Le Chef l’État Bassirou Diomaye D. Faye, nouvellement installé, a préconisé, dans son message à la Nation du 3 avril 2024, l’abandon du modèle de gestion électorale mixte initié au Sénégal avec la création de l’Observatoire National des Élections (ONEL) en 1998 puis le renforcé par la mise en place de la Commission Électorale nationale Autonome (CENA) en 2005 pour l’adoption d’un modèle indépendant en vigueur depuis près de 25 ans dans la plupart des Etats africains.
CONTRIBUTION – Il y a lieu de souligner que dans le modèle sénégalais ces deux organes ont une mission de contrôle et de supervision des opérations électorales et référendaires. La préparation et l’organisation matérielle de celles-ci sont restées exclusivement du ressort du Ministère de l’Intérieur ou du Ministère chargé des Élections créé en 2011.
Malgré les avancées obtenues, notre modèle de gestion comporte des limites au vu de la tutelle politique qui pèse sur l’administration électorale. C’est ainsi que celle-ci bien que compétente et expérimentée, elle « MANQUE D’INDÉPENDANCE » selon la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE 2019 au Sénégal) lors de la présidentielle de 2019. Force est de constater que ce fait s’est illustré à suffisance durant la phase pré-électorale de la dernière présidentielle…
Dès lors, il revient aux architectes et maîtres d’ouvrage de concevoir un cadre moderne et adapté conformément aux orientations et qui respecte les normes édictées par la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui prône, en son article 15, la constitutionnalisation de l’autorité indépendante en charge des élections ainsi que le Protocole Additionnel de la CEDEAO sur la Démocratie et la bonne Gouvernance.
Il est certain que nos architectes ne se limitent pas à reproduire les tours conçues et construites ailleurs depuis des décennies fussent-elles d’une beauté splendide. De merveilleux immeubles de dernière génération fleurissent à Dakar…
En tout état de cause, le contenu devra garantir l’autonomie financière et de gestion de la nouvelle Autorité administrative indépendante quelle que soit du reste sa dénomination (CENI, CEI, CENA, AIGE, ANGE, ANE…).
L’équation principale réside dans la place et l’articulation de l’administration centrale et déconcentrée en vue de la conduite des opérations électorales et référendaires…
Sous ce rapport, se pose une question centrale : faut-il dépouiller totalement le Ministère de l’Intérieur de toutes les tâches électorales ?
Ne devrait-on pas s’inspirer de la récente réforme malienne en confiant la révision annuelle des listes électorales et l’organisation matérielle des scrutins et référendums au Ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation (MATD) en tant qu’organe d’appui de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) ?
La logistique électorale pourrait-elle être co-gérée entre la Haute Autorité de Gestion des Élections (HAGE) et une Direction des opérations électorales logée au sein du ministère de l’intérieur ?
Faut-il créer une Délégation générale aux élections (DGE) hors du département ministériel et une direction des finances au sein de l’organe indépendant de gestion électorale ?
En outre, les textes doivent être clairs sur la co-gestion éventuelle du fichier électoral avec notamment l’option annoncée par le Président de la république (automaticité de la carte nationale d’identité/carte électeur à partir de l’âge de 18 ans). Ce qui sera moins lourd et plus transparent.
De plus, cette autorité devra inclure, dans ses attributions, la détermination et l’octroi des fonds publics destinés aux partis politiques ainsi que la modernisation et la régularisation du système partisan.
De plus, cette autorité devra inclure, dans ses attributions, la détermination, l’octroi et le contrôle des fonds publics destinés aux partis politiques en relation avec les corps de contrôle ainsi que la modernisation et la régularisation du système partisan.
Enfin, il importe d’appréhender le piège de la « politisation » dans la composition de l’autorité indépendante en tirant les enseignements des commissions politisées telles que vécues avec la CEI en Côte d’Ivoire.
Le Sénégal est capable de s’inspirer de sa propre trajectoire, de l’expérience des autres et de faire preuve d’innovation.
Dans le même sillage, la fixation de la date des scrutins, qui a été l’une des principales controverses depuis l’interruption du processus de l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février 2024, reste au centre des préoccupations. Faut-il laisser au Président sortant choisir la date de sa propre réélection par décret ? La réforme constitutionnelle béninoise de 2019 est un bel exemple qui fixe la date de l’élection présidentielle en plus de la rationalisation du calendrier électoral (voir les articles 153-1 à 153-3 Constitution du Bénin). De ce fait, le scrutin doit avoir lieu le 2e ou 3e dimanche du mois de février qui suit la cinquième année de l’élection du Président de la République.
A titre de rappel, j’avais déjà formulé une telle proposition au Président M. Sall en juillet 2017 au cours d’une audience accordée à la société civile dans le cadre de la facilitation du dialogue politique à la veille des élections législatives.
Notre pays regorge de personnalités qualifiées capables de conduire, avec la méthode et la diligence requises, et de faciliter les concertations sous l’égide d’une commission cellulaire afin de boucler les réformes du système électoral et du système partisan dans les meilleurs délais.
Le 5 avril 2024
Ndiaga SYLLA, Expert électoral
Maderpost