Des édifices modernes qui frappaient les esprits dans les années 1970-80 tant leur audace tranchait des styles de construction ont disparu de la vue des Dakarois au gré de politiques incultes charriant des décisions misérables au grand bonheur du lucratif et des effaceurs de la mémoire, pour le malheur des architectes qui ont saisi le finissage de l’exposition « Bakku » de l’Ordre des architectes du Sénégal (ODAS) samedi 7 décembre 2024 pour lancer un cri du cœur et inviter les nouvelles autorités à s’approprier le patrimoine urbain.
ARCHITECTURE – Dakar ne ressemble à rien sinon à un champ de béton et de ferrailles, dans lequel se délitent ses habitants, dépourvus d’air, privés de ciel bleu et d’espaces, interdits de plage, de qualité de vie.
Ainsi est devenue, jadis, la belle Dakar. Une sauvagerie urbaine que des riches s’arrachent à coups de millions FCFA le mètre carré, pour se la couler douce dans des apparts cossus aux meubles chinois, turcs ou dubaïotes et respirer les effluves d’égouts après avoir affronté l’enfer des embouteillages, parce que rien de cohérent ni d’intelligence de ville ne renvoie à la cité et à ses normes.
Pour dénoncer le désordre tueur de patrimoine et sensibiliser les nouvelles autorités, l’ODAS a saisi l’opportunité de la 15e Biennale de Dakar pour recevoir, durant un mois, un public diversifié, et faire passer son message afin que nul n’ignore que toute grande et belle ville passe par la rencontre de l’art et de l’architecture, dans le but de léguer à la postérité des espaces et cadres de vie de grande qualité, soit un patrimoine architectural qui fonde les principes de l’attachement générationnel et l’histoire urbaine.
« Cette situation est particulièrement alarmante dans nos villes surtout Dakar, où la pression foncière pousse à la démolition de bâtiments classés au profit de projets immobiliers lucratifs. La spéculation immobilière et le manque de volonté politique en matière de préservation du patrimoine accélèrent ce phénomène, mettant en périls des siècles d’histoire », déplore M. Massamba Lamsar Diop, président du conseil de l’Ordre des architectes du Sénégal, dans un catalogue au nom évocateur « Bakku ».
En effet, disent les architectes, Bakku est un «mouvement spontané, né au sein de la communauté des architectes du Sénégal pour s’insurger contre les démolitions sauvages d’un certain nombre de pages d’architectures qui faisaient la fierté de Dakar».
« Dans un contexte d’urbanisation galopante en Afrique, la préservation du patrimoine est un enjeu crucial. Cette expo explore l’impact de cette croissance urbaine sur le patrimoine architectural, les conséquences de la destruction du patrimoine bâti, le rôle essentiel des architectes et des hommes de cultures, ainsi que l’influence potentielle des expositions et autres activités culturelles sur les politiques urbaines », explique le président du conseil, justifiant l’expo où les visiteurs marchent sur des photos collées au sol, piétinant symboliquement un patrimoine qu’ils auraient dû encore voir, voire aimer.
Le « cri du cœur » des architectes n’est pas seulement une exposition, « c’est un appel à l’action ». L’ODAS « invite tout un chacun à réfléchir sur l’importance de préserver notre patrimoine architectural pour les générations futures ».
Les œuvres en noir et blanc de l’artiste peintre Mouhamadou Dia, la Cathédrale de Dakar, la Direction de l’architecture et de l’urbanisme jadis sur l’avenue Roosevelt, et tant d’autres à couper le souffle, se dressent sur les murs de l’expo chargeant d’émotion et d’intensité chaque visiteur. Donnant ainsi raison au président du conseil de l’ordre, à la cheville ouvrière et commissaire de l’expo, l’architecte Malick Mbow et à un certain Tierry Melot architecte de renom révélé aux Sénégalais par le président poète Léopold Sedar Senghor dans les années 1970.
Pour Melot d’ailleurs, il faut « recomposer la ville sur elle-même plutôt que de l’étendre á l’infini ». Il s’agit pour lui de restructurer les bâtiments « pour leur donner de nouveaux usages au lieu de les livrer aux démolisseurs », de les « effacer ».
Des mots forts qui font écho chez Malick Mbow pour qui Dakar est « un chaos urbain ».
« Il n’existe aucune politique d’organisation moderne pour structurer la ville en cohérence avec sa démographie et son mode de vie. La ville est dépourvue de planification stratégique et de projet esthétique censé lui rendre son âme en équilibre avec son histoire et les perspectives de son futur », relève sans appel l’architecte dans le catalogue se voulant « un appel aux nouveaux dirigeants du Sénégal pour une gestion vertueuse et intelligente des plans d’urbanisation de nos villes ».
Le jeune et brillant Moussa Tine, nouveau directeur de la Construction et de l’Habitat présidant le finissage a pris bonne note des suppliques architecturales en présence de son père Moussa, d’un autre Moussa Fall, général celui-là et neveu de l’architecte Moussa Fall, de Zulu Mbaye, d’autres artistes plasticiens.
Lui-même architecte et artiste, le directeur Moussa Tine fait la promesse de transmettre à ses patrons et d’être la « voie » des architectes présents en grand nombre pour crier leur douleur non sans se dire des vérités pour une « solidarité effective » á l’endroit des jeunes architectes, la « reconnaissance et l’accompagnement des écoles d’architecture » par l’ODAS.
Malick Faye, Emile Diouf, Nicolas Sawalo Cissé, Mme Seynabou Diouf Ndiaye et tous les autres qui ont pris la parole ont dénoncé les pratiques barbares tolérées par les différents pouvoirs qui se sont succédé, et proposé aux nouvelles autorités d’avoir une vision claire et différente de leurs prédécesseurs afin que le patrimoine architectural ne devienne pas une vue de l’esprit depuis les coins de poubelle de l’inculture urbaine.
Une vision claire et différente qui commence par le maintien des locaux de l’ODAS délégataire de pouvoir à l’avenue de la République où il séjourne depuis 1979, à quelques dizaines de mètres de la présidence. D’une telle proximité et opportunité, Napoléon a tiré la transfiguration de Paris, Geroges Eugène Haussmann était à quelques pas de lui, tout comme l’est l’ODAS pour Bassirou Diomaye Faye, pour reprendre l’exemple de Paris cité par Malick Mbow.
Maderpost / Charles FAYE