Quand Ousmane Sonko, Premier ministre, dénonce, en début de semaine à l’occasion du Conseil interministériel sur les infrastructures maritimes et portuaires, les malheurs des ports sénégalais mis à rude épreuve par l’ancien régime, il ne sait pas si bien dire tant plusieurs secteurs de la vie économique et sociale sénégalaises ne se sont jamais portées aussi mal au point de nous faire craindre des moments difficiles que les autorités devraient anticiper en renforçant avec le secteur privé une stratégie aussi nouvelle que globale dans le cadre d’un New Deal. Le Sénégal en est là.
PORT – Le gouvernement du Sénégal a du souci à se faire tant la situation est alarmante à tout point de vue. Le Premier ministre Ousmane Sonko ne s’y trompe pas, même si sa déclaration « Le Sénégal est en ruine » et sa communication plus conflictuelle qu’elle ne le devrait laisseraient croire qu’il exagère, déformant la réalité. Il se trouve cependant que celle-ci est sans appel.
Concernant l’endettement des sociétés nationales, il est simplement massif. Mille trois cent quatre-vingt milliards huit cent millions FCFA (1380,8) pour 23 entreprises publiques à fin 2023, contre 1447,9 milliards FCFA à fin 2022, selon les données officielles. Où va l’argent que diable !
La vérité pour les nouvelles autorités est que cette dette colossale pèse non seulement sur les finances publiques, mais pire encore, risque de compromettre les efforts de consolidation budgétaire.
Si l’on y associe de plus les 172 milliards FCFA de la masse salariale de l’administration publique, les 181 milliards mensuels de dettes à payer, la facture de l’énergie, le fonctionnement de l’administration, pour ne citer que ceux-là, on se demande qu’est-ce qui peut bien leur rester à la fin de chaque fin de mois. Connaissant les recettes intérieures du premier trimestre 2024 de l’ordre de 873 milliards FCFA sous le régime Macky Sall, celles plus relevées du second trimestre avoisinant les 1300 milliards du fait la pression fiscale et recouvrement des dettes des entreprises prises dans le filet, et enfin le retour à la réalité des jours ordinaires ramenant les recettes intérieures à leur niveau, la vérité, cruelle, saute aux yeux.
Face à une telle situation sombre, le Premier ministre ne peut que faire feu de tout bois. Ce d’autant, que la décision de stopper les travaux immobiliers pour raison de visibilité dans la « Casa Nostra » sénégalaise du foncier et les prises de drogue dure surréalistes de la douane sénégalaise entre le mois d’avril et de juillet 2024 ont fini de convaincre les plus naïfs sur le volume de l’argent sale circulant au Sénégalais, blanchi à grande eau délavée. La Mafia italienne ne ferait pas mieux. Elle a trouvé son maître au Sénégal.
C’est dans cette sordidité, que le côté relatif du pouvoir saute aux yeux du tandem Bassirou Diomaye/Ousmane Sonko. Le pouvoir puisse-t-il sonner absolu dans son exercice humain n’est qu’illusion. Une absurdité qui se vit désormais au quotidien par les nouvelles autorités. Les ports sénégalais en sont l’illustration.
Ports sénégalais, à quoi a joué le régime précédent
La relation Port autonome de Dakar/Bamako pourrait expliquer le récent voyage du Premier ministre Ousmane Sonko au Mali, même si les échos venant du pays Dogon et de Ouadougoudou font savoir que « la confiance n’est pas au beau-fixe entre les capitales malienne, burkinabé et Dakar. Ouaga et Bamako se méfient de Dakar ».
Si tel est le cas, comme bruissent nos sources, la visite à Bamako s’expliquerait encore mieux. La situation des finances sénégalaises associée au péril djihadiste ne peut voir la bagatelle des 1400 milliards FCFA générées par les exportations au Mali (2023) premier partenaire du Sénégal en Afrique, souffrir plus longtemps d’une concurrence soutenue des ports de Cotonou au Bénin, et d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Qu’adviendra-t-il si Nouakchott, dont l’hydrogène vert est un visa pour le développement mirabitoune, et Dahla cher à SM le roi marocain Mohammed VI, rentraient dans la danse pour faire la concurrence au Port Autonome de Dakar (PAD) qui n’a rien d’un géant ?
Avec ses dettes de 140,4 milliards de dette à fin 2023, le PAD dont Ousmane Sonko et bon nombre de ses compatriotes n’y comprennent rien, est simplement une hérésie.
Loin de ce qu’il devrait être et de ce qu’il a été sous l’empire colonial, le plus grand port de l’Afrique de l’Ouest qui avait reçu tout l’or de la France lors de la deuxième guerre mondiale pour qu’il soit acheminé par le train Dakar-Niger (DN) à Niamey afin de l’éloigner de la convoitise allemande.
Ce port d’où partaient aux premières années de l’indépendance des millions de tonnes d’arachide, de coton, phosphates, etc. se fait doubler aujourd’hui par Cotonou. Comment et pourquoi en est-il arrivé là, se demande le Premier ministre et nous-autres.
« Le Port autonome de Dakar a perdu de sa performance. Pourquoi on en est là ? Est-ce que c’est lié à des paramètres naturels ? Certains ont parlé de tirant d’eau qui serait beaucoup plus favorable ailleurs qu’ici ! Est-ce que c’est lié à un défaut ou à une faiblesse de l’investissement. Personne ne nous dit de quoi il s’agit ? » se demande Sonko.
Et bien, c’est l’occasion de le savoir. Certes, il est indiqué de repasser « en revue les contrats » afin de « voir si les indices réels de défense de l’intérêt national » ont été respectés et défendus par le précédent régime, comme le soutient Sonko, mais il en est attendu davantage. Hélas, il n’est plus seulement question de « revoir les contrats, quels que soient les partenaires, qu’il soit national ou étranger », ou encore de dénoncer et de prendre les sanctions en cas de fautes graves afin que nul n’en ignore. Plus encore, ce sont les bonnes décisions pour mouiller le Port Autonome de Dakar et les ports secondaires du pays dans les grandes eaux du trafic international qui sont attendues des nouvelles autorités.
C’est dire, que s’il appartient au tandem Bassirou Diomaye Faye/Ousmane Sonko de décider, il devrait le faire après consultation et concertation, en redoutable intelligence pour l’intérêt supérieur, avec le secteur privé, particulièrement les spécialistes sénégalais du secteur portuaire patriotes économistes éprouvés, en bonne intelligence avec les champions portuaires internationaux.
Mais avant, ce tandem devra faire la lumière sur la capitalisation par anticipation du plan Port Horizon 2023 lancé en octobre 2020 avec une souscription de 60 milliards FCFA pour financer les infrastructures du port de Ndayane. Les propos du Premier ministre le laissent croire de toute façon. Sinon, quel en serait le sens finalement. Dénoncer pour dénoncer ou dénoncer pour prévenir !
« (…) l’argent on le perd de plusieurs manières. Les retards accusés dans les livraisons, c’est de l’argent qu’on perd en réalité. J’avais demandé qu’on me donne le dossier sur Bargny-Sendou, je prends la dernière partie observations et remarques, on me dit : ‘Les engagements souscrits par l’État dans le contrat sont clairement définis et détaillés avec précision, par contre en ce qui concerne les engagements de SMP (Sénégal Minergy Port SA), ils ne sont pas précisés’. Premièrement, poursuivait Sonko, ‘l’étendue des travaux est envoyée à une annexe qui sera définie ultérieurement.’ Cela veut dire qu’on ne connait pas l’étendue des travaux, jusqu’à preuve du contraire. ‘Le calendrier prévisionnel également sera défini à une date ultérieure’. Cela veut dire que l’entreprise n’avait pas été enfermé dans un délai. Et la commission de manutention de l’État par la SMP n’est pas défini. Comment un État peut signer un contrat comme ça ? Ce n’est pas possible ! Et c’est ça qui nous rattrape aujourd’hui. C’est la même chose pour Ndayane. Le modèle, il va falloir peut-être le voir ou le revoir. »
En écoutant le Premier ministre Ousmane Sonko, on ne peut que se demander comment peut-on faire autant mal à un port, « épine dorsale de l’économie du Sénégal, constituant 40 % des recettes budgétaire sur les 90% de recettes douanières » pour reprendre l’économiste et spécialiste du PPP et consultant en infrastructure, Moustapha Diakhaté ?
Ce décret d’un mois avant la présidentielle de 2019 !
Dans le rapport de présentation du projet de Décret numéro 2019-380 du janvier 2019, portant exploitation et délimitation de la zone portuaire du port Bargny-Sendou, il est dit ce qui suit : « Dans le cadre de la mise en œuvre du Plan Sénégal Émergent (PSE) ambitionnant de faire de notre pays un hub logistique intégré compétitif, une nouvelle stratégie de développement est intervenue, à travers, entre autres, le projet de construction du port minéralier et vraquier de Bargny-Sendou. La Société SENEGAL MINERGY PORT SA, a été choisie pour la conception et construction du port de Bargny-Sendou de même que pour en assurer l’exploitation ».
En tout cas, « Cet a cet effet, que le décret numéro 2019-380 du 18 janvier 2019, portant exploitation et délimitation de la zone portuaire du port de Bargny-Sendou a été pris pour doter le port de Bargny-Sendou de l’espace nécessaire à son exploitation sur le plan d’eau qu’en milieu terrestre ».
Mais, le décret de préciser : « Cependant, l’article 4 dudit décret est en contradiction avec la convention signée entre l’État du Sénégal et la société SENEGAL MINERGY PORT SA, pour la conception, le financement, la construction, l’exploitation et l’entretien du port minéralier et vraquier Bargny-Sendou ».
« En effet, poursuit le décret, au point 5,2 de cette convention, relatif aux engagements et garanties des parties, l’Etat s’engage à garantir à SMP l’exclusivité au Sénégal des activités portuaires, relatives aux produits en vrac sec et liquides dès la date de la mise en service commercial du port ». Si ce n’est une aubaine pour les actionnaires ou l’actionnaire.
Ainsi arrive le décret numéro 2019-408 modifiant le précédant décret 2019-380 du 18 janvier 2019, toujours portant exploitation et délimitation de la zone portuaire du port de Bargny signé (suivons la date et l’année, le 25 janvier 2019, mois de la présidentielle de la même année remportée dès le premier tout par Macky Sall) par le Premier ministre feu Mahammad Boun Abdallah Dionne et le Président Macky Sall.
Voilà comment entre dans la danse Dame Diané pour une exploitation exclusive autorisée par un décret signé à un mois de la présidentielle de 2019. Comme si cela ne pouvait attendre.
Pourquoi cette précipitation ? N’aurait-il pas été plus politiquement correct d’attendre l’issue de ladite présidentielle pour voir le président élu, fut-il le même, prendre la décision ? Pourquoi Macky Sall a-t-il forcé la signature ?
Cerise sur le gâteau pour SMP et Dame Diané, « à compter de sa mise en service, l’importation et l’exportation par voie maritime des produits en vrac solide et liquide se fera exclusivement dans le port de Bargny-Sendou. Le reste sans changement ».
La transformation de la localité avait été vantée, surtout qu’une nouvelle centrale électrique venait d’être installée dans le patelin, apportant un vent nouveau devant en faire « un véritable hub industriel de référence dans la sous-région ouest-africaine ». Tu parles !
Combien de bateaux ont débarqué depuis dans ce port au tirant d’eau de 18 mètres ? Un reportage sur les lieux nous en dira tant. En espérant qu’on nous y autorise d’ailleurs. N’est-ce pas Monsieur le Premier ministre.
Et dire que des partenaires et pas des moindres, belges, pour ne pas les citer, comme d’autres, ont tapé à nos portes. A défaut, ils ont mis cap sur Cotonou, nous laissant dans nos contradictions. Il n’y a plus qu’à espérer que Nouakchott n’aille pas plus vite et que le Maroc perde du temps dans son ambition d’être un monstre de l’économie africaine et nouveau Lion de l’économie mondiale.
Faut-il dire que là où il y a des ports de grand standing fourmillent des industries, la transformation, des voies ferrées, etc. Du fric à gogo quoi !
Maderpost / Charles Faye