Les gens qui vivent au Plateau se plaignent de l’invasion des marchands ambulants, mais ils oublient qu’ils sont les privilégiés d’un ordre injuste qui a créé tous ces pauvres qui envahissent leurs jolies rues.
TRIBUNE – Ne nous trompons pas sur le diagnostic. Ces envahisseurs de rues et ces motocyclistes, des jeunes pour la plupart, se livrent à ces activités de survie car ils ont été privés des chances de devenir autre chose ou de faire autre chose.
Quand vous voyez un jeune, de 25 ou 30 ans, vendre des noix de cajou sur la VDN ou des chaussettes dans les artères du centre-ville, la question qu’il faut se poser est de savoir pourquoi il n’est pas devenu un médecin, un ingénieur, un avocat ou un enseignant…
C’est ça la vraie question, et pas pourquoi il s’installe ici ou là avec sa marchandise, ou pourquoi il embête les automobilistes avec ses noix de cajou.
S’il en est à cette situation qui énerve tant de monde, pas pour l’injustice systémique qui l’a créée mais pour l’atteinte à leur confort visuel, c’est parce que les ressources qui auraient dû permettre de lui offrir les moyens d’aller à l’école et d’avoir un métier formel et décent ont été subtilisées par une caste de politiciens corrompus et leurs complices, en violation perpétuelle des lois de ce pays.
Et s’il y a une chose que tous ces méprisés des citadins de souche ont bien compris, c’est que les ressources du pays leur appartiennent aussi.
L’espace publique faisant partie du bien commun, ils s’en servent légitimement pour trouver leur subsistance, quand ils ont été privés de tout. Alors qu’on ne vienne pas leur demander de se soumettre aux lois et aux règles de vie commune, tant que ceux qui contrôlent les ressources communes n’ont pas appris à les respecter eux-mêmes.
Déguerpissons-les de temps en temps pour feindre de résoudre un problème, sans travailler en amont sur des solutions alternatives durables à leur proposer, et ils reviendront quelques jours plus tard là d’où ils avaient été chassés par une circulaire ministérielle ou un arrêté préfectoral.
Sur le long terme, veillons à ce que des Sénégalais qui ont aujourd’hui 5 ou 10 ans ne deviennent pas de potentiels marchands ambulants dans 15 ans, mais des médecins, des ingénieurs, des avocats, des enseignants… et on aura vider les trottoirs.
On ne peut répéter les mêmes méthodes, encore et encore, et espérer un résultat différent, comme par magie.
Arona Oumar Kane