Afin de retenir leurs hommes, les femmes sénégalaises et africaines, astucieuses à souhait, sont prêtes à tous les subterfuges. Même à introduire des produits nocifs dans leur intimité. Un nouveau concept «jongué» qui risque de créer, sur le long terme, un réel problème de santé public.
Un soir de dispute derrière la porte de la chambre conjuguale, à portée de voix de la «awo», il lui avait crié : «J’ai l’impression de coucher avec un homme. Je n’ai plus aucune sensation. Ton vagin est trop large.»
Maty en avait pleuré les larmes de son corps, meurtrie en seulement un an de mariage. Depuis, elle est entrée dans une colère froide et folle. De celle qui prend le temps de mariner au fond de l’âme. Et qu’on apaise que par une vengeance.
Elle avait d’abord commencé par en parler avec quelques amies pour diagnostiquer le problème, puis avait frénétiquement cherché dans l’Internet le remède à la béance vaginale.
«Vous serez surpris par le nombre de recettes qui existent pour resserer le vagin», chuchote-t-elle, en jetant un œil avide sur un gros citron jaune disposé sur un étal de produits pour femmes «jongué» au marché Hlm de Dakar, un lieu grouillant de vies et d’affaires.
Ça et là de la table, du miel, du karité, de l’oseille de Guinée, du gingembre, des cristaux de menthe, des mixtures et des poudres de toutes les couleurs que la vendeuse, une femme de forte corpulence au teint incertain et au maquillage ocre, manipule en faisant des gestes discrets vers le bas-ventre.
D’abord, ces produits sont faits pour la gastronomie. Mais pour les initiées comme Maty, il y a là tout un arsenal pour rendre «saf» (épicé) le sexe.
Emmitoufflée dans un large voile aubergine, elle essaie de se fondre dans le décor de la rue. Vingt-cinq ans, visage harmonieux éclairé par deux grands yeux en amande, elle aurait pu être d’une grande beauté si elle s’était laissée aller à quelques coquetteries.
Mais, les traits encore durcis par l’insulte de son mari, la jeune épousée est toute à son désir de prendre sa revanche sexuelle, quitte à transformer son vagin en cuisine. Au menu ce soir, une toilette intime d’eau citronnée suivie d’un suppositoire à base de karité et de miel, devrait permettre à son homme de déguster et d’en redemander. Et à son mariage de se stabiliser.
C’est l’assurance de nombreuses Sénégalaises qui ont fini de transformer le vagin en cuisine, selon la nouvelle conception de l’art du «jongué».
Un plateau de condiments pour l’excitation, le bon goût ou le rafermissement vaginal
Une après-midi calme, dans une ruelle calme de la périphérie de Grand-Dakar, dans une maison calme. Assises au milieu d’un salon au style baroque, quatre jeunes dames discutent autour d’un plateau de produits.
De temps en temps, des rires coquins troublent l’atmosphère privée de la rencontre. «J’entends souvent les femmes dire qu’elles ont un problème de sécheresse vaginale, mais moi, c’est le contraire. Mon problème est surtout comment donner un goût sucré à mon fluide», rigole Mame Marie en soupesant un pot de poudre blanc crème.
C’est le produit numéro 3 du plateau, un mélange de sucre glace et de plantes naturelles censé faire mouiller et conférer une bonne odeur au vagin.
C’est ce que dit la vendeuse, une jeune femme volubile, à la locution parfaite et à l’art de la persuasion consommé. Sa manière de placer sans l’air d’y toucher son métier dans l’agro-business, ses mises en garde répétitives contre la destruction de la flore vaginale, la mise en évidence de sa propre personne comme cobaye pour chaque produit, concourent à rassurer les clientes et endormir leurs méfiances sur les composants et les dosages distillés.
D’ailleurs, celles qui arrivent jusqu’ici n’en sont plus à ces détails. Pour l’essentiel, la clientèle est composée d’épouses désespérées par le manque d’appétit sexuel de l’époux.
Dans un sursaut, elles viennent là pour sauver leur mariage. Et sont, pour la plupart, prêtes à tout essayer. À tout incorporer dans la chaleur de leur intimité pour le plaisir de leur partenaire. De la cannelle, du sucre glace, du sel fin, de l’ail, de la menthe, du nep-nep, du gingembre, du miel, de la poudre de gowé, de la poudre de « ndir »…
Au départ, Mame Marie, mariée depuis 5 ans, ne s’intéressait pas vraiment à cette cuisine d’un autre genre, mais depuis son accouchement l’année dernière, elle a senti un changement dans la manière dont son mari fuit les relations sexuelles.
Sujette à de multiples infections, elle apprend, sur les groupes de femmes sur Facebook, à utiliser l’ail comme antifongique en l’insérant, le temps d’une nuit, au fond du vagin.
«L’odeur était encore pire et mon mari n’a pas voulu m’approcher», se rappelle-t-elle avec dégoût au milieu de la conversation des «pour ou contre» dans le salon.
Les ovules à base de karité et de nep-nep ont marché pour un temps, mais elles étaient trop salissantes pour les draps. En désespoir de cause, elle a atterri dans cette vente privée avec l’idée d’en repartir avec le produit numéro 3.
Mais la vendeuse a tant et si bien vanté la qualité de ses condiments qu’elle s’est retrouvée avec toute une panoplie à tester pour l’excitation, le bon goût ou le raffermissement vaginal. Le secret de l’hôtesse est aussi simple que sournois.
Elle insiste sur le côté bio de ses produits alors qu’aucune étiquette n’est visible sur les pots. Elle déconseille vivement toute incorporation dans le vagin alors que le produit numéro 10, fait dans une étrange mixture indéfinissable, est à cet effet.
Et enfin, elle distille avec détermination et assurance des dosages qui sortent de nulle part. Elle dit sur le produit 5 : «Ce sont des écorces à faire en bain de siège avec 3 cuillère de karité et de miel purs. Je vous conseille d’avoir un téléphone bien chargé pour faire passer les 45 minutes. Ça enlève les infections, les impuretés et ça adoucit l’intérieur du vagin.»
Elle compterait même des Toubabs (occidentaux) dans sa clientèle. Ce qui explique peut-être les prix exorbitants. Alors qu’un sachet de poudre de «nep-nep» est vendu 200 FCfa dans les commerces habituels, le petit pot s’échange ici à 2 000 FCfa.
Pareil pour le miel vendu à 1 000 FCfa pour un sachet de 20g ou encore le sachet de feuilles de «djeka» qui passe de 500 FCfa sur le marché, à 2 000 FCfa chez cette vendeuse. Des prix qui peuvent friser la folie lorsqu’ils sortent du cadre privé pour se retrouver exposer en boutique.
Des prix exorbitants
Posée sur une grande artère de la Patte d’Oie, cette boutique d’articles coquins est assez connue des femmes de Dakar. Exposés sur des étagères, des nuisettes affriolantes, des strings en bonbons, des sextoys, des tenues de policière, d’infirmière, des menottes et tout produit censé agrémenter le lit conjugual.
Ici, les articles pour le vagin, telles les boules brésiliennes, les huiles chauffantes, le resserre-vaginal, sont soigneusement emballés et la vendeuse veille au grain.
Contrairement aux ventes particulières et à leur origine inconnue, cette boutique surfe sur la vague du fournisseur officiel pour garantir à ses clientes des résultats sans conséquences.
Même si là encore, les composants affichés sous forme de formules mathématiques, sont difficilement identifiables. Le moindre article ici se négocie à plus de 10 000 FCfa pour une utilisation à court terme.
Des prix qui ne découragent apparemment pas la clientèle. «La plupart des produits pour le vagin sont en rupture, mais on en recevra la semaine prochaine», confie la commerciale.
De manière générale, les femmes qui s’adonnent à la cuisine du vagin sont aussi peu regardantes sur les prix que les effets secondaires sur leur santé dans le long terme.
Une explosion de cancers gynécologiques d’ici 20 ans
A la clinique Nest, sise sur la Vdn, où le docteur Abdoulaye Diop, gynécologue, reçoit ce mercredi, l’ambiance est sereine.
Dans la salle d’attente, un couple patiente, tandis que la secrétaire pianote sur le clavier de son ordinateur.
Le calme ambiant est interrompu par l’irruption de Abdoulaye Diop.
L’homme déboule comme un feu follet. Il est speed et a un emploi du temps millimétré. «C’est vous les journalistes ? Faites vite, mesdames. Je dois démarrer mes consultations de l’après-midi», embraie-t-il dès qu’il nous voit.
Boule d’énergie, le gynécologue, fourré dans une chemise bleue sur un pantalon kaki marron, accueille dans son cabinet de consultation. Habitué à faire des lives sur les réseaux sociaux, Abdoulaye Diop, gynécologue, a toujours délivré des messages d’alerte pour prévenir et donner des conseils aux femmes afin qu’elles puissent lutter et prévenir efficacement les infections vaginales.
D’ailleurs, il est le concepteur du hashtag #le vagin n’est pas une cuisine#.
Un coup de gueule énoncé alors qu’il échangeait en direct avec ses patientes. «Ce jour-là, la conférence live portait sur les pertes blanches et beaucoup de femmes m’ont interpellé pour savoir ce qu’étaient les pertes blanches normales et celles pathologiques. Des questions revenaient en boucle comme : est-ce qu’il était bon, pour lutter contre les pertes blanches et les mauvaises odeurs vaginales de même que pour avoir un vagin ferme, d’utiliser des produits naturels comme de l’ail, du persil, des ovules de karité avec du miel et du sel, du gingembre, des feuilles de menthe et du ‘’nep-nep’’ (acacia nilotica). C’est hallucinant. Et là, j’ai explosé pour leur dire d’arrêter ! Le vagin n’est pas une cuisine !»
Le mot est lâché et le hashtag lancé. Car, pour Dr Diop, les condiments de la cuisine ne sont pas destinés à être insérés dans les parties intimes.
Des pratiques de la pharmacopée traditionnelle aux conséquences désastreuses comme les infections à répétition et les cancers qui ont connu une évolution fulgurante ces dernières années.
A ce titre, le Fonds mondial, lors du lancement de la campagne de vaccin contre le Virus du papillome humain (Hpv), en 2018, a classé le Sénégal parmi les 20 pays au monde où le taux de cancer du col de l’utérus est le plus élevé.
Chaque année, quelque 1 482 cas sont recensés et 858 n’en réchappent pas.
Une situation alarmante qui pousse Dr Diop à multiplier les campagnes de sensibilisation, mais surtout à réitérer son alerte : «Stop, le vagin n’est pas une cuisine !»
Surtout que ces produits dits naturels ne font d’effet que pour un temps donné. Sur le long terme, les femmes qui l’utilisent s’exposent à un déséquilibre de la flore vaginale et à des infections aggravées.
Abdoulaye Diop : «Si on veut avoir une sensation de resserrement du vagin en utilisant de la menthe ou du gingembre, la physiologie de ces produits va créer une concentration des vaisseaux sanguins et forcément une sensation d’étroitesse du vagin. Mais l’effet est passager et entraîne une destruction de la flore vaginale. Cette destruction associée à une infection à Hpv est la porte ouverte au cancer.»
Poursuivant, il enchaîne : «Sur 10 femmes qui viennent en consultation pour pertes blanches, au moins deux d’entre elles ont mis quelque chose qu’elle n’aurait pas dû mettre dans le vagin. Chaque semaine, j’en reçois 4 ou 5. Cela devient un problème de santé publique et cela devient même alarmant. Il y a une augmentation drastique du nombre d’infections vaginales.»
Aussi, le docteur alerte sur les conséquences sanitaires d’ici 20 ans. «Cette génération de femmes qui utilisent ces produits dits naturels s’exposent, d’ici 20 ans, à plein de cancers gynécologiques. On aura beau faire des campagnes de sensibilisation et de vaccination, si elles continuent à agresser le vagin, les capacités de récupération et de cicatrisation du vagin seront dépassées. Et là, ce sera la porte ouverte à la dysplasie (malformation ou déformation résultant d’une anomalie du développement d’un tissu ou d’un organe, qui survient au cours de la période embryonnaire ou après la naissance).»
Une femme avertie…
L’avis des hommes : Sans artifice, le plaisir dure plus longtemps !
«Vous aurez beau mettre tous les condiments de la cuisine dans le vagin, si votre homme veut aller voir ailleurs, il le fera. Ces astuces ne retiennent personne et causent plus de problèmes qu’elles n’en règlent. C’est une sorte de naïveté que certaines femmes ont.»
L’argumentaire fait office de profession de foi. Il émane d’un homme averti et renseigne sur l’appréciation que la gent masculine se fait des astuces sexuelles utilisées par les femmes pour pimenter leur vie de couple et, par la même, fidéliser leur homme.
Boubacar Hanne est marié depuis trois ans. Mais l’homme, qui savoure encore les délices de la vie de couple, ignore tout des produits utilisés par les femmes pour pimenter leur vie de couple.
Avec ce jeune marié, le langage est de connivence. «Franchement de ma nuit de noce à aujourd’hui, je n’ai jamais prêté attention à ces astuces. Je ne saurais vous dire si mon épouse les utilise ou pas, parce que je ne sens aucune différence. Je ne m’attarde même pas sur ça. Mon but est autre», lance-t-il, dans un sourire entendu.
Moustapha Sarr est d’un autre avis. Ce trentenaire, cadre dans une entreprise de la place, lui, l’a senti passer cette nuit où sa femme a testé des artifices de nuit.
«C’était au bout de 2 ans de mariage. Cette nuit-là, madame a utilisé des feuilles de menthe et j’ai senti une petite différence, mais de moindre importance. Franchement, s’il s’agissait de choisir, moi je préfère sans ces produits. Parce que sans artifices, le plaisir dure plus longtemps.» Avis d’expert ?
Par Aïcha FALL & Ndèye Fatou SECK