Au bout de 14 Conseil des ministres, l’écart dans les nominations hommes-femmes est effarant. 75 contre 7. Comment peut-on exclure de ce vent d’espoir, l’apport des femmes à la marche du pays ?
TRIBUNE – Le choc, tout Sénégalais et Sénégalaise sensible à la question de la représentativité des femmes dans l’espace public l’a reçu et encaissé à la sortie de votre première liste du gouvernement avec 25 ministres dont seulement 4 femmes.
Nous avions protesté. Nous vous avions écrit que nous ne voulons pas régresser sur la question de la place de la femme dans notre société. La vague de contestations passée, comme de bons Sénégalais et Sénégalaises, nous nous sommes armés de patience et gorgés d’espoir pour voir plus de femmes dans les postes de direction.
Mais quel second choc de constater qu’au bout du 14ème Conseil des ministres, l’écart dans les nominations entre les hommes et les femmes est effarant.
14ème Conseil des ministres : 82 nominations. 75 hommes. 7 femmes. C’est terrible, vous persistez et le message semble très clair : vous n’êtes pas sensible à la représentativité des femmes ou alors, ce n’est pas votre priorité. Ou les deux à fois.
Par ailleurs, à chaque fois que vous avez pris la parole pour vous adresser à nous, nous avons vu et entendu un président :
Intelligent
Respectueux de ses concitoyens
Fédérateur, rassembleur
Positif et constructif
Ouvert à écouter ceux et celles qui apportent du ciment pour construire un meilleur Sénégal
Déterminé fortement à apporter un changement dans notre pays
Mais alors, comment un tel profil de président, jeune qu’il est, ouvert au monde, à ses défis et enjeux actuels, dirigeant l’un des pays les plus respectés en Afrique et dans le monde pour la détermination de son peuple, ses hommes et femmes de savoir, peut fermer les yeux sur la question de la représentativité des femmes dans les instances de décision ?
Comment peut-on jub, jubal, jubanti sans la présence de près de cette moitié de la population autour de la table ?
Comment peut-on développer ce pays si on se passe du cerveau, de la compétence, de la sensibilité, de la finesse, de la rigueur, de l’abnégation, de la détermination, de la hargne, de l’honnêteté et du courage de tous ces profils de femmes que nous avons dans ce pays et sa diaspora ?
Comment peut-on avancer sur les questions qui touchent nos filles et femmes si elles ne sont pas présentes là où se prennent les décisions qui impactent leur vie ?
Comment peut-on exclure de ce vent d’espoir, l’apport des femmes à la marche du pays ?
Comment peut-on envisager une rupture en envoyant un message de régression sur la question des femmes ?
Mais plus encore, vous dirigez un pays qui s’appelle le Sénégal où les femmes ont fortement influé dans les luttes les plus importantes dans ce pays et en Afrique.
Elles sont les premières dans les classements dans les écoles et universités. Elles constituent un grand nombre dans le tissu entrepreneurial de notre pays. Elles sont de grandes managers, fonctionnaires, militantes, directrices d’ONG. Elles gèrent les finances de grandes entreprises et programmes. Elles se retrouvent à des postes de responsabilité à l’Union Africaine, à la CEDEAO, au FMI, à l’ONU, à la Banque mondiale. Elles vivent au Sénégal et dans sa diaspora. Cet état de fait, vous ne pouvez en faire fi. C’est de votre responsabilité de continuer à le renforcer et à le pérenniser.
Le Sénégal a toujours été un pays progressiste, respecté partout dans le monde pour son peuple vaillant, sa démocratie, la valeur de ses hommes et femmes de savoir.
Aujourd’hui en 2024, plus que jamais, nous ne devons régresser sur un point aussi crucial que leur place dans les sphères de décision.
La petite Dienabou du Fouta, la jeune Marie de Dakar, Dibor de Gandiaye, Aby de Mantes la Jolie, Khady de Paris, Marie-Louise de Boston, Kadia de Milan, Astou de la Côte d’Ivoire etc. ont besoin de modèles d’identifications qui leur montrent qu’elles peuvent être des DG, des ministres, des Premiers ministres, des présidents, des conseillers, des diplomates, L’Etat du Sénégal que vous représentez et dirigez, a le devoir de leur construire un imaginaire qui leur montre que leur place n’est pas limitée, qu’elles peuvent servir ce pays aux plus hautes fonctions si tel est leur désir.
Avec ces rares femmes que vous avez nommées au sommet de l’État et dans les directions générales, vous êtes clairement en train de leur envoyer le message contraire.
Il est temps de faire des efforts pour corriger le tir mon président.
Oui, je veux bien croire que vous êtes rattrapé par la réalité du monde politique et que vous êtes obligé de récompenser, mais je refuse de croire définitivement que vous n’êtes pas sensible à la question de la place de la femme dans nos sphères de décision.
Et quand bien même vous le seriez, nous avons tous vu à quel point vous apprenez vite. Ainsi, j’ose espérer que ceux qui vous entourent et vous conseillent, vous rappelleront que la présence des femmes, dans les lieux de décision est cruciale à notre époque, pour notre pays et pour la marche du monde.
J’ose espérer qu’un Abdoulaye Bathily vous rappellera le rôle de la femme sénégalaise dans l’histoire politique du Sénégal et dans l’accession à l’indépendance ; et qu’une régression n’est pas envisagée.
J’ose espérer qu’une Yacine Fall, ministre des Affaires étrangères, qui a lutté pour la représentativité des femmes, travaillé dans des instances nationales et internationales, côtoyé partout dans le monde des femmes sénégalaises brillantissimes, vous a conseillé de ne pas reléguer au second plan, cette question de la représentativité des femmes.
J’ose espérer que des « He for She » comme Abdourahmane Diouf, Abdourahmane Sarr et d’autres dans votre gouvernement vous ont alerté sur ce sujet …
J’ose espérer que nos journalistes n’oublieront plus jamais de vous interpeller sur l’implication et la place des femmes dans le jub, jubbal, jubbanti ; qu’ils ne reprendront plus les clichés sur cette question dans leurs émissions ; qu’ils ne minimiseront plus les revendications des femmes sensibles à ce sujet et traiteront de manière sérieuse et approfondie, cette question.
J’ose espérer que tous ces brillants hommes et femmes (visibles et de l’ombre) qui vous conseillent et à qui vous avez rendu hommage lors de votre allocution avec la presse sénégalaise le samedi 13 juillet 2024 vous rappelleront que les femmes sénégalaises doivent avoir leur place dans cette rupture pour le développement de notre pays.
Car oui, autant c’est de votre responsabilité de garder le Sénégal sur une dynamique progressiste sur la question de la femme, autant, c’est de leur responsabilité de vous le dire, de vous le conseiller ou de vous le rappeler si vous ne l’appliquez pas.
Vous n’avez pas trouvé mieux au sommet de l’État ? Alors faites mieux mais ne gardez pas le statuquo et surtout, ne faites pas régresser cet acquis.
Aminata Thior