Familles pauvres et groupes vulnérables. Voilà à qui devraient profiter les bourses de sécurité familiale, selon le programme Yonu Yokkute du président Macky Sall. Dans la tentative de combattre les injustices sociales et les inégalités, les raisons politiques s’en seraient-elles mêlées comme elles savent le faire ? Un reportage de iGFM.
AIDE – Ici, nous sommes à Dakar, aux Parcelles Assainies. A l’entrée déjà de la maison, cette gentille et souriante dame, qui requiert l’anonymat, mais qui nous a généreusement ouvert ses portes, et qui projette de nous ouvrir son cœur, tient un petit commerce.
Des savons à base de carottes, de lait et d’avocats, et du “thiouraye” (encens). La vie est dure. Il faut qu’elle joigne les deux bouts du mois, ou plutôt les deux bouts des trois mois. Elle ne travaille pas. Son mari non plus. Et leurs quatre enfants sont encore à éduquer et à nourrir.
Le regard triste, elle se rappelle des heureuses années avant 2013, où son mari et elle n’avaient aucun souci d’argent : «Nous travaillions tous les deux en Côte d’Ivoire. Les affaires marchaient bien, nous y avions tout investi, et nous mangions à notre faim. Mais la guerre civile de l’époque nous avait contraint à rentrer au bercail.»
Malheureusement pour ce couple avec trois très jeunes enfants alors, l’herbe n’était pas plus verte à la maison. Aucun des deux n’a pu trouver de travail depuis, le mari ayant pris de l’âge entre temps. Les seuls instants où ils peuvent souffler un peu, c’est quand ils décrochent de petits boulots, rémunérés à la journée.
Cette famille partage sa maison avec leurs nombreux parents, mariés eux aussi. Elle compte sur les 25 mille FCfa de bourse, que l’État a bien voulu leur verser chaque trois mois, depuis deux ans maintenant, pour survivre.
Mais cela faisait cinq mois qu’elle n’avait rien perçu. Les versements avaient du retard. Et quand ils étaient enfin là, il n’y a eu que 25 mille et des dettes à rembourser. Les deux mois supplémentaires semblent être derrière les remboursements.
Famille démunie ou cible de tournée politique?
Dans un coin de la pièce où nous sommes assis à discuter avec la première femme, une autre prépare du café Touba qu’elle ira bientôt vendre dans le quartier.
Aïssatou (nom fictif), épouse de l’oncle de la première, n’a rien perdu de notre conversation. Visage pâle, yeux bouffis, elle semble avoir vieilli sous le poids des soucis. Veuve depuis deux ans et mère de trois enfants à bas âge, elle ne se nourrit que lorsqu’elle parvient à trouver buveur aux quelques tasses de son café.
Elle est passée plusieurs fois chez le chef de quartier lui pleurer sa pauvreté. Mais tout ce qu’elle y a gagné, c’est un refus catégorique d’obtention de la bourse car, a-t-elle cru comprendre, «il n’y a qu’une seule personne qui peut en bénéficier dans une même maison.»
A Patte d’Oie, une autre dame reçoit la bourse depuis un an maintenant.
Dès que nous avons franchi le seuil de sa maison, nos regards sont accrochés à la belle et grande télé écran plat qui diffuse un match de la Can 2019, sur Canal + Sport 1.
Elle décore le vaste couloir que nous traversons en allant vers le salon.
Celui-ci est beau, avec ses grands divans couleur grise, et son doux tapis noir. A première vue, n’importe qui serait secoué par des questionnements, quand on sait qu’ici, la bourse tombe nette tous les trois mois. Et que sa maison n’a rien de celle d’un pauvre.
Mais Fatou (nom d’emprunt), veuve depuis plusieurs années avec quatre enfants à charge, bénéficie de la bourse de sécurité familiale depuis qu’une responsable du parti au pouvoir lui a donné un coup de pouce dans la procédure.
Elle ne tarit pas d’éloges envers le président. D’ailleurs, à notre arrivée, elle portait un T-shirt de Benno Bokk Yaakar.
Comme Fatou, beaucoup de gens, militants du parti présidentiel, qui ne sont pas réellement dans le besoin, bénéficie de cette « récompense », là où de nombreux Sénégalais, qui tirent le diable par la queue, sont laissés en rade.
Ce qui fait dire à beaucoup d’observateurs que ces bourses de sécurité familiale ne sont qu’une farce, une arme pour entretenir une clientèle politique. Vrai ou faux? En tout cas, sur le terrain, cette assertion est vérifiable…
Monia INAKANYAMBO