À 65 ans, candidat défait aux élections présidentielles pour la quatrième fois consécutive (2005, 2011, 2015, 2020), l’ancien Premier ministre centrafricain de 2001 à 2003, figure emblématique de l’échiquier politique, assureur de formation, Martin Ziguélé n’est pas prêt à raccrocher l’hermine. Toujours au charbon avec flegme et énergie débordante, le dinosaure du MLPC dit tout dans une tonalité sans appel à la table de Confidentiel Afrique : la tentative de le livrer à la justice pour des accusations « fallacieuses » d’être de connivence avec François Bozizé, l’ambition manifeste du Président Touadera de modifier la Constitution pour briguer un 3ème mandat, la présence des mercenaires Russes Wagner en RCA, les assises au parfum de saupoudrage du Dialogue National Républicain, son avenir politique. Interview exclusive.
‘’La Centrafrique est un grand corps malade, pour lequel les thérapies de transformation et de développement doivent venir d’un leadership expérimenté’’
Confidentiel Afrique : Monsieur le Premier ministre, l’actualité en République Centrafricaine est marquée par cette tentative avortée de vouloir lever votre immunité parlementaire pour vous livrer à la justice. De quoi s’agit-il exactement ?
Martin ZIGUELE, ancien Premier ministre de RCA et leader d’opposition : Après les dernières élections, et plus précisément le 13 janvier 2021, une coalition militaire rebelle mise en place par l’ancien Président François Bozizé a revendiqué des attaques contre Bangui. De violents combats s’en sont suivis et le pays a frôlé l’implosion. Après le retour à l’accalmie, le 2 mars 2021, je voulais me rendre à Niamey pour répondre à l’invitation du Président Bazoum pour la cérémonie de son investiture. C’est à cette occasion que j’ai été notifié d’une interdiction de sortie du territoire, de même pour d’autres collègues Présidents de Parti.
Par la suite, c’est à la radio que nous apprendrons que l’Assemblée nationale a été saisie d’une demande de levée de notre immunité parlementaire. Par rapport à l’interdiction de sortie, nous avons saisi le Tribunal administratif qui a annulé cette décision.
Cependant, s’agissant de la levée de l’immunité parlementaire, nous avons initié une action en justice pour en connaître les raisons. Devant les atermoiements constatés, nous avons décidé de retirer nos représentants du Comité Préparatoire du Dialogue Républicain, car nous ne pouvions pas comprendre que le pouvoir appelle à la réconciliation à travers le dialogue et en même temps pratique de la persécution politique.
C’est suite à cette prise de position que le pouvoir a pris enfin la décision de clore cette affaire qui n’avait aucun fondement juridique.
Le pouvoir en place vous soupçonne d’être en « parfaite intelligence » ou en coalition avec l’ancien Président François Bozizé qui a pris le chemin du maquis, quelle est la part de vérité dans ce tumulte de conjectures ?
Depuis que nous avions été renversés le 15 mars 2003 par un coup de force perpétré par le Général Bozizé contre le Président Patassé, alors que j’étais son dernier Premier Ministre, tous les régimes qui se sont succédé au pouvoir m’ont accusé, ouvertement ou indirectement, de vouloir les renverser.
Depuis 2007, je ne compte plus les convocations que j’ai reçues des différents cours et tribunaux pour répondre aux accusations plus fantaisistes et plus loufoques les unes que les autres. Pour celui qui connaît bien l’histoire du MLPC et mon histoire personnelle depuis ce coup de force, comment donner du crédit à une accusation contre moi d’une quelconque coalition avec l’ancien Président Bozizé ?
Comment cela est-ce possible ? Il est vrai que le ridicule ne tue pas, surtout en politique sous nos latitudes.
Comment vous avez vécu ces moments ? Est-ce une tentative de liquidation politique d’un homme qui fait peur et dérange ?
J’ai vécu ces moments difficiles avec beaucoup de peine, d’abord pour mon pays, ensuite pour mon parti et moi-même. Les mœurs politiques d’un pays sont un grand indicateur de la maturation ou des valeurs républicaines et démocratiques. Une République est fondée sur le respect strict de la loi, et donc de la justice.
Et s’il n’y a pas de République, la démocratie n’est qu’un slogan, une coquille vide. C’est cela qui me fait de la peine et me donne également, dans une démarche dialectique, l’énergie nécessaire pour continuer le combat progressiste, pour la République et pour la démocratie.
Aujourd’hui en Centrafrique, la démarche du pouvoir, comme dans la Russie de Poutine qui en devient le référent et le modèle, est de liquider politiquement toutes les forces vives de la nation, c’est-à-dire les partis politiques et les associations, qui refusent la pensée unique. Et naturellement, nous autres animateurs de ces structures sont la cible quotidienne du pouvoir.
En Centrafrique, on parle de plus en plus d’une possibilité de troisième candidature du Président Touadera et pourtant la Constitution du pays est claire sur ce point ?
Je vous disais tantôt que le modèle politique que le pouvoir veut nous imposer en République Centrafricaine est celui de Poutine en Russie.
‘’Le modèle politique que le pouvoir veut nous imposer en République Centrafricaine est celui de Poutine en Russie’’
Le pouvoir veut nous imposer un concept fasciste du chef, qui a toujours raison, qui doit rester toute sa vie durant au pouvoir, et avec des institutions de la République à sa solde.
C’est l’objectif recherché à travers cette démarche initiale de modification de la Constitution, et qui maintenant s’est muée en démarche de réécriture d’une nouvelle Constitution. Toutes les forces vives de la Nation contestant cette initiative se sont fédérées au sein du Bloc Républicain pour la Défense de la Constitution (BRDC), dont je suis le Porte-Parole, afin de nous battre par tous les moyens de droit et politiques pour nous opposer à cette tentative.
La mémoire collective centrafricaine n’oublie pas la Présidence à vie, puis l’Empire de Bokassa et ses conséquences sur notre pays jusqu’à ce jour.
Comment compte-t-il dérouler son agenda ? Selon vous, s’achemine-t-on vers des lendemains difficiles pour la stabilité et la cohésion sociale du pays ?
Le pouvoir a mis en place par décret un Comité de rédaction d’une nouvelle Constitution, ce qui induit une démarche bien évidemment illégale de dissolution de la Constitution en vigueur.
Nous avons attaqué ce décret devant la Cour Constitutionnelle, et nous attendons les décisions de cette Haute juridiction qui fait d’ailleurs depuis quelques jours l’objet de menaces publiques des associations de soutien au pouvoir.
Le pouvoir compte faire rédiger une nouvelle constitution pour la soumettre par voie référendaire, mais en violation de la Constitution. Nous n’accepterons évidemment pas cela.
Le pouvoir a délibérément choisi de mettre en branle cette procédure de réécriture d’une Constitution qui ne date que de 2016 et n’a jamais été critiquée ni par le pouvoir ni par l’opposition.
Cette démarche divise profondément le pays dans l’environnement fragile qui est le nôtre, qui est de surcroît source potentielle de graves crises et déchirements.
Le MLPC, votre parti traverse une crise interne. On vous accuse urbi et orbi d’avoir une mainmise sur cette formation politique. De simples conjectures ou non ?
Si vous avez bien compris le tableau de la situation que je viens de dresser, vous en déduirez aisément que le MLPC est aujourd’hui, comme d’autres partis et personnalités de l’opposition, l’objet d’attaques du pouvoir.
Toute une machine est mise en branle par le pouvoir, avec l’ingénierie politique, matérielle et financière dédiée, pour casser les partis, les diviser de l’intérieur, pour arriver à créer une « opposition de Sa Majesté » inféodée au pouvoir.
‘’Toute une machine est mise en branle par le pouvoir, avec l’ingénierie politique, matérielle et financière dédiée, pour casser les partis de l’opposition’’
Le pouvoir a réussi cette cabale contre Abdou Karim Meckassoua destitué de son poste de président de l’Assemblée Nationale puis de sa charge de député, ensuite le pouvoir a inoculé la division dans un premier parti historique le Rassemblement démocratique centrafricain du président Kolingba, et maintenant c’est au tour du MLPC de subir des tentatives de division, aujourd’hui sans effet.
Il ne s’agit pas d’une divergence idéologique ou politique, loin de là. Le Bureau politique du MLPC a décidé de ne pas participer au Dialogue républicain parce que les thématiques les plus importantes pour notre pays, notamment celles relatives à la réforme de la justice centrafricaine pour la rendre véritablement indépendante du pouvoir politique, aux conditions d’un retour à une paix et à une sécurité durable, ainsi qu’à l’évaluation critique du fonctionnement des institutions, n’ont pas été inscrites dans les termes de référence par le pouvoir, et ne pouvaient donc faire l’objet de débats ni encore moins de recommandations.
Nous avons donc compris qu’il y avait anguille sous roche et que le pouvoir avait convoqué ce dialogue républicain non inclusif pour faire « avaliser le principe » d’une révision de la Constitution, ouvrant ainsi la voie à l’idée d’un troisième mandat du Président Touadéra.
Face à cette situation, nous avons demandé par courrier sollicité par lui-même, à notre représentant au Comité Préparatoire au dialogue Gabriel Jean-Edouard Koyambounou, de se retirer comme l’ont fait tous les sept autres délégués du MLPC y compris moi-même.
Il a refusé d’obtempérer, et le Bureau politique l’a sanctionné pour cette raison. Son dossier a été ensuite transmis à la Commission de contrôle et d’arbitrage, qui est l’instance « judiciaire » du Parti.
Il a aussitôt surenchéri en constituant un groupe de dissidents contre la direction du parti, issue du Congrès du 2 au 5 mars 2020 dont nous tirons tous notre légitimité. Devant cette situation de rébellion ouverte, appuyée par des communiqués et déclarations plus injurieux les uns que les autres, la Commission de contrôle et d’arbitrage l’a exclu du Parti jusqu’au prochain Congrès, ainsi que les deux ex-camarades qui l’ont suivi.
Certaines sources internes parlent de rapports tendus que vous entretenez avec certains barons de ce parti, à l’instar des co-fondateurs comme Gabriel Jean Édouard Koyambounou et Jackson Mazette. Qu’en est-il ?
Ce n’est pas une question de personnes, c’est un refus d’obtempérer à une décision du parti qui a été sanctionné comme je viens de vous expliquer et le Camarade Mazette n’est pas concerné.
Il s’agit de sanctions régulièrement infligées à un camarade, par la Commission de contrôle et d’arbitrage, l’instance « judiciaire » du Parti, comme cela avait été fait par le passé pour d’autres camarades dans de cas similaires, y compris contre le Camarade Ange Félix Patassé en son temps.
Je vous signale que c’est la première fois que je m’exprime sur le sujet dans la presse, car l’ensemble des structures et organes dirigeants du Parti, issus du Congrès de mars 2022, sont restés fidèles à la direction du parti et ont tenu à l’exprimer par écrit via des motions de soutiens. Ils ne sont d’ailleurs pas dupes des dessous des cartes.
Un fait majeur bouleverse l’échiquier politique centrafricain, c’est celui de la montée en puissance des Russes dans le puzzle de la crise centrafricaine. Comment appréhendez-vous cette situation et quelle note attribuerez-vous à cette présence russe en RCA ?
Le problème pour notre pays n’est pas la présence des Russes, avec qui nous entretenons de relations diplomatiques depuis l’indépendance en 1960. Le problème, c’est la présence des mercenaires du groupe Wagner dont le pouvoir a longtemps nié l’existence avant d’avouer leur présence dans le pays.
L’utilisation des mercenaires est une violation du droit international et je vous renvoie aux nombreux rapports des Nations-Unies et des différentes ONG des droits de l’homme sur leurs exactions. Nous voulons une coopération sécuritaire avec des troupes régulières d’un État, mais pas avec des mercenaires qui ne répondent de rien.
‘’Nous voulons une coopération sécuritaire avec des troupes régulières d’un État mais pas avec des mercenaires qui ne répondent de rien’’
Avez-vous espoir quant aux assises du « Dialogue Républicain », un vœu pieux des acteurs politiques, de la société civile et du clergé dans votre pays ?
Non, pour les raisons que je vous ai expliquées tantôt. Le Dialogue républicain a été uniquement convoqué pour préparer l’opinion à la révision de la Constitution.
La volonté politique de travailler pour répondre aux vrais défis du pays n’existe pas à ce jour. Le Dialogue républicain est un coup d’épée dans l’eau et la structure de suivi a servi de récompense à ceux qui ont soutenu cette initiative sans lendemain.
On dit de vous, un homme politique épuisé, votre ambition de devenir Président est-elle toujours intacte au-delà de votre longévité sur la scène politique ?
Notre pays est un grand corps malade, pour lequel les thérapies de transformation et de développement doivent venir d’un leadership expérimenté, et appréhendant dans son ensemble et dans le détail la complexité de la situation.
Je me suis présenté aux élections en 2005, 2011, 2015 et 2020, et à chaque fois suite à l’investiture du MLPC mon Parti, avec la volonté de gagner. En 2005, j’ai été qualifié pour le second tour face au Président François Bozizé, avant de perdre au second tour. Aujourd’hui, un ancien Ministre de François Bozizé, actuellement Ministre Conseiller à la Présidence a publiquement affirmé que j’avais gagné ces élections mais que la Commission électorale en a perverti le résultat.
A partir de 2011, les organes de gestion des élections dans notre pays ont perdu en neutralité ainsi qu’en objectivité, et nous y sommes encore. Je suis militant, et tant que le Parti le souhaitera, et que Dieu m’en donne la force, je continuerai à me battre.
Propos recueillis par Ismael AÏDARA (Confidentiel Afrique)