La bataille portuaire constatée au Maghreb et celle qui va se déclencher inévitablement à Dakar et dans la sous-région, Nouakchott, Abidjan et Cotonou, recommande aux autorités centrales sénégalaises et au Port Autonome de Dakar de suivre de près la compétition maghrébine, d’anticiper la bataille géopolitique, de lier des partenariats gagnants-gagnants avec des investisseurs nationaux et internationaux et enfin d’agir dans les meilleurs délais afin de ne pas se laisser distancer par les autres ports.
INFRASTRUCTURES PORTUAIRES – Il n’est un secret pour personne que le contexte de croissance économique et de développement du commerce international a installé une intense compétition au Maghreb, amenant les États à prendre des décisions radicales, celle notamment de l’Algérie d’imposer à nouveau, depuis la semaine dernière, le visa aux Marocains, après une campagne locale rondement menée à cette fin.
Il est aussi connu de tous, que la rivalité entre ces deux pays est vielle de plusieurs décennies et que la concurrence entre leurs ports est exacerbée par « un contexte plus large de rivalité économique et géopolitique au Maghreb », comme le mentionne Afrik.com.
L’Algérie, 16e producteur de pétrole de rang mondial et 2e en Afrique, voit d’un mauvais œil l’avancée économique significative du royaume chérifien sur le continent, notamment dans les secteurs bancaires, de l’assurance, agroalimentaire, immobilier, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Ce qui suffit à brancher Alger sur l’agenda de Rabat, ce d’autant que le pays de SM Mohamed VI fait des yeux doux à Paris et aux autres capitales européennes, pour le renforcement de l’axe ferroviaire – on parle de ligne de TGV -, l’accroissement du trafic aérien et maritime en vue de densifier son réseau commercial.
Pour ne pas se laisser distancer par l’ambitieux Maroc, Alger a décidé d’agrandir le port de Djen Djen, situé dans la wilaya de Jijel (à 332,9 km par la route d’Alger), en vue de concurrencer directement le géant marocain Tanger Med. Alger qui voit grand, n’oublie pas la bataille de positionnement par rapport à un autre port également, celui de Radès en Tunisie. L’on apprend par Afrik.com, qu’Alger a lancé un appel d’offres national et international pour l’agrandissent et la modernisation du port de Djen Djen.
Abdelmadjid Tebboune, vainqueur de l’élection présidentielle anticipée du 7 septembre 2024 avec 94,65% du suffrage, vise, à juste raison, à renforcer le positionnement stratégique de l’Algérie dans le commerce maritime et à faire du pays une plateforme logistique régionale. Ce qui sous-entend le prolongement « des quais existants pour accueillir des navires de plus grande taille », « la création d’un nouveau bassin pour augmenter significativement la capacité d’accueil du port », « l’extension du terminal conteneurisé à 72 hectares, en partenariat avec DP World » « l’augmentation de la profondeur des quais à 20 mètres qui permettra l’accueil de porte-conteneurs de classe Triple-E, les plus grands navires actuellement en service (400 mètres de long, 60 mètres de large, soit 3 mètres de plus long, 4m de plus large, transportant 2 500 conteneurs de plus, pour un total de 18 000 que les navires de classe E), précise Afrik.com.
Alger ne se limite pas cependant aux infrastructures physiques, elle introduit des technologies qui lui permettront d’optimiser les opérations de pointe à Djen Djen. Alger est convaincue que ce n’est qu’avec ces réalisations que son ambition portuaire pourra concourir avec les plus grands du Maghreb, dans la compétition maritime en Méditerranée.
Les autorités algériennes mesurant les enjeux portuaires inscrivent l’agrandissement du port de Djen Djen dans une stratégie de diversification de l’économie du pays.
« Les bénéfices attendus sont nombreux. Croissance économique, création de milliers d’emplois directs et indirects, impact significatif sur le développement local. Mais aussi attraction d’investissements étrangers. En offrant des infrastructures modernes et efficaces, l’Algérie veut attirer des acteurs internationaux du commerce et de la logistique. Un aspect crucial de ce projet est le renforcement des connexions logistiques avec l’intérieur du pays et les pays voisins », renseigne Afrik.com.
L’ambition du port de Djen Djen ne s’arrête pas à la région, la plateforme « ambitionne de devenir un hub majeur, non seulement pour le commerce maritime, mais aussi pour les échanges terrestres, notamment avec les pays du Sahel ». Alger entrevoit des corridors, routiers, dans un premier temps certainement, et ferroviaires ensuite, pour réaliser sa grande ambition. Pour y parvenir, elle peut compter sur le partenariat 50/50 entre DP World, entreprise multinationale d’origine émiratie, basée à Dubaï, aux Émirats arabes unis, et l’entreprise portuaire publique (EPAL). C’est ainsi que la capitale algérienne entend donner au port de Djen Djen un « rôle crucial dans cette modernisation » pour aller à la conquête du Sahel, comme le fait Rabat.
Les défis de Dakar
Avec un traitement de plus de 7 millions de conteneurs EVP en 2022, une position stratégique sur le détroit de Gibraltar, des infrastructures modernes et une zone franche dynamique, Tanger Med reste toutefois un acteur majeur du commerce international.
Radès, le port tunisien en quête de renouveau n’en joue pas moins « un rôle important dans l’économie régionale ». Comme le Port de Dakar situé dans la capitale, Radès à proximité de Tunis et des zones industrielles est « en fait un acteur clé du commerce tunisien ». Ce qui n’est pas cependant sans inconvénients, en termes de congestion et besoins de modernisation de ses infrastructures. D’où des projets mis en place par les autorités tunisiennes pour améliorer sa compétitivité.
Radès se retrouve avec les mêmes limites que le Port autonome de Dakar, situé dans la capitale sénégalaise. Les défis entre Dakar et Radès sont quasiment les mêmes, si tant est l’ambition de Dakar est de compter sur l’échiquier portuaire sous-régional, mondial et de se positionner ainsi par rapport à Nouakchott dont le nouveau statut de pays pétrolier, gazier avec son hydrogène vert, et sa pêche en feront rapidement un Eldorado. Sans oublier Cotonou qui prend de l’envergure depuis l’avènement de Patrice Talon et Abidjan, la libérale qui entend arracher à Dakar l’axe Bamako.
On apprend toutefois que Dakar câble ses réseaux et dresse des links bien huilés avec des partenaires nationaux et étrangers, pour faire de Dakar un véritable hub portuaire qui sera en mesure de se donner des chances de remporter la bataille de positionnement sous-régional. Grâce aux nouvelles offres infrastructurelles, logistiques et multimodales qu’elle apportera dans le cadre de la concurrence avec Cotonou, Abdijan et Nouakchott.
Pour ce faire, Dakar veut intégrer la cohérence et les réformes nécessaires qui lui permettront de soutenir la compétition sous-régionale à travers des investissements, des technologies, logistiques, innovations et transport multimodal. Dakar est onvaincue qu’il lui faut anticiper et adopter le leadership, pour atteindre de hautes performances d’accueil dans ses quais. On apprend que le port de Dakar accueillera prochainement un bateau de 63 000 tonnes. Ce qui indique que le port s’engage à faire faire venir de grands opérateurs internationaux.
Dans le cadre des trafics conventionnels et le vrac alimentaire, Il se dit que Dakar et ses partenaires vont investir dans les infrastructures portuaires jugées vétustes et inadaptées à la taille des navires actuels. Les navires E et Triple E demandent des infrastructures de haut standard. Des investissements devraient donc se faire dans les superstructures et les équipements que l’on dit également vétustes et inadaptés aux volumes et aux types de grosses cargaison. Des sources soutiennent que Dakar veut renforcer la capacité de son port en mettant fin à la faiblesse et insuffisances de son port qui veut entrer dans la cour des grands en traitant les volumes actuels et futurs. Ce n’est qu’en procédant de la sorte que le port de Dakar s’inscrira dans une dynamique concurrentielle performante.
La décongestion de l’évacuation des marchandises dont est assurée à 99% par camion est aussi un objectif. Le port veut en finir avec les difficultés dans la circulation autour du port, les gros retards, la dégradation des routes, les accidents et les inconvénients pour les riverains.
Dakar gagnerait cependant à assurer le transport multimodal dans sa stratégie d’évacuation et d’acheminement des marchandises et donner ainsi la possibilité aux opérateurs économiques d’investir dans les transports ferroviaires, maritimes et routiers.
Compte tenu de l’importance des investissements attendus à tous les niveaux de l’exploitation portuaire, les autorités qui ont annoncé la semaine dernière de fortes tensions financières dans les finances publiques, devraient établir des partenariats publics privés avec le secteur privé national et les investisseurs étrangers,
On apprend que les partenaires du ports, notamment un gros consortium joue une « grosse carte » et avance à « visage découvert » pour « accompagner le Port autonome de Dakar » en vue de lui ouvrir une grande porte portuaire sur l’Atlantique. C’est ainsi que l’on apprend un gros intérêt pour le Mole 4 et la connexion avec les ports secondaires.
Il se dit de plus, que les partenaires ambitionnent de réduire considérablement l’attente des navires, d’optimiser la compétitivité de Dakar par rapport à Cotonou, Nouakchott et Abidjan, et de faire tomber les couts d’importation élevés dus aux surestaries, de réduire la durée de séjour à quai. Ce dernier aspect explique en grande partie le surenchérissement du prix au kilo de la carotte vendue entre 3000 et 3500 FCFA le kilo ces dernières semaines.
Ces avancées promises par les partenaires au Port de Dakar auront pour effet immédiat la diminution, voire la disparition des subventions de l’Etat des surestaries liées aux attentes des navires en rade.
En faisant du port de Dakar un véritable moteur économique situé au cœur de l’économie sénégalaise, les autorités attireront davantage d’investisseurs étrangers et feront créer des milliers d’emplois aussi bien à Dakar, que dans les ports secondaires Saint-Louis, Kaolack, Ndayan, Ziguinchor.
La position stratégique du Sénégal avec ses 700 kilomètres de frange côtière, sa zone économique exclusive (ZEE) s’étendant sur 200 miles nautiques au large, soit plus de 370km, son réseau dense de cours d’eau navigables autour des fleuves principaux (Sénégal et Ferlo au Nord, Saloum au Centre, Casamance au Sud), sans compter la Gambie dans le cadre d’un partenariat bilatéral entre les deux États, assurent au pays des opportunités certaines pour se positionner stratégiquement et définitivement comme la porte d’entrée du Mali et d’autres capitales sous-régional.
D’où l’importance pour Dakar de miser aussi sur les transports maritimes, compte tenu de ses cours d’eau et de ses ports secondaires, ainsi que sur la voie ferrée. Les investissements qui se feront dans le cadre de la transformation stratégique (agroalimentaire, textile, pharmaceutique, cosmétique) complèteront le tabeau pour le commerce intra-africain dont le développement n’est qu’une question de temps.
Dakar devra cependant aller plus loin que les investissements, innovations et efficacité logistique.
Il lui faudra en plus relever le défi de l’optimisation des procédures douanières et administratives. Soit opérer un changement de paradigme pour ne pas dire une révolution administrative ayant pour finalité simplification, digitalisation, qualités de service pour réduire les délais et les coûts au Port Autonome de Dakar, comme dans les ports secondaires.
Pour ce faire, Dakar devra insuffler des termes de performances et répondre aux standards internationaux. Aux nouvelles autorités de se rendre au quai avec la lunette de l’armateur et au secteur privé de ne pas caler sur les extraordinaires opportunités qui s’offrent à lui au port de Dakar et dans les ports secondaires. Le pays a plus besoin que jamais de Jambaar !
Maderpost / Charles Faye