès le début de la pandémie, pour contrer efficacement le Covid-19.
CORONAVIRUS – Comme plus de 180 pays dans le monde, Singapour n’échappe pas à la pandémie de coronavirus. Mais, dans cette cité-État de 6 millions d’habitants, seulement quatre décès et environ 900 cas de Covid-19 y ont pour le moment été enregistrés.
À titre de comparaison, la ville de Paris totalisait le 1er avril au soir environ 400 décès pour 2,2 millions d’habitants. Le très faible bilan singapourien a été rendu possible grâce à une stratégie -citée en exemple- bien différente de ce qui est actuellement vu en France ou dans d’autres pays d’Europe très touchés.
“En 2003, le Sras avait fait 24 morts à Singapour. Depuis cette épidémie, l’État a mis en place des mesures de réponses fortes. Le pays était donc déjà préparé pour cette épidémie de coronavirus, explique en préambule au HuffPost Sébastien*, un Français de 32 ans gérant d’une société de logiciel et installé à Singapour depuis 2014. Singapour est un État qui prône la sécurité avant tout, et ne prendra jamais aucun risque sanitaire”.
Comme en Corée du Sud, qui a enregistré à ce jour un peu plus de 160 décès (pour 52 millions d’habitants) et où une stratégie de lutte contre le coronavirus similaire a été mise en place, le traçage technologique est l’une des mesures principales à Singapour. Le traçage s’effectue via la vidéosurveillance et l’utilisation de l’application gouvernementale TraceTogether sur smartphones.
“Tout le monde a installé cette appli”
Cette application associe un identifiant unique à chaque smartphone sur lequel elle est installée. Elle enregistre ensuite tous les identifiants associés aux smartphones détectés dans un périmètre de deux mètres pendant une durée d’au moins 30 minutes, dont les propriétaires pourraient représenter un risque de contamination, explique BFMTV.
Et lorsqu’une personne s’identifie comme porteuse du virus, tous les smartphones détectés par le passé peuvent alors recevoir une alerte. “Cette application n’est pas obligatoire, mais tout le monde autour de moi l’a installée, assure Sébastien. Les données ne sont utilisées que pour lutter contre le Covid-19. C’est pour ça que la population est très coopérante ici.”
Tracer les smartphones et assurer une bonne protection de la vie privée? Cette application le garantit en associant des identifiants anonymes à chaque smartphone et assure ne pas suivre à la trace les déplacements des utilisateurs.
“Dès qu’il y a une personne testée positive, il y a des enquêteurs qui vont lui poser toutes les questions possibles sur les 14 derniers jours qu’elle a passés à Singapour, ainsi qu’aux membres de sa famille: ’dans quel restaurant êtes-vous allé ? Quel transport avez-vous pris ? Qui avez-vous croisé au bureau ?”, raconte Sébastien.
Ça fait deux mois que dès que je rentre dans un bâtiment, que ce soit une librairie, un centre commercial ou une banque, je dois enregistrer mon numéro de téléphone sur un formulaire à l’entrée pour pouvoir être rappelé si il y a eu un cas dans le lieu où je suis allé.
C’est un vrai travail de fourmi. C’est comme ça qu’ils ont réussi à identifier très rapidement les clusters. Le plus gros cluster ici, c’est seulement 47 personnes dans un centre de loisirs.”
“Je suis appelé aléatoirement pour vérifier que je suis bien dans ma chambre”
“Dès que les autorités sanitaires identifient une personne qui a potentiellement le virus, mais qui ne le sait pas encore, elle est appelée et on lui dit de rester à domicile et de ne pas en sortir pendant 14 jours, continue-t-il. Si ce n’est pas le cas, elle peut se faire renvoyer du pays et elle risque une très grosse amende et même de la prison”.
Jusqu’à six mois, et une amende pouvant atteindre 10.000 dollars singapouriens (6400 euros), selon la loi. La cité-État est connue pour ses lois sévères en temps normal et revendique un taux de criminalité très bas.
Ce confinement très strict à domicile ou dans une chambre d’hôtel, plusieurs Français le connaissent actuellement ou viennent tout juste d’en sortir.
C’est le cas de Jesse, 29 ans, dans l’informatique. Alors qu’il devait rejoindre la Malaisie par cargo pour travailler à distance pour son entreprise française, il a été contraint de débarquer au port de Singapour et a été automatiquement placé en quarantaine à l’hôtel.
“Depuis 12 jours, j’ai interdiction de sortir de ma chambre d’hôtel, confie-t-il au HuffPost. En sachant qu’il n’est pas possible d’ouvrir la fenêtre, je respire donc de l’air conditionné 24 heures sur 24…. Je suis appelé aléatoirement pour vérifier ma santé, mais aussi que je suis bien dans la chambre, avec des questions un peu pièges comme: ‘êtes-vous sorti aujourd’hui, ou quels sont les trois derniers chiffres de votre passeport?’”
“Mon employeur doit transmettre ma température une fois par jour”
Marie, 27 ans, vivant depuis un an à Singapour et travaillant dans le luxe, arrive elle en toute fin de sa quarantaine. “J’y ai été placée préventivement par mon employeur alors que je revenais d’Australie, quelques heures avant que cela ne devienne obligatoire pour ceux qui arrivaient ou rentraient à Singapour”, témoigne-t-elle auprès du HuffPost.
“Mon employeur doit depuis transmettre ma température une fois par jour, et le gouvernement me géolocalise plusieurs fois par jour via un SMS (voir l’image ci-dessous) auquel tu as une heure pour répondre, sans quoi il y aura des sanctions contre toi ou ton entreprise, dit-elle encore. Tu tournes un peu en rond avec des émotions qui passent de la colère, à la peur et à la solitude. L’important est de rester en contact avec ses proches, de garder un lien social. Et finalement ça passe assez vite.”
“Une cellule spécialisée nous appelle trois fois par jour en visio”
Amaury, 25 ans, vit depuis deux ans à Singapour et travaille dans la maintenance aéronautique. Il sort tout juste de sa quarantaine à domicile.
“Sur un vol en rentrant de Brisbane (Australie), il y a eu un passager porteur du coronavirus. Tous les passagers étant à proximité, dont moi, ont été placés en quarantaine, raconte-t-il au HuffPost. Une cellule spécialisée nous appelle trois fois par jour en visio par WhatsApp pour vérifier qu’on se trouve bien à notre domicile. Ils nous demandent la température, si l’on a des symptômes et de montrer autour de nous en filmant que l’on est bien seul chez nous.”
Laure*, 18 ans, étudiante à Singapour et de retour de vacances à Bali, vit elle une quarantaine moins intrusive, car elle n’a pas encore été contactée une seule fois par les autorités. Mais il existe une raison bien particulière: ”Étant normalement résidente aux États-Unis, je n’ai donc pas de numéro local et les autorités ne m’ont jamais contactée ou ne sont jamais encore venus chez moi… En revanche, des amis ont été contactés par message plusieurs fois avec des demandes de photos pour prouver leur environnement”.
“Au début, ils avaient trois équipes d’enquêteurs du ministère de la Santé à temps plein qui contactaient les gens. Aujourd’hui, ils en ont vingt, explique Sébastien au HuffPost. Ils s’appuient parfois sur la police pour avoir accès à la vidéosurveillance et remonter le maximum de sources. Leur stratégie consiste donc à retracer tout l’arbre des personnes qui sont malades en amont. C’est comme ça qu’ils ont réussi à aplatir la courbe des contaminations dès le début.”
Cela a aussi permis à Singapour d’éviter les mesures extrêmes de confinement aujourd’hui adoptées par de nombreux autres pays du monde, avec de lourdes conséquences sociales et économiques.
“Aujourd’hui, seuls les bars et discothèques sont fermés, indique Sébastien. Ils nous demandent de plus en plus de télétravailler, mais ce n’est pas encore obligatoire. Les restaurants ont le droit d’ouvrir une seule table sur deux pour s’assurer qu’il y ait bien un mètre de distance sociale”.
Et les habitants risquent désormais la prison s’ils se tiennent trop près les uns des autres, selon de nouvelles régulations drastiques contre la propagation du virus annoncées la semaine dernière.
Parmi les mesures de distanciation physique, Singapour a annoncé l’interdiction de se tenir à moins d’un mètre d’autrui, sauf dans certaines situations comme dans les habitations.
Les habitants ne doivent plus se tenir intentionnellement trop proches les uns des autres dans les files d’attente, et doivent s’asseoir en laissant au moins un mètre de distance avec une autre personne dans les lieux publics.
“Je me sens beaucoup plus en sécurité ici à Singapour qu’en France”
La cité-État a pris ces nouvelles mesures pour essayer d’enrayer une résurgence des cas d’infections par le Covid-19.
“Jusqu’à très longtemps, il n’y a eu ici que 200 cas enregistrés. Mais maintenant, il y a une deuxième vague avec des cas importés d’Europe et des États-Unis”, contextualise Sébastien.
Les gérants de commerces doivent prendre des mesures pour faire respecter ces nouvelles règles, comme d’espacer les sièges pour le public ou de réguler les files d’attente, faute de quoi ils risquent des peines similaires.
“Très tôt, ils ont responsabilisé les employeurs, explique encore Sébastien au HuffPost. Ça fait par exemple deux mois que je prends ma température deux fois par jour, qui est enregistrée quotidiennement par mon entreprise.”
La semaine dernière, Singapour a aussi interdit son territoire aux non-résidents y compris pour le transit aérien. Ce qui engendre des situations compliquées pour des étrangers qui ont pourtant un permis de travail singapourien.
“J’ai un ami français travaillant à Singapour qui est parti quatre jours à Bali. Il n’a pas pu rentrer, car il est trader et considéré comme pas important pour l’économie locale. Donc il n’a pas eu d’autre choix que de rentrer en France pour le moment”, raconte Sébastien.
Sa situation professionnelle personnelle serait tout aussi précaire s’il venait à quitter le pays maintenant pour vouloir y revenir ensuite: “Le ministère de la Santé étudierait mon cas en regardant dans quelle industrie je travaille. Comme je ne suis pas dans une industrie-clé, comme le médical ou le transport, mais dans l’informatique, il y a très peu de chance que l’on me donne l’autorisation. Car les autorités ne veulent surtout pas surcharger le retraçage des personnes. C’est pour ça qu’aujourd’hui, je ne quitte pas le pays et je ne devrais probablement pas le faire avant au moins un an.”
Aurait-il de toute façon envie de retourner en France durant cette pandémie? “Je me sens beaucoup plus en sécurité ici à Singapour quand j’entends ce que me racontent mes amis en France”, conclut-il.
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes
Maderpost / Huffpost